Je dois avouer un secret honteux: je ne vote pas à Paris, mais je nourris une certaine passion pour les programmes municipaux des candidat·es à l'Hôtel de Ville.
Les programmes politiques nationaux sont toujours un peu abstraits, alors qu'au niveau municipal, on voit s'épanouir toutes les potentialités de la politique telles de délicates fleurs de rosée.
Dati et le «tourisme de qualité»
Rachida Dati. Ah! le retour de Rachida Dati. C'est déjà, en soi, tout un programme. En matière de positionnement, elle a fait le choix de la simplicité: pas de chiffre, pas de budget, pas de date, pas trop de détails. Elle incarne avant tout un type de Parisienne: la voisine qui se plaint sans cesse... enfin… le genre de voisine que vous avez si vous habitez le VIIe arrondissement.
Elle a identifié ce qui emmerdait son électorat, et elle propose des solutions (plus ou) moins concrètes. Par exemple, le Parisien, il y a un truc qu'il n'aime pas trop, c'est les gens. Enfin, vous savez, les autres gens. Ceux-là… là, les… touristes. Le Parisien n'aime pas le touriste. Il lui vole ses places assises dans le métro, il marche à deux à l'heure dans la rue, il gêne tout le monde avec ses bagages, il est de bonne humeur, bref, il est chiant.
Eh bien Rachida Dati, elle comprend cet agacement. Non seulement elle veut interdire les cars de touristes dans le centre de Paris (Agnès Buzyn aussi, c'est son petit côté voisine de palier du VIIe), mais elle n'a pas peur des mots, elle dit la vérité et la vérité, c'est que «les Parisiens méritent un tourisme de qualité». Bah ouais. Parce que nos touristes, ils sont tout pourris, ils sont bas de gamme (un peu étonnant, vu le prix de la vie dans la capitale). Dati, elle veut du tourisme de qualité plutôt que de quantité.
Et puis, bien sûr, elle veut s'attaquer au problème du coût de la vie à Paris. C'est devenu infernal pour les familles. Alors elle a eu une idée toute simple: elle va baisser le prix maximum du repas à la cantine. Vous avez bien compris. Ça sera moins cher pour les plus riches. À l'heure actuelle, le prix maximum, c'est 7 euros, eh bien elle va le passer à 3,50 euros dès la rentrée de septembre 2020. Un bon coup de pouce pour les ménages parisiens les plus fortunés.
Bien sûr, Rachida Dati a des idées sur l'écologie. Par exemple, contre la pollution de l'air, elle veut lancer un plan «air sain pour nos enfants» et son plan est, figurez-vous, l'une des choses les plus angoissantes que j'ai lues cette année. Vous croyez que c'est quoi? Réduire le trafic routier? Oulala… Stop à l'écologie punitive. Non, elle va installer dans les écoles et les crèches des purificateurs d'air filtrant les gaz polluants et les particules pour que tous nos enfants puissent respirer un air sain.
Voilà: un problème, une solution. Et ne commencez pas à chipoter avec des «oui, mais quand ils ne sont pas à l'école blablabla». Pendant les vacances, vous n'avez qu'à les envoyer à la montagne dans un sanatorium, c'est ce que faisaient nos grands-parents, c'est pas très compliqué.
Chez Buzyn, «tu salis, tu nettoies»
Chez Agnès Buzyn, on a enfin choisi, on est clair dans ses bottes: on est de droite. Plus d'ambiguïté. Fini le «en même temps». Conséquemment, Agnès Buzyn et Rachida Dati font des propositions identiques: elles veulent toutes les deux une police municipale armée.
Une différence tout de même: là où Rachida Dati promet de multiplier par trois la vidéosurveillance, Agnès Buzyn veut la quadrupler. (Vidéosurveillance qui s'appelle désormais vidéoprotection, parce que qui veut être surveillé quand il peut être protégé?)
Agnès Buzyn, elle sait vous envoyer du rêve avec des promesses simples: «Nous créerons un fonds d'aide financière à la pose d'une porte blindée sécurisée.» Relisez bien cette phrase, savourez-la. Est-ce qu'on n'y voit pas toute la puissance et la beauté de la Politique?
Dans le registre «on est de droite», on peut encore citer «déléguer l'intégralité de la collecte des ordures ménagères au secteur privé» et ce bien beau paragraphe sur la responsabilité: «Nous croyons en une politique de réparation “Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies”: en lien avec la justice et le rectorat, nous faciliterons le recours aux travaux d'intérêt général pour les petits délits et les incivilités du quotidien. Nous proposerons des milliers de travaux d'intérêt général dans la restauration collective (cantines des agents), l'entretien des Vélib', des espaces verts, le nettoyage des rues…»
Dans le même genre, on désignera dans chaque quartier une personne super chiante qu'on appellera «manager de rue».
La proposition suivante est-elle de droite? Je vous laisse juge: «Nous travaillerons avec les collèges parisiens pour faire en sorte que des collégiens puissent devenir gardiens de la mémoire, en leur confiant par exemple la garde de drapeaux d'anciens combattants.» (En fait, je ne comprends même pas de quoi elle parle, quels drapeaux, mais comme je ne vote pas à Paris, je m'en fiche.)
Est-ce que tout cela ne rend pas la ville du futur hautement désirable? Il vous manque peut-être encore ça: «Nous réorienterons 5 à 10 millions d'euros des crédits de l'année vers l'investissement dans la propreté, pour équiper les agents d'aspirateurs pour les trottoirs ou de machines laveuses-aspiratrices.»
Côté écologie, par contre, elle a pas l'air étouffée d'inspiration. Pour fluidifier la circulation à Paris, elle propose plus de places de parking (oui oui) et ceci: «Des affichages lumineux au sol permettent de modifier les règles de circulation et de stationnement au cours de la journée. Ainsi, une aire de stationnement pourra être réservée aux livraisons en heures creuses en semaine, aux personnes en situation de handicap le reste du temps, et devenir piétonne à la sortie de l'école.» Ça va encore être un beau bordel, ça…
Agnès Buzyn remporte tout de même une palme, celle de l'expression qui claque pas mal mais qu'on n'a pas trop développée dans le programme: un plan Marshall pour le commerce de proximité. Bam.
La «ville du quart d'heure» d'Hidalgo
Et il nous reste Anne Hidalgo. Autant vous prévenir, là, on ne joue pas dans la même catégorie. Finies les voisines de palier qui rouspètent, bonjour le Martin Luther King du programme municipal. Ce que Anne Hidalgo nous propose, c'est tout simplement de changer la ville. Entièrement. Au point où on en est, on pourrait presque la débaptiser et la renommer Lutetialgo.
Chez Hidalgo, on a décidé de rêver en grand. On ne peut pas reprocher à son programme de manquer d'ambition. En gros, elle veut révolutionner la ville avec le concept de la «ville du quart d'heure», mis au point par Carlos Moreno, selon qui l'éclatement spatial des villes n'a que des effets négatifs –les bureaux à l'ouest, les habitations à l'est, etc.
Il ne faut pas des transports plus rapides, il faut recentraliser la vie. Il s'agit de recréer une ville où tout sera à un quart d'heure maximum: travail, médecins, librairie, courses, école, équipement sportifs et culturels. Dans sa lancée, Anne Hidalgo promet que l'ensemble des Parisien·nes vivront à 200 mètres d'un espace vert.
Il faut donc faire de chaque quartier un petit village le plus autosuffisant possible, où les décisions seront prises en commun, sous l'égide d'un chef. (C'est les Schtroumpfs, en fait.) Et la capitale de chaque quartier, ce sera l'école. (C'est dit mot pour mot dans le podcast du programme de Hidalgo.) (Oui, son programme est disponible en podcast… Mais contractuellement, travaillant à Slate, j'ai interdiction de faire des blagues sur la mode du podcast.)
En parlant de l'école justement, la cour sera en pleine terre (et donc dé-bétonnée). Le week-end et pendant les vacances, les écoles se transformeront en jardins ouverts au public. Elles deviendront des lieux pour se reposer, lire ou jouer. (Ce qui renforcera le rôle de l'école en tant que capitale du quartier.) Est-ce la peine de préciser qu'à la cantine, il y aura 100% d'alimentation bio et durable?
Il y aura également un service public de l'après-école –dans les autres villes, on appelle ça le centre de loisirs. Ah non, excusez-moi, ce ne sera pas un centre de loisirs, parce qu'au centre de loisirs, comme activités, on a jeux de société, foot ou Maître Gims. Au service public de l'après-école, on aura couture, bricolage ou rhétorique. Au collège, il y aura un programme «Tous au collège, c'est les vacances» (non, je n'invente rien), pour que les jeunes viennent y pratiquer des activités sportives.
Il y aura aussi une police municipale, mais seulement avec des armes de défense, parce qu'on est de gauche et qu'on veut privilégier la confiance.
Il y aura également une forêt urbaine devant le parvis de l'Hôtel de Ville, à Gare de Lyon et Opéra. Les fontaines seront ouvertes à la baignade.
La ville visera le zéro déchet, il y aura même l'organisation du compostage des 100.000 couches jetables utilisées chaque jour dans les crèches. En parlant des crèches, il y aura 4.000 nouvelles places.
C'est pour ça que j'aime avec passion les programmes électoraux des municipales: brusquement, tout devient possible, la vie s'illumine, la joie dégouline, le bonheur nous colle aux chaussures. C'est beau.
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.