Politique / Monde

Ce n'est pas un accord de paix qu'ont signé les États-Unis et les talibans

Temps de lecture : 5 min

Ce n'est même pas un cessez-le-feu. C'est un prétexte pour partir.

Mark Esper, secrétaire à la Défense américain, prononce un discours au palais présidentiel de Kaboul (Afghanistan) le 29 février 2020. | Wakil Kohsar / AFP
Mark Esper, secrétaire à la Défense américain, prononce un discours au palais présidentiel de Kaboul (Afghanistan) le 29 février 2020. | Wakil Kohsar / AFP

Le lundi 2 mars, les combats ont repris en Afghanistan, incitant certains à remarquer que l'accord de paix signé par les combattants le samedi précédent avait sans doute battu tous les records de brièveté –pseudo-conclusion naturelle à la guerre la plus longue de l'histoire américaine. En réalité, contrairement à ce qu'ont rapporté de nombreux médias, le document en question n'est pas un accord de paix et ne prétend même pas en être un. Comme le dit son titre, c'est un «Accord en vue d'apporter la paix en Afghanistan» [le gras est de moi, ndla].

Ce n'est même pas non plus un accord de cessez-le-feu. Certes, Zalmay Khalilzad, le négociateur américain, a insisté pour que tous les camps observent une période de sept jours de «réduction des violences» à partir du 21 février, avant la signature du document –et ainsi fut fait. Mais il n'a pas explicitement réclamé qu'elle soit prolongée après la signature. Les talibans ont donc annoncé dès lundi la reprise des offensives, et ils ont tenu parole en lançant une bombe qui a tué trois personnes et en a blessé onze autres lors d'un match de foot dans l'est du pays.

Ensuite, c'est un autre obstacle qui s'est élevé, tout aussi prévisible. L'accord prévoit la libération de «jusqu'à 5.000» prisonniers talibans –et «jusqu'à 1.000» autres prisonniers (principalement des militaires afghans détenus par les talibans)– d'ici au 10 mars, date à laquelle des pourparlers directs entre le gouvernement afghan et les talibans doivent officiellement commencer. Mais cet échange de prisonniers n'est prévu que dans l'accord entre les États-Unis et les talibans. La «Déclaration commune» entre les États-Unis et le gouvernement afghan, publiée en même temps, ne dit absolument pas ça. La seule mention de prisonniers dans ce document-là, la voici [le gras est toujours de moi]:

«Pour créer les conditions d'un accord politique et atteindre un cessez-le-feu permanent et durable, la République islamique d'Afghanistan participera à une discussion facilitée par les États-Unis avec des représentants talibans au sujet de mesures destinées à établir un climat de confiance, qui incluront la détermination de la faisabilité de la libération de nombres importants de prisonniers des deux camps.»

En d'autres termes, le gouvernement afghan n'a pas accepté le moindre échange de prisonniers, et son président, Ashraf Ghani, pourrait avoir de bonnes raisons d'être éberlué par l'introduction d'une pareille clause dans l'accord entre les États-Unis et les talibans. Conséquence sans surprise: Ghani a dit qu'il ne ferait pas l'échange avant les négociations; il considère les prisonniers comme un atout crucial à garder dans sa manche. S'il reste sur ses positions, ce qui semble logique de son point de vue, l'accord États-Unis-talibans s'effondrera.

Des étapes ambitieuses

Les négociateurs ont quelques leçons à tirer de cette aventure. Dans le cas des sept jours de «réduction des violences», ils auraient dû être très explicites dans la formulation d'un traité signé avec les talibans (avec quiconque, d'ailleurs): si les Américains envisageaient que la période de réduction de la violence puisse s'étendre au-delà des sept jours prévus initialement, il fallait qu'ils le disent clairement dans le document. Et ils n'auraient pas dû prévoir un échange sans le consentement du gouvernement afghan puisque c'est lui qui détient les prisonniers talibans.

Si les trois parties de cet arrangement mal fichu parviennent à dépasser la phase initiale de l'«Accord en vue d'apporter la paix en Afghanistan», elles seront ensuite confrontées à des étapes plutôt ambitieuses. Les États-Unis auront 135 jours pour ramener leur nombre de soldats déployés à 8.500 –environ le nombre qu'y avait laissé le président Obama, avant que le président Trump ne le multiplie par deux– et les alliés de l'OTAN pour réduire proportionnellement le nombre de leurs troupes. Puis, d'ici mai 2021, les États-Unis et leurs alliés retireront toutes les forces armées restantes, ainsi que «tous les personnels civils non diplomatiques, les prestataires militaires privés, les formateurs, les conseillers et les personnels d'encadrement».

En échange, les talibans acceptent de ne laisser aucun de leurs membres «utiliser le sol d'Afghanistan pour menacer la sécurité des États-Unis et de leurs alliés». Ils acceptent également d'interdire à tous leurs membres de s'associer à des groupes ou des individus qui représenteraient une menace, ou de leur fournir des visas, des passeports ou toute autre forme d'assistance.

À ce stade, les États-Unis garderont de bonnes relations avec un gouvernement afghan plus inclusif, à déterminer par les Afghans eux-mêmes, relations qui comprendront un examen de l'assouplissement des sanctions prises à l'encontre de talibans intégrés au nouveau régime.

Seulement le début du processus

En d'autres termes, si cet accord est réellement mis en œuvre, les États-Unis et l'OTAN seront entièrement dégagés d'Afghanistan, à l'exception d'une présence diplomatique de routine. La guerre –en tout cas, leur rôle dans la guerre– sera finie.

Dans ce cas, la mise en œuvre de la partie de l'accord concernant les talibans (et ses protagonistes) n'est pas franchement claire. Dans un discours du 29 février dernier, Mark Esper, secrétaire à la Défense américain, a dit de l'accord –rendu public le jour même—qu'il était «conditionnel» et nécessitait que «les talibans poursuivent l'initiative actuelle de réduction des violences». Il a ajouté: «Si les talibans ne respectent pas leurs engagements, ils abandonnent leur chance de participer à des négociations avec le gouvernement afghan et n'auront pas leur mot à dire sur l'avenir de ce pays.»

L'ennui, c'est qu'à aucun moment l'accord ne prévoit que les États-Unis renoncent à leurs engagements si les talibans ne respectent pas les leurs.

En réalité, il s'agit d'un accord qui permet aux États-Unis de quitter l'Afghanistan. C'est ce que veut le président Donald Trump depuis le départ. Au début de son mandat, Jim Mattis, alors secrétaire à la Défense, et H.R. McMaster, alors conseiller à la Sécurité nationale, ont convaincu Trump de donner encore une chance à la guerre, en avançant que leur «nouvelle stratégie» pouvait mener à la «victoire». Mais la stratégie n'avait rien de nouveau et les termes de la victoire n'étaient pas définis. Aujourd'hui, entouré d'une équipe de conseillers plus accommodants, Trump obtient enfin ce qu'il veut –et non sans raison.

L'objectif originel de cette guerre –évincer les talibans du pouvoir, tuer ou capturer Oussama ben Laden, décimer Al-Qaida –est atteint depuis longtemps. Son but plus ambitieux –aider les dirigeants d'Afghanistan à bâtir une démocratie– est chimérique. Les chefs militaires américains les plus haut placés ont toujours dit que la guerre était impossible à gagner tant que le gouvernement local restait corrompu. Pourtant, en même temps, ils s'opposaient aux négociations de paix tant que l'armée américaine n'obtenait pas un avantage militaire susceptible d'être utilisé comme levier.

Mais en attendant, les talibans sont des Afghans; leur principale exigence a toujours été le retrait de toutes les forces armées étrangères, ce qui inclut absolument les troupes américaines. Zalmay Khalilzad, le négociateur américain, né en Afghanistan et qui parle couramment le pachtoune, a fait de son mieux. Ce ne sera peut-être pas suffisant pour empêcher les talibans de dominer de nouveau le pays. Mais rien ne pouvait permettre d'obtenir un tel résultat. Et le moment est venu de partir. L'«Accord en vue d'apporter la paix en Afghanistan» n'est que le début du processus. Il se pourrait bien qu'il soit aussi, en partie, une illusion. Mais mieux vaut succomber à cette illusion-là qu'à celle qui nous ferait nous battre encore pendant vingt ans.

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