Appelez-vous encore les autistes «Asperger»? Oubliez cette dénomination, les premiè·res intéressé·es n'en veulent plus. Ce terme, qui a été popularisé dans les années 1980 par Lorna Wing, est aujourd'hui en train de tomber en désuétude, chez les médecins comme chez leur patientèle. Pour les premiers, elle ne revêt plus aucune réalité scientifique, tandis que la seconde ne veut plus être associée à un médecin responsable de déportations.
Le terme «Asperger» est aujourd'hui sujet à de nombreuses controverses. S'il commence (enfin) à être connu du grand public, il n'est quasiment plus utilisé par les médecins, qui lui préfèrent la classification de TSA pour Trouble du spectre de l'autisme. «Dans mon service, “Asperger” n'est plus un terme officiel», explique Alexandre Yailian, médecin hospitalier en charge d'une unité pour les adultes autistes à Montpellier. Au sein de cette unité, le mot «Asperger» n'est plus prononcé que lors des compte-rendus de diagnostics, entre parenthèses, pour que les patient·es comprennent bien de quoi il s'agit.
«À part ça, ce n'est plus tellement un terme que j'utilise vraiment. Je pense que, naturellement, on va parler de plus en plus de TSA, de l'anglais ASD pour Autism spectrum disorder. C'est sûrement le terme qui va être utilisé à l'avenir, comme on utilise TDAH, trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité, quand on parlait d'hyperactivité auparavant. Aujourd'hui, quasiment plus personne ne parle d'hyperactivté, à part des médecins ou psychologues qui ne sont pas actualisés. Les choses changent, les modèles bougent», constate le médecin montpelliérain.
La notion de spectre plébiscitée par les médecins
Si la dénomination d'«Asperger» a laissé sa place au trouble du spectre de l'autisme, c'est principalement pour désigner une réalité bien plus complexe qu'une simple étiquette «autiste» à apposer sur le front des patient·es. La notion de spectre est à la fois plus précise et plus floue pour permettre aux différentes sensibilités d'exister.
En résumé, il y a autant d'autismes que de personnes autistes. Et c'est bien ce que veut mettre en avant l'idée de spectre: on peut être à une extrémité ou à une autre, plus ou moins dans la norme ou dans l'autisme. La seule distinction désormais valable est celle de l'autisme avec ou sans déficience intellectuelle, autrement dit en-deçà et au-delà de soixante-dix points de quotient intellectuel.
«Être Asperger, c'est avoir un QI normal, sans retard de langage ou dans les apprentissages dans l'enfance.»
Autrefois, la classification d'«Asperger» désignait les autistes sans déficience intellectuelle. Mais cette dénomination n'était pas claire, car la plupart des gens avait tendance à prendre les Aspies (diminutif d'Asperger) pour des génies, ce qui est loin de la réalité. «En fait, il n'y a que 10% des personnes avec un trouble du spectre de l'autisme qui ont un haut potentiel intellectuel. Donc ce n'est pas la majorité, explique Alexandre Yailian. Pendant très longtemps, je recevais des personnes et leur disais qu'elles étaient Asperger. Elles me répondaient: “Mais non, je n'ai pas un QI élevé.”»
Si ce n'est «qu'être Asperger, c'est avoir un QI normal, sans retard de langage ou dans les apprentissages dans l'enfance, précise-t-il. Il y a une confusion entre plein de termes: autisme de haut niveau, autisme Asperger, trouble envahissant du développement».
Un psychiatre nazi responsable de nombreuses déportations
Le terme d'«Asperger» tombe aussi aux oubliettes en raison d'un critère plus historique que scientifique. C'est Hans Asperger, psychiatre autrichien né en 1906, qui a donné son nom au syndrome qui nous intéresse. Il a été popularisé dans les années 1980 par la psychiatre britannique Lorna Wing. Sauf que ce monsieur, qui a vécu dans l'Allemagne nazie, est aujourd'hui accusé d'avoir fait le tri entre les autistes considéré·es comme récupérables, du fait de leur QI élevé, et les autres qui étaient bon·nes pour la déportation.
«C'est lui le premier qui a mis en évidence ces profils particuliers d'enfants dans les années 1940, qu'il appelait les “petits professeurs”.» Il voulait leur éviter la déportation en leur mettant une étiquette «sauvable» ou «pas sauvable». Mais il a aussi signé plein d'actes de déportation d'enfants qui avaient des déficiences. Du coup, il y a beaucoup de personnes qui disent «Non, je ne veux rien à voir avec ce médecin qui participait à la déportation»», précise le médecin hospitalier Alexandre Yailian.
Une classification sans réalité tangible?
Pour Amélie Tsaag Valren, elle-même autiste, ce passé nazi n'est pourtant pas ce qui la dérange le plus. «Un argument beaucoup utilisé pour supprimer le terme d'“Asperger” est celui du passé nazi de Hans Asperger.» Elle poursuit: «Personnellement, je n'ai pas d'origine juive et je ne suis pas du tout concernée par cette problématique-là. Cependant, ce qui me dérange vis-à-vis des expériences menées par Hans Asperger c'est qu'elles visaient, à l'origine, à effectuer un tri entre les patients, entre ceux qui étaient capables de recevoir, entre guillemets, les lumières du national-socialisme et les autres qui étaient considérés comme irrécupérables. C'est une approche qui est à combattre», détaille-t-elle.
Pour elle, c'est clair et limpide: le syndrome d'Asperger ne doit plus exister. «Je pense qu'il faut absolument supprimer le terme. Pas seulement en raison du contexte dans lequel il a été utilisé, mais aussi parce qu'il ne recouvre aucune réalité objective», explique-t-elle.
Les autistes peuvent évoluer
«La raison pour laquelle on a créé le concept de spectre de l'autisme repose sur le fait que l'on a des enfants qui peuvent avoir un profil très handicapé ou très sévère dans la petite enfance qui, plus tard, deviennent relativement autonomes et capables de parler. Souvent, ces personnes peuvent mieux gagner leur vie que d'autres qui étaient pourtant considérées dans leur enfance comme moins lourdement handicapées. Ça explique quelque chose de très intéressant sur le spectre de l'autisme et gangrène cette idée qu'on serait prédéterminé dès la naissance par nos gènes à tel ou tel destin», poursuit Amélie Tsaag Valren.
C'est bien cette idée de non-détermination que veulent mettre en avant les personnes autistes. «Ce que je voudrais vraiment, c'est qu'on prenne en compte l'évolutivité des personnes, le fait qu'aucun être humain n'est condamné dès la naissance, à moins de naître vraiment avec une maladie génétique mortelle, ce qui n'est pas le cas de l'autisme», insiste Amélie Tsaag Valren.
«Ce que je voudrais vraiment, c'est qu'on prenne en compte l'évolutivité des personnes.»
«Le fait de retirer le terme “Asperger”, finalement, permettrait de dire qu'une personne peut naître avec le biais génétique qui prédispose à l'autisme, mais que cela ne prédit en rien comment elle va évoluer.» C'est bien ce que veut mettre en avant la notion de spectre, cette idée qu'une même personne peut se trouver à différents gradients en fonction des périodes de sa vie, avec plus ou moins de facilités pour communiquer oralement, pour reconnaître ses émotions ou pour apprivoiser son hypersensibilité.
Cela correpond à une position tolérante sur les capacités de chacun·e, à l'heure où se tient un débat sur l'inclusion ou non de l'autisme dans les affections graves pouvant entraîner une interruption médicale de grossesse.
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Tenir à sa spécificité
À l'inverse des abolitionnistes, certain·es estiment que le syndrome d'Asperger a encore toute sa place dans notre société. En France, on compte plusieurs associations de patient·es et de familles dont le nom comporte encore le terme d'“Asperger”. «Je ne sais pas s'il faut arrêter d'utiliser ce terme, même s'il y a beaucoup de controverses actuellement. Tout le monde utilise ce terme-là, en particulier les personnes autistes elles-mêmes, qui utilisent souvent le diminutif “Aspie”», précise Alexandre Yailian.
Pourquoi vouloir conserver la spécificité du syndrome d'Asperger? Pour se distinguer des autistes les plus sévères, précisément. «Il y a une partie des personnes autistes qui ne se reconnaissent pas de parenté avec un enfant non verbal très sévèrement handicapé –le terme très péjoratif qu'on peut entendre c'est “un enfant qui se tape la tête contre les murs”», admet Amélie Tsaag-Valren. Une approche qui ne lui correspond pas, mais qu'ont encore bon nombre de personnes diagnostiquées autistes sans déficience intellectuelle.