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Servez-moi un RSS bien tassé, s'il vous plaît!

Temps de lecture : 5 min

Marre des fils RSS tronqués qui ne permettent pas de lire les articles en entier.

Il y a quelques jours, lorsque le webzine américain Gawker a tronqué ses flux RSS pour ne plus faire qu'apparaître un paragraphe suivi d'une invitation à cliquer vers l'article complet, Felix Salmon, dont le blog est hebergé chez Reuters, a ressorti son argumentaire de 2007 pour critiquer Nick Denton, le fondateur de Gawker et responsable de cette nouvelle politique du RSS.

Denton a répondu brièvement à ses détracteurs, invoquant la nécessité de faire cliquer les lecteurs pour les rediriger vers le site, là où se trouvent les pubs et donc là où Gawker se fait de l'argent. Mais Salmon est un dur à cuire, qui aime ses RSS complets parce qu'ils lui donnent une vision panoramique et efficace du contenu qui se trouve en ligne. De plus, il est convaincu que satisfaire les dévots du RSS, ça rembourse les dividendes, et pour étayer son argument cite le Guardian, qui indique que le passage à des articles complets dans ses RSS en 2008 a contribué à l'augmentation du nombre de visiteurs uniques mensuels, passé de 25 à 37 millions en 18 mois.

Mes recherches sur le sujet sont sommaires, mais je peux vous dire une chose: si les RSS complets n'existaient pas, je lirais sans doute moitié moins d'articles sur Internet. Je compte sur mes flux RSS pour me prévenir quand un nouveau papier vient d'être publié, organiser mes lectures, et me donner un moyen d'archiver simplement des articles que j'aurai envie de relire plus tard. Bien sûr, tout cela pourrait être amélioré, mon collègue John Dickerson par exemple, aimerait bien pouvoir utiliser des codes couleur dans son Google Reader, filtrer du contenu par mot-clé, et ajouter des icônes — et je suis tout-à-fait d'accord avec lui. Mais pour les lecteurs acharnés, les RSS rendent la lecture online aussi simple qu'escalader l'Aiguille du Dru avec une mule et un sac d'enclumes sur le dos.

Ah le bon vieux temps...

Lire sur le Web n'a pas toujours été une corvée: à une époque, les éditeurs ne coupaient pas les articles en plusieurs pages, ne nous bombardaient pas de barres de navigation et de liens vers d'autres papiers, il n'y avait pas de pubs en auto-play à vous faire sursauter sur votre siège et saigner les oreilles, et personne n'avait besoin d'installer d'ad-blockers. Ni barre d'outils, ni boutons vous invitant à imprimer, commenter, envoyer par mail ou partager un article sur Facebook, Twitter, Digg, ou Reddit ne distrayaient la lecture. On pouvait lire et naviguer d'article en article sans jamais se sentir agressé. Aujourd'hui, tout a changé, et à ce rythme-là, les articles auront bientôt disparu du Web pour céder leur place aux pubs, barres de navigation, gros titres et autres liens vers différents sites de réseaux sociaux où chacun pourra «partager» ce grand n'importe quoi!

Mon engagement vis-à-vis des RSS est si total qu'il y a quelques années, lorsque Slate a évoqué la mise en place d'un flux, j'ai tout de suite commencé à coder le mien — pour la rubrique Press Box — en utilisant IceRocket. J'ai un peu honte d'avouer aujourd'hui que mes flux faits maison étaient tronqués, mais je n'avais pas le droit de publier les articles dans leur intégralité. Lorsque Slate.com a finalement franchi le Rubicon, le magazine a adopté une position Denton-esque en amputant ses articles — et c'est toujours le cas aujourd'hui (NDLR: le flux RSS de Slate.fr est lui complet). Mais comme cette stratégie rétrograde ne s'étend pas à tous les sites du Washington Post, on peut espérer qu'un jour Slate verra clair. The Big Money, par exemple, un autre site du groupe, offre un flux RSS complet, ce qui me facilite la tâche quand j'ai envie de lire mes journalistes préférés (Marion! Chadwick! Matt! Kevin!). Un plaisir plutôt qu'une corvée. (Ne le répétez pas au chef, mais si TBM n'avait pas de flux RSS complet je crois que je lirais le site beaucoup moins souvent, las de me battre avec leur pagination frénétique et une navigation bien compliquée.)

Se battre contre la marée

La pureté presque livresque du RSS complet explique en partie sa disparition. Même s'il est possible de mettre des pubs dans un flux, les éditeurs préfèrent concentrer leurs efforts sur les pages familières, colorées et chatoyantes de leurs sites, c'est plus rassurant. (James Ledbetter s'est d'ailleurs intéressé au business des flux RSS, ses avantages et inconvénients, dans un très bon papier publié sur The Big Money en 2009.) Les éditeurs Web — même les extrêmistes comme Denton — craignent leurs abonnés RSS de la même manière que les diffuseurs craignent les téléspectateurs qui possèdent un enregistreur numérique. Puisque le contenu est «gratuit», on estime que lecteurs et spectateurs ont une obligation morale de supporter les lumières stroboscopiques et le tintamarre des publicités, et qu'ils n'ont de toute façon pas d'autre choix que de subir la punition.

Se plaindre de flux RSS tronqués c'est sans doute aussi vain que se battre contre la marée. Et pourtant, il y a un espoir. Depuis que Denton a amputé les flux des sites Gawker, j'ai lâché le blog gadget-tech Gizmodo pour Engadget, son équivalent et rival, mais qui propose un flux RSS complet. La philosophie de Gawker va finalement générer du trafic vers des sites concurrents qui offrent eux l'intégralité des articles dans leurs flux, comme The Awl, par exemple. (Oui, je sais qu'il existe un flux RSS VIP «secret» pour Gawker, mais je refuse par principe de l'utiliser. Ou du moins je refuse d'avouer que je l'utilise.)

Difficile de savoir vraiment si le succès de Twitter et Facebook s'explique par la sobriété et la concision du flux d'infos généré par ses utilisateurs, qui vous dirige directement vers les articles qui pourraient vous intéresser — une rareté sur le Web version 2010, saturé et tonitruant. Et vous avez déjà remarqué que la majorité des liens postés sur ces sites sont les versions «une page» ou imprimables et donc sans pubs des articles? À chaque fois qu'un lecteur partage un de ces liens-là plutôt que l'URL proposée par l'éditeur du site, il frappe un grand coup contre ce Web frustrant et anarchique.

Y a pas que le HTML dans la vie

Permettez-moi de conclure en revenant au billet publié par Felix Salmon la semaine dernière. Dans son papier de 2007, il cite le point de vue de Mike Masnick, fondateur de Techdirt, et du blogueur Robert Scoble, qui tous deux soutiennent que les flux RSS complets, bien plus compréhensibles que n'importe quelle page Web un peu sophistiquée, augmente les chances qu'un article a d'être lu et surtout partagé par ses lecteurs. Comme le souligne Salmon, il parcourerait volontiers des tonnes de contenu dans le flux RSS d'un site qu'il n'essaiera pourtant jamais de lire sur le Web. Les RSS peuvent aussi être consultés hors-ligne, ce qui, comme l'explique Salmon, augmente leur influence.

Tant que j'y suis, permettez-moi également de voler la conclusion de Salmon, qui écrit que les éditeurs «devraient cesser de considérer les sites Web uniquement comme tels, et commencer à penser l'Internet de manière plus globale, non seulement le HTML mais aussi le XML, et tout ce qui leur permettra d'offrir du contenu à leurs lecteurs».

Chaque fois qu'un site Web se fait plus difficile à lire et à parcourir, il court le risque de perdre un fan. Alors, Nick, vous allez changer d'avis et me laisser lire vos sites correctement, ou est-ce que je dois tirer un trait sur notre relation?

Addendum: @angliobibliofile m'indique qu'il existe un script Greasemonkey pour Firefox qui permet de transformer des RSS tronqués en flux complets dans Google Reader. Indispensable. Une autre solution, fivefilters.

Il y a aussi des tas de scripts Greasemonkey assez cool et qui font disparaître les pubs et les barres de navigation de sites assez connus, pour que vous puissiez enfin vous entendre lire. Mais ce sera l'objet d'un prochain article. (Ce billet de Merlin Mann m'a fait rire, allez le lire.)

Jack Shafer. Traduit par Nora Bouazzouni

Photo: un logo RSS dans une fontaine, Flickr CC licence by, Orin Zebest

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