Politique

La peur du coronavirus peut influer sur le taux de participation aux municipales

Temps de lecture : 4 min

Il n'est «aucunement envisagé» de reporter les élections en raison des risques d'épidémie... Pour le moment. La crise sanitaire pourrait perturber le scrutin.

Bureau de vote au Puy-en-Velay (Haute-Loire) lors des élections européennes, le 26 mai 2019. | Jeff Pachoud / AFP
Bureau de vote au Puy-en-Velay (Haute-Loire) lors des élections européennes, le 26 mai 2019. | Jeff Pachoud / AFP

Et si le coronavirus mettait son grain de sel dans les élections municipales des 15 et 22 mars? Personne n'a encore parlé sérieusement de leur report. «Dans aucune des réunions ministérielles qui concernent le coronavirus, la question ne s'est posée d'annuler les élections municipales», précisait même la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, le 27 février sur Europe 1. Elle ajoutait que le ministre de la Santé, Olivier Véran, indique, en introduction de chacune de ses interventions, que «la situation est très évolutive», ce qui laisse la porte ouverte à toutes les hypothèses.

De fait, quand la porte-parole s'exprimait, il y avait moins d'une vingtaine de personnes infectées par le coronavirus en France, selon un décompte officiel. Quelques jours après, le 1er mars, on en recensait officiellement 130. Et il est envisageable que la courbe de progression des cas dans ce qui prend la forme d'une épidémie explose brutalement après avoir fait apparaître une ascension modérée dans les premiers jours, voire les premières semaines. C'est à peu près toujours comme cela que ça se passe.

Conseillés par les professionnel·les de santé et les organismes de surveillance sanitaire, les pouvoirs publics sont censés prendre les mesures préventives adéquates pour enrayer, ou même stopper, la progression de la pandémie. Ainsi, plusieurs événements ou manifestations d'importance ont été effacés des tablettes: le semi-marathon de Paris a été annulé (44.000 participant·es étaient en lice), le Salon de l'agriculture a été clos un jour plus tôt, des musées sont restés portes closes (le Louvre était fermé le 1er mars), des écoles sont sans élèves et les voyages scolaires supprimés, etc.

Les urnes confrontées à la précaution et à la crainte

Alors que dire des municipales? Le report n'est «aucunement envisagé», confiait un conseiller ministériel début mars. Les bureaux de vote sont, cependant, un lieu privilégié pour se serrer la main, geste qu'il est conseillé d'abolir par les temps d'épidémie. Même si elles ne sont pas reportées à une date ultérieure car le gouvernement considérerait que les risques sont minimes ou même inexistants, ces élections vont peut-être pâtir de cette crise sanitaire mondiale. La peur –consciente ou inconsciente, rationnelle ou irrationnelle– qu'elle suscite dans certains secteurs de la population pourrait avoir une influence négative sur le taux de participation.

Par précaution ou par crainte, des électeurs et des électrices risquent de ne pas se rendre aux urnes. Ces personnes accentueraient ainsi un mouvement de décroissance de la participation aux municipales perceptible depuis plus de trente-cinq ans. À chaque scrutin depuis 1983, le taux de participation à cette consultation qui place pourtant les citoyen·nes au plus près de leurs élu·es est systématiquement en recul.

Alors que de 1959 à 1983 (les municipales ont lieu tous les six ans), le taux de participation a toujours été supérieur à 74%, dépassant même 78% à trois reprises (78,2% en 1965, 78,9% en 1977 et 78,4% en 1983), le premier reflux notable s'est produit en 1989 (-5,5 points par rapport à 1983) avec un pourcentage de participation de 72,9%. Le mouvement de retrait s'est poursuivi en 1995 avec un taux de 69,4%, soit un recul de 3,5 points. En l'espace de douze ans, la perte en ligne a été de neuf points.

La participation s'était relevée aux européennes de 2019

Les consultations suivantes n'ont pas stoppé cette décrue. Le taux est tombé à 67,4% en 2001, soit un nouveau recul de 2 points par rapport à 1995, puis à 66,5% en 2008 (-0,9 point) et, enfin, à 63,6% en 2014 (-2,9 points). Tous ces chiffres concernent le premier tour des municipales mais, à une exception près (1965), le second tour de chacun de ces scrutins a vu un taux de participation sensiblement équivalent à celui du premier round.

Du reste, cette décroissance quasi constante a également été observée aux élections européennes dont la première édition s'est tenue en 1979. Le taux de participation était alors de 60,7%. Il a systématiquement reculé jusqu'en 2009 avec 40,6%, sauf en 1994 où il s'est relevé par rapport à l'édition précédente de 1989 (48,8%) avec un pourcentage de 52,7%. Le point le plus bas de 2009 en trente années d'élections européennes a été suivi de deux rebonds successifs. En 2014, le taux est remonté à 42,4% et, surtout, en 2019, il a atteint 50,1%.

On peut avancer l'hypothèse que l'exacerbation de la bataille entre les anti-européens affirmés d'extrême droite du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et les pro-européens non moins affirmés de la République en marche (LREM), le parti fondé par Emmanuel Macron avant qu'il ne devienne chef de l'État, a pu susciter une mobilisation accrue des deux électorats antagonistes. De fait, le RN et LREM sont arrivés en tête, dans cet ordre et dans un mouchoir de poche (23,34% et 22,42%), lors du scrutin de mai 2019.

Mobilisation accrue dans les villes aux résultats incertains

Dès lors pouvait-on s'attendre à une réédition de ce sursaut avec un regain de participation aux municipales qui, malgré tout, ne sont pas dotées des mêmes ressorts électoraux que les européennes –une consultation décentralisée dans un cas et une circonscription unique dans l'autre–, ce qui rend les résultats moins immédiatement lisibles et interprétables. D'autant que les deux partis en questions, RN et LREM, occupent une place extrêmement marginale sur la scène municipale.

En effet, parmi les 1.170 villes de plus de 9.000 habitant·es, ils n'en dirigent qu'une douzaine à une quinzaine chacun en l'état actuel des données disponibles... Étant entendu que LREM n'existait pas aux dernières municipales de 2014 et que le RN concourrait sous le sigle FN (Front national).

Il n'en demeure pas moins que certains indices poussaient à penser que la mobilisation, donc la participation, pouvait être plus intense dans certains points chauds de l'Hexagone. En particulier certaines grandes villes où le résultat est incertain, selon les données des enquêtes d'opinion. C'est ainsi le cas de Strasbourg, par exemple, ville pour laquelle l'institut BVA fait état d'une «participation vraisemblablement supérieure à celle enregistrée au premier tour de 2014» (entre 56% et 59% contre à peine 50%). Dans la capitale alsacienne, la compétition est âpre entre une liste LREM flanquée de centristes et une liste commune Europe écologie-Les Verts-Parti communiste.

En sera-t-il de même à Paris où la montée en puissance de Rachida Dati, candidate du parti Les Républicains, et le remplacement de Benjamin Griveaux par Agnès Buzyn pour LREM, ont rebattu les cartes face à la maire (PS) sortante, Anne Hidalgo? C'est ce qu'indique un sondage de l'IFOP. «À quinze jours du premier tour, précise le directeur général adjoint de cet institut, Frédéric Dabi, [il y a] une incertitude jamais vue dans une élection parisienne avec un écart, entre les trois principales prétendantes, de seulement 5 points.» D'autant que pour la première fois, Dati devance Hidalgo dans les intentions de vote, Buzyn se tenant en embuscade. Autant de paramètres susceptibles d'aviver la participation. Sauf que le coronavirus, lui aussi, se tient... en embuscade.

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