Santé / Monde

Il existe un moyen de déterminer où en est l'épidémie de coronavirus en Chine

Temps de lecture : 7 min

Selon les épidémiologistes, il est désormais possible de savoir si la vague épidémique actuelle est ou non annonciatrice d'une autre, autrement plus importante. Mais Pékin garde le silence.

Devant l'hôpital n°5 de Wuhan, des patient·es infecté·es attendent d'être transféré·es au nouvel hôpital Leishenshan de la ville, le 3 mars 2020. | STR / AFP
Devant l'hôpital n°5 de Wuhan, des patient·es infecté·es attendent d'être transféré·es au nouvel hôpital Leishenshan de la ville, le 3 mars 2020. | STR / AFP

Plus de deux mois après l'émergence du nouveau coronavirus en Chine subsistent de maigres certitudes et une question majeure.

Non, cette nouvelle maladie n'est en rien une nouvelle peste. Elle est le plus souvent bénigne mais peut à l'occasion être redoutable, en particulier chez certaines personnes âgées ou déjà malades.

Oui, elle soulève et continuera de soulever de multiples difficultés pratiques, logistiques et stratégiques dans l'organisation de la lutte préventive et la prise en charge des individus infectés.

Non, rien ne permet encore de parler de «pic épidémique» ou de prédire ce qu'il en sera de la dynamique contagieuse virale à l'échelon planétaire.

De ce point de vue, force est de constater que l'on observe une forme de ralentissement de la diffusion virale en Chine –alors que de nouveaux foyers se développent en Corée du sud, en Iran ou en Italie.

Cet infléchissement des courbes épidémiologiques chinoises doit-il être interprété comme l'amorce d'un prochain reflux général? Faut-il au contraire redouter une deuxième vague, plus ample que la précédente? Celle observée depuis le mois de décembre n'est-elle qu'une vague annonciatrice de la principale, comme on l'observe pour les tsunamis? Ce sont là des questions essentielles auxquelles il devrait bientôt être possible de répondre.

Doutes sur le taux d'attaque

Officiellement, on recense aujourd'hui en Chine continentale un peu plus de 80.000 cas confirmés de Covid-19. Le pays compte 1,4 milliard d'habitant·es. Les premiers taux d'attaque calculés par les modèles mathématiques laissaient prévoir qu'entre 50% et 60% de la population serait à terme infectée par le nouveau coronavirus, appelé SARS-CoV-2, car la population semble être immunologiquement naïve.

D'ailleurs, pourquoi 50% ou 60% et non 100%? Tout simplement parce qu'une fois infectées, les personnes restent immunisées pendant au moins quelques mois, suffisamment pour bloquer (lorsqu'elles sont en nombre adéquat et en l'absence de mutations virales) l'émergence de nouvelles contaminations sur un mode épidémique. C'est que les spécialistes nomment «l'immunité grégaire». Un vaccin, s'il existait, produirait le même type d'immunité.

Prenons l'exemple du désormais tristement célèbre bateau de croisière Diamond Princess. Le taux d'attaque observé est resté d'environ 20% (705 personnes infectées par le coronavirus sur 4.061 passagèr·es et membres d'équipage). Abandonnons donc les hypothèses théoriques de 50%-60% et postulons que nous serions ici dans une fourchette basse. Mais 20% de la population chinoise représente tout de même 280 millions de personnes!


Des membres d'équipage du Diamond Princess, le 24 février 2020 au port de Yokohama, au Japon. | Kazuhiro Nogi / AFP

Comment imaginer un instant que 280 millions de citoyen·nes chinois·es auraient déjà contracté le nouveau coronavirus et que seuls 80.000 cas auraient été rapportés par les autorités de Pékin? Nous ne pouvons pas raisonnablement le penser, quand bien même y aurait-il un certain degré de sous-notification dans les données officielles transmises.

Nous avons aussi appris du Diamond Princess que presque la moitié des cas (322 sur les 705) étaient restés totalement asymptomatiques. En Chine, durant l'épidémie des mois de janvier et février 2020, une bonne partie de ces infections asymptomatiques sont peut-être passées inaperçues et n'auraient pas été rapportées par le système de surveillance. Peut-être, mais en réalité, nous n'en savons rien.

La question est de taille, car à supposer qu'il y ait eu en deux mois 80.000, 160.000 ou 800.000 cas d'infections, nous sommes encore très loin des taux d'attaque expérimentalement observés à bord du Diamond Princess qui, extrapolés à la Chine, laissent envisager 280 millions de Chinois·es atteint·es –sans même évoquer des prévisions de modèles mathématiques beaucoup plus catastrophistes.

Études de séroprévalence

Sommes-nous aujourd'hui face à une herald wave, pour reprendre une terminologie utilisée par les spécialistes des tsunamis pour désigner la vague annonciatrice? La ou les grandes vagues sont-elles à venir? Ou, à l'inverse, l'histoire de l'épidémie due au SARS-CoV-2 est-elle en Chine sur le point d'être écrite –comme aimerait le croire, avec Pékin, la communauté internationale?

Pour répondre précisément à cette question capitale, il existe une méthode scientifique, celle offerte par les études de séroprévalence. Il s'agirait ici, assez simplement, de tester les sérums sanguins d'un échantillon de personnes les plus représentatives possible de la population chinoise dans l'épicentre de l'épidémie, à Wuhan, ville qui a connu l'activité virale la plus intense.


Dans les rues de Wuhan, le 4 mars 2020. | STR /AFP

En analysant les prélèvements effectués sur 1.000 personnes, on pourrait aujourd'hui fournir avec une bonne précision une estimation du taux d'infection par le SARS-CoV-2.

Sous l'hypothèse que l'échantillon soit suffisamment représentatif de la population de Wuhan, nous pourrions dire ce qu'il en a été du taux d'attaque –de largement inférieur à 1% à 5%, 10%, 20% ou davantage.

Sans doute des précautions méthodologiques devraient-elles être prises pour éviter des artéfacts, mais elles sont bien connues des virologistes et des immunologistes: rien qu'un laboratoire de virologie d'une université bien équipée ne puisse conduire dans un laboratoire de haute sécurité (niveau 3).

Exemple du chikungunya

Pour notre part, nous avons déjà réalisé plusieurs études de séroprévalence dans l'urgence d'une crise sanitaire, en particulier pour celle engendrée à La Réunion et à Mayotte, en 2006, par l'épidémie due au virus du chikungunya véhiculé par des moustiques. Une première étude que nous avions nous-même qualifiée de «quick and dirty» («rapide et pas très rigoureuse») mais qui nous avait apporté des résultats qui allaient se révéler très utiles.

Dès le mois de février 2006, peu après l'annonce officielle du pic épidémique, nous avons su que le taux d'attaque estimé par l'enquête de séroprévalence était très voisin de celui calculé par la veille sanitaire, qui s'établissait à 40% de la population de la Réunion infectée par le virus du chikungunya.

Nous avions obtenu ce résultat grâce à une enquête réalisée à partir d'échantillons sanguins issus d'une banque de prélèvements systématiquement pratiqués chez toutes les femmes enceintes (et conservées pour d'autres raisons, notamment pour vérifier l'absence de risque de toxoplasmose pendant la grossesse).

Ces échantillons prélevés à divers moments de la grossesse sont dits «aliquotés», soit séparés dans plusieurs tubes à essai puis congelés à -80°C dans les hôpitaux publics. Ils sont détruits peu après l'accouchement.

Il nous fut facile d'obtenir des aliquotes anonymisées de sérum, pour chacune des 1.000 femmes enceintes étudiées de La Réunion. En moins d'une semaine, nous avons pu obtenir les résultats, fournis par le laboratoire du professeur Xavier de Lamballerie à l'université d'Aix-Marseille.

«Dirty» mais informative

Pourquoi parle-t-on d'étude «dirty»? Parce que les épidémiologistes puristes préconisent –à raison– de constituer des échantillons vraiment représentatifs de la population, c'est-à-dire obtenus à partir d'un tirage au sort des listes de recensement.

Il nous aurait fallu parcourir tout le territoire (en l'occurrence de l'île de La Réunion), obtenir un consentement éclairé et écrit pour une prise de sang (aux deux parents lorsque la personne est mineure), puis procéder au prélèvement, l'acheminer au laboratoire (ici en France métropolitaine) dans de bonnes conditions de température et de transport. Nous n'aurions pas eu les résultats avant plusieurs semaines, sans parler des aspects administratifs.

En utilisant des échantillons de sang déjà prélevés et qui allaient de toute façon être retirés des congélateurs et détruits, il nous a été possible de disposer de sérums analysables rapidement et éthiquement, et d'ainsi estimer avec précision la proportion de femmes enceintes ayant été infectées par le virus.

Certes, la population des femmes enceintes n'est pas représentative de la population générale, et nous ne recommandons pas nécessairement de pratiquer de même sur le territoire chinois.

Il n'en reste pas moins vrai que nous avons pu conduire plus tard, en septembre 2006, une étude très rigoureuse suivant toutes les règles de l'art et obtenir exactement le même type de résultats: un taux d'attaque de 40%, quand les modèles mathématiques prévoyaient 75%.

Piste des dons du sang

Il existe aussi une autre population pour laquelle sont conservés des prélèvements sanguins congelés et qui pourraient être rapidement mis à disposition: les dons du sang.

Les banques de sang chinoises pourraient tout à fait être sollicitées pour fournir de telles aliquotes, issues de dons récents, afin de réaliser des études de séroprévalence «quick and dirty», car les donneurs et donneuses de sang ne sont pas non plus rigoureusement représentatives de la population générale, mais tout aussi informatives pour réduire le nombre des inconnues auxquelles sont aujourd'hui confronté·es, directement ou non, l'ensemble des responsables sanitaires et politiques de la planète dans la gestion de cette épidémie de Covid-19.


Dans un hôpital de Wuhan, le 18 février 2020. | STR / AFP

Il est d'intérêt général de connaître la réponse à ces questions et donc à mener au plus vite ce type d'étude, comme nous le proposons dans The Lancet. Pourquoi l'OMS ne l'a-t-elle alors recommandé que si discrètement? Pourquoi les autorités chinoises ne l'ont-elles pas fait? Ou sinon, pourquoi les résultats ne sont-ils pas déjà publiés?

Ce genre d'étude peut être renouvelée plusieurs fois et aurait pu être conduite dès la fin janvier, semaine après semaine. Nous sommes déjà plus de deux mois après l'émergence du nouveau coronavirus. Il n'y a plus, désormais, aucune raison d'attendre pour conduire de telles études et pour éclairer l'ensemble de la communauté internationale sur l'avenir du phénomène, auquel le monde entier est confronté.

Afin de guider au mieux les politiques publiques, ces études «quick and dirty» devraient être menées partout où l'épidémie sévira.

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