Santé / Monde

Quelques jours dans le nord de l'Italie où plane le coronavirus

Temps de lecture : 3 min

Quand on aura vaincu l'épidémie, on se rendra compte qu'on n'aurait pas dû s'enfermer chez soi.

Les gens restaient chez eux avantl l'épidémie|, sans que cela ne gêne personne. | Daniel Fazio via Unsplash
Les gens restaient chez eux avantl l'épidémie|, sans que cela ne gêne personne. | Daniel Fazio via Unsplash

J'ai vécu pendant dix ans loin du pays où je suis né, à savoir l'Italie, et pendant cette décennie pas mal de choses ont changé de l'autre côté des Alpes.

Je suis revenu y vivre récemment, pour écrire un livre sur la nouvelle cuisine italienne et sur la culture des trattorie, et je n'ai pas pu m'empêcher d'observer certains changements. (Le livre en question est sorti en italien la semaine dernière et il sera traduit en français l'année prochaine, mais c'est pas ça la question.)

Il y a une chose qui m'a perturbé plus que les autres dans l'Italie d'aujourd'hui: les gens ne se rencontrent plus. Surtout à la campagne et dans les petites villes de province comme celle d'où je viens. On ne comprends pas pourquoi: plus personne à l'église, plus personne dans les club des retraités, plus personne dans les cercles récréatifs divers dont j'avais le souvenir. Je demande pourquoi aux locaux, et la réaction est tout le temps la même, un haussement des épaules qui se traduit par un «ah oui, c'est vrai: je sais pas».

J'ai quitté il y a dix ans ma campagne parce que je la trouvais naze, et aujourd'hui je l'ai trouvée encore dix fois plus naze. Les gens s'ennuient, et ils semblent –pour la plupart– complètement résignés à cet ennui, comme on se résigne au fait que dehors il pleut.

Ce portrait de mon pays d'origine, c'était avant le coronavirus.

J'ai passé le début de cette semaine à Milan, un peu enfermé et orphelin des bars, qui étaient clos par une ordonnance départementale de précaution.

Le foyer de contagion du coronavirus a démarré, il paraît, dans une petite ville de campagne au sud de Milan qui se situe à 10 kilomètres de la maison de mes parents. Je n'ai donc aucune intention de minimiser l'affaire: on ne peut pas dire grand-chose ces jours-ci, et il serait sage que nous restions calmes, prudent·es, et que nous regardions les réseaux sociaux le moins possible.

Au-delà du danger réel –que nous ne pouvons pas quantifier à l'heure actuelle–, je crois que ce qui nous marquera pour de vrai, c'est le sentiment d'avoir vécu collectivement cette épidémie, que celles et ceux qui étaient présent·es garderont en mémoire, une fois que ce sera fini.

C'est la deuxième fois que je ressens cette sensation particulière dans ma vie. La fois précédente, c'était il y a cinq ans, pendant les jours qui ont suivi l'attentat du Bataclan, que j'ai passés à travailler dans un petit restaurant à 200 mètres de La Belle Équipe. Comme on ne voulait pas interrompre notre activité, malgré la grande peur, on a choisi de s'y rendre quand même le lendemain matin et d'ouvrir les portes de notre bistrots. On savait très bien qu'on allait avoir quasiment aucun·e client·e, parce que personne ne voulait sortir de chez soi. Mais nous avons ouvert quand même parce qu'il y avait un sens dans le fait d'être là: il fallait donner aux gens la possibilité de se voir, de se regarder dans les yeux, dans un lieu public et commun.

Depuis quelques jours, se rencontrer et se voir en public dans le nord de l'Italie est devenu problématique. Le choix des institutions dans la gestions de la crise ne se discute pas dans ce genre de moments: on pourra les critiquer –même durement– mais il faut garder ça pour plus tard.

On peut aussi s'activer pour mieux comprendre, et plein de gens l'ont fait et sont en train de le faire en Italie depuis lundi. Par exemple, la fermeture administrative de tous les bars a finalement été révoquée au bout de deux jours, entre autres à la suite d'une grande initiative collective des professionnel·les du secteur. On peut réfléchir et demander avec lucidité de trouver des solutions aux conséquences humaines et économiques de certains choix, parce que ces derniers ont dû être faits très vite.

Je ne suis pas en train de dire que dans la restauration les gens sont plus importants que les autres: chacun·e doit travailler dans son petit bout de monde et le mien est celui des lieux publiques qui servent à boire et à manger, voilà.

J'ai consacré l'année passée à raconter des lieux où les gens se rencontrent et sont bien ensemble en Italie, en ville et à la campagne. Sortir à Milan est facile, comme il est aisé de sortir à Paris, à Lyon ou à Marseille.

Je pense, au contraire, à tout le reste du pays (et à d'autres qui lui ressemblent beaucoup, comme la France), où les gens ont arrêté de se rencontrer bien avant le virus, et cela sans que personne n'y ait vu le moindre problème.

Je me demande si cette épidémie ne pourrait pas être une occasion aussi, quand ce sera fini. Ne pas sortir de chez soi parce qu'on a oublié de le faire est une chose: mais ne pas sortir parce que c'est potentiellement dangereux, voire interdit, c'est tout à fait différent. Quand on pourra à nouveau sortir sans la moindre inquiétude, on se rendra peut-être compte que c'était franchement très bête de nous enfermer chez nous pendant les longues années qui ont précédé le coronavirus.

Et donc on sortira.

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