«Je me souviens que lorsqu'on m'a parlé de foot féminin, ma première réaction a été de me dire: Qu'est-ce que c'est que ce sujet? J'en ai rien à faire.» C'est ce que pensait Johanna de Tessières en 2018. Voici ce qu'elle en dit après avoir travaillé sur le sujet. «C'est passionnant. Le football féminin est un miroir de notre société. À travers le foot, tu peux raconter dans chaque société comment ça se passe pour elles. Ça a été une excuse pour rentrer dans la vie des femmes et en rendre compte.»
Le travail de la photojournaliste française installée à Bruxelles et celui de ses collègues du collectif Huma offrent, en effet, un joli tour du monde du foot féminin. Composé de quatre photojournalistes (Virginie Nguyen Hoang par ailleurs footballeuse, Olivier Papegnies, Frédéric Pauwels, Johanna de Tessières) et d'une rédactrice (Laure Derenne), ces dernièr·es sont allé·es recruter trois journalistes au mercato: Sabine Verhest, Valentine Van Vyve et Aurélie Moreau.
À l'heure de la tyrannie du clic, grâce au fonds pour le journalisme et à un crowdfunding, ils et elles ont misé sur l'esprit d'équipe pour parvenir à réaliser le projet «What the Foot?!» et barouder dans treize pays. Les clichés affichés au centre du photojournalisme Géopolis de Bruxelles montrent ces femmes et ces filles qui, en courant après un ballon, aspirent à s'affirmer.
«Éviter de victimiser les femmes»
En Argentine, Laure Derenne et Olivier Papegnies ont, par exemple, suivi le combat féministe de Macarena Sánchez Jeanney qui a milité pour que les footballeuses deviennent pros. Grâce à son abnégation, notamment, les seize clubs de D1 ont aujourd'hui l'obligation de faire passer au moins huit joueuses sous statut professionnel. Au cœur de la Villa 31, quartier défavorisé de Buenos Aires, les footeuses quittent, aussi, la cuisine et reprennent l'espace public.
À Bruxelles, Johanna de Tessières et son collègue Frédéric Pauwels sont allés à la rencontre des RWDM Girls, le club de Molenbeek. En 2010, elles n'étaient que trois à écouter les consignes de Ramzi Bouhlel, le cofondateur de l'équipe. Aujourd'hui, 300 filles font des petits ponts et des passements de jambe sur le terrain synthétique de la ville.
Le fait de travailler sur cette commune tristement célèbre depuis les attentats de Paris et de Bruxelles, et d'en donner «une autre image» est «très important» pour elle. La photojournaliste, qui donne également des cours de photo la Maison des cultures et de la cohésion sociale de Molenbeek, a fait la connaissance d'Asmae, 19 ans, entraîneuse de boxe, de football et qui suit des études d'éducatrice.
«Elle est voilée, mais ce n'est pas du tout une femme soumise. Ce n'est en rien une victime. On essaye, d'ailleurs, d'éviter de victimiser les femmes dans nos reportages. On évoque leurs problèmes, évidemment. Mais ce qu'on montre, c'est la résilience. Comment elles vont s'organiser, lutter contre ça, comment elles vont réussir. Quand tu laisses les gens dans un rôle de victime, c'est une étiquette que tu leur colles.»
Comme son amie Asmae, «Coach Yousra», pratique la boxe et encadre les petites du club. | Frédéric Pauwels / Collectif Huma
Avec Valentine Van Vyve, elles ont, aussi, suivi des pionnières jordaniennes qui militent aujourd'hui pour que les générations suivantes puissent enfiler un maillot. Dans ce pays musulman, la question du port du voile est évidemment très importante. Président de la Fédération jordanienne de football, le prince Ali Bin Al Hussein a fait des pieds et des mains pour que la fédération internationale revienne sur sa décision d'interdire le port du voile sur les pelouses de football.
«J'imagine que cette interdiction de la FIFA avait été prise dans l'idée de lutter contre la discrimination des femmes, de les libérer mais en étant finalement en décalage par rapport aux réalités culturelles. Personne n'a enlevé son voile et les filles sont restées chez elles. On a parlé avec Shaynaz, un des meilleurs éléments de l'équipe nationale jordanienne et qui pendant cette période a dit: “Moi, je reste chez moi. Je ne veux pas céder au chantage, je déteste qu'on me fasse choisir entre ma foi et mon sport.”»
Haneen Al Khateeb et Yasmeen Shabsough, bruyantes, rieuses et colorées, assistent au match amical entre la Jordanie et l'Arabie saoudite. | Johanna de Tessières / Collectif Huma
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Plus que du foot
À l'instar de Felicite Rwemarika qui s'est battue pour monter la sélection rwandaise afin que les femmes s'éloignent des horreurs du génocide, plusieurs initiatives ont été mises en place autour du foot féminin en Afrique.
Au Bénin, seize équipes ont été créées. Dans le nord du pays, Olivier Papegnies et Laure Derenne (nominés d'ailleurs pour le prix World Press Photo) ont suivi les «Gazelles de Gouandé» qui cartonnent sur le terrain. Ces rassemblements permettent aux filles d'aborder, en marge du sport, la question des mariages forcés et celle des grossesses précoces. Dans cette zone rurale, 31% des adolescentes (15-19 ans) avaient déjà été mariées ou enceintes d'un premier enfant.
Virginie Tchari joue devant sa maman Bélassé. Cette dernière est l'une des premières mères à avoir encouragé sa fille à rejoindre l'équipe. | Olivier Papegnies / Collectif Huma
Même combat en Inde où Virginie Nguyen Hoang et Sabine Verhest sont parties au Jharkhand, l'un des États les plus touchés par le trafic d'enfants. Le duo a fait la rencontre de Nagi, Rinky et des autres filles de la Yuwa School à Hutup. Dans ce pays où le cricket est roi, un couple américain (Rose Thomson et Franz Gastler) a misé sur le football pour les amener sur les bancs de l'école.
Depuis 2008, 150 filles jouent au foot et apprennent l'anglais au sein de l'école Yuwa. | Virginie Nguyen / Collectif Huma
Allier ballon rond et éducation, c'est ce qu'aimeraient, aussi, faire les membres du collectif Huma. Leur but: que les textes et les photos du projet servent aux élèves belges. «Le journalisme a ses limites. On veut aller dans le sens de l'éducation permanente, on ne veut pas juste publier des belles photos et de jolis textes. Par exemple, notre travail fait déjà partie d'un outil pédagogique distribué dans 700 écoles sur le genre, pour débattre sur l'égalité homme-femme dans le sport. Ça touche beaucoup de gens. On en a fait quelque chose, je pense, de beau, de positif, d'inspirant, de joyeux tout en touchant des sujets qui ne le sont pas forcément.» Leur travail est exposé jusqu'au 15 mars à Bruxelles et dans un futur plus ou moins proche, sans doute ailleurs.