Que l'annonce par Total de la suppression de 555 postes dans le raffinage et la pétrochimie d'ici 2013 ait été une grossière erreur de communication, personne ne le contestera. Comment ne peut-on pas réaliser qu'après avoir rendu public un résultat net historique de 13,9 milliards d'euros en 2008, supprimer des postes dans l'un des pays le plus traumatisé - mais pas le plus touché - par la crise économique et financière planétaire allait provoquer une polémique? La maladresse a été jusqu'à informer par avance la plupart des décideurs politiques, de l'Elysée à Laurent Fabius (député de Seine-Maritime), mais d'oublier au passage, funeste erreur, Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi qui s'est répandu en imprécations. Mis au pilori l'an dernier quand le prix des carburants flambait et lors du procès AZF il y a quelques jours, Total a bien un sérieux problème de communication.
Pour autant, la polémique sur les suppressions de postes est sans réels fondements. D'abord, parce que les bénéfices gigantesques et choquants de Total sont le reflet d'une période révolue, celle, pas si lointaine, où le baril de pétrole atteignait des sommets historiques à 150 dollars ce qui mécaniquement dégageait des plus-values instantanées et colossales dans les comptes des compagnies pétrolières.
Mais surtout, parce que supprimer 555 postes - il ne s'agit pas de licenciement, il faut le marteler - fait partie de la gestion normale de toute entreprise. Elle ajuste ses activités aux besoins de son marché et à la technologie. Total transforme son outil industriel et investit dans les trois prochaines années en France un milliard d'euros dans le raffinage et la pétrochimie, ce qui créera plus de 1.000 emplois en moyenne par an, de 2009 à 2011. Le groupe pétrolier prend simplement acte dans ses décisions industrielles du fait que les Français consomment moins d'essence et plus de diesel... qui va s'en plaindre.
Il ne s'agit pas ici de se faire le défenseur des entreprises qui seraient par essence vertueuses. Ce n'est pas vrai, et certainement pas pour Total en particulier et les groupes pétroliers en général qui en dépit de campagnes de communication incessantes se soucient comme d'une guigne de l'avenir climatique de la planète et de la nature des régimes qu'ils cultivent assidûment pour obtenir le droit de creuser leurs puits.
Mais il faudrait qu'un jour en France, on cesse de se tromper d'ennemi. Les entreprises, à quelques rares exceptions près et aux Etats-Unis, ne sont pas responsables de la crise financière et économique. La force économique de la France tient avant tout dans ses entreprises et notamment ses champions, dont on oublie trop souvent que leur nombre et leur qualité sont disproportionnés par rapport à la taille de la France. Dans le désordre, les Michelin, Renault Nissan, L'Oréal, LVMH, Air Liquide, AXA, BNP Paribas Fortis, Suez Gaz de France, EDF, France Télécom, Airbus, Alsthom, Areva... Total sont le meilleur atout pour faire que la France contrôle encore un peu son destin économique et social dans les prochaines décennies.
Il est indispensable que ses entreprises continuent à faire des profits, à payer des impôts en France, à investir en France, à recruter en France et à conserver sur le territoire national des sièges sociaux, des centres de recherche et des usines. Le meilleur moyen pour qu'elles ne le fassent plus consiste à les stigmatiser en permanence, à accuser de tous les maux les «exploiteurs du CAC 40» et à les «contraindre» pour reprendre le mot malheureux employé par Laurent Wauquiez.
Il n'est d'ailleurs pas le seul à se laisser aller à la facilité. Nicolas Sarkozy aussi, stigmatise volontiers depuis quelques mois les entreprises. Cela permet de trouver un exutoire aux angoisses sociales et de désigner des boucs émissaires. Mais c'est irresponsable, comme la polémique autour des suppressions de poste de Total. Nous ne manquons pas en France de Don Quichotte pour attaquer flamberge aux vents des moulins à vent !
Eric Leser