Habiter à Paris, c'est s'exposer à devoir payer 10.000 euros du mètre carré si l'on veut acheter ou le double de ce que l'on paierait si l'on louait un appartement à Bordeaux, Lille, Lyon ou Marseille. Le problème n'est pas nouveau, mais il a plutôt tendance à s'exacerber. Entre le manque d'espaces disponibles pour construire des logements neufs, un nombre croissant de logements vacants ou de résidences secondaires, des taux d'intérêt bas qui encouragent l'achat et poussent les prix vers le haut, toutes les conditions sont réunies pour contraindre les ménages à consacrer une part de plus en plus importante de leur budget au logement ou à quitter Paris intra muros et à reporter le problème sur les communes avoisinantes.
«Chaque année, la ville perd 12.000 habitants. En un mandat d'Anne Hidalgo, Paris a perdu l'équivalent de la population du IXe arrondissement», clamait Benjamin Griveaux quand il était candidat officiel de La République en marche. Mais aurait-il fait mieux s'il avait été élu? Il n'allait pas jusqu'à l'affirmer. D'une façon générale, les candidat·es se gardent bien de prendre des engagements trop précis: ils et elles font des propositions sur les moyens à mettre en œuvre mais ne se fixent pas d'objectifs globaux très précis, les sachant difficiles à atteindre. Le désir de séduire le corps électoral et l'ambition n'excluent pas la lucidité.
D'un ou d'une candidate à l'autre, ces moyens peuvent se ressembler, mais des différences notables sont tout de même à signaler dans les programmes. Et la façon de les présenter donne aussi des indications précieuses sur l'état d'esprit et le caractère des principales têtes de liste. La lecture des propositions sur le thème du logement est à elle seule très éclairante.
Anne Hidalgo, la plus farouchement déterminée
La maire sortante est bien placée pour savoir que la tâche est difficile. En 2014, elle avait fait de ce dossier l'une de ses grandes priorités et le résultat est décevant. Pour elle, c'est une raison de plus de ne pas ralentir l'allure. Bien au contraire, elle veut encore accélérer. Elle a un avantage sur ses concurrent·es: elle est en place, elle a vécu sur le terrain les problèmes qui peuvent se poser à un maire bâtisseur et elle a un adjoint, le jeune élu communiste Ian Brossat, aussi déterminé qu'elle et plein d'idées. Le duo peut être volontiers provocant, comme lorsqu'il s'agit d'installer un centre d'hébergement d'urgence dans le XVIe arrondissement, mais il est suffisamment réaliste pour ne pas se cantonner aux solutions dites de gauche et savoir faire appel aux investisseurs privés quand cela s'avère nécessaire.
Lorsqu'elle a présenté le programme de sa liste Paris en commun, Anne Hidalgo a pris six engagements en matière de logement. D'abord, arriver au seuil de 25% de logements sociaux (par rapport au nombre de résidences principales) que la loi lui impose, ce qui suppose d'en construire 15.000 (Paris compte déjà environ 250.000 logements sociaux sur un total de plus de 1,1 million de résidences principales). Et l'emplacement de ces logements devrait être choisi de façon à opérer un rééquilibrage entre l'ouest et l'est de Paris (ce qui n'est pas fait pour plaire aux habitant·es de l'ouest, qui ne sont pas vraiment friand·es de logements sociaux).
Ensuite, l'encadrement des loyers, instauré en 2015, supprimé en 2017 par décision du tribunal administratif puis rétabli à partir de juillet 2019 en application de la loi ÉLAN, sera évidemment maintenu et il est prévu d'aider les locataires à faire valoir leurs droits, qui ne sont pas toujours respectés. L'encadrement des loyers, comme tous les dispositifs de contrôle des prix, n'est pas un outil économique de très grande qualité: c'est comme un analgésique qui vous aide à supporter la douleur, mais n'en supprime pas la cause. Toutefois, quand les loyers atteignent un niveau trop élevé par rapport aux revenus, il peut être utile. Les autres candidat·es à la Mairie de Paris, nous le verrons, envisagent de le garder, à une seule exception. Rappelons que, selon les statistiques de l'Insee, le logement représentait en moyenne 26,6% des dépenses des ménages en France en 2018, soit une hausse de plus de 6 points par rapport au début des années 1990; à Paris, on est souvent très au-dessus de cette moyenne nationale.
Par ailleurs, pour faire revenir dans le circuit de la location de longue durée des logements actuellement mis en location touristique, il serait organisé des référendums dans chaque arrondissement pour déterminer un nombre de jours autorisés dans l'année pour les locations via les plateformes comme Airbnb. Depuis le 1er janvier, la limite est fixée à 120 jours pour une résidence principale. Ces référendums n'auraient aucune valeur juridique, mais ils serviraient à faire pression sur le gouvernement pour obtenir une réglementation plus contraignante.
Pour les personnes qui veulent accéder à la propriété, 6.000 logements seraient proposés à un prix du mètre carré inférieur de moitié au prix de marché, soit environ 5.000 euros. Le projet est déjà lancé et 500 de ces logements devraient être commercialisés en 2022. L'idée n'est pas neuve: c'est celle du bail emphytéotique, qui repose sur une distinction entre le foncier et le bâti. Le terrain resterait la propriété d'une société foncière créée par la Ville de Paris, l'acquéreur ou l'acquéreuse ne paierait que le logement et verserait chaque mois une somme modeste (de l'ordre de 2 euros du mètre carré) pour la location du terrain. Dans les contrats de ce genre, la location est faite pour une durée limitée (en général au maximum quatre-vingt-dix-neuf ans), mais avec une foncière détenue et gérée par la municipalité, le risque de non-renouvellement est faible. Cette proposition a l'avantage d'apporter à un nombre forcément limité de foyers une solution au problème du coût du foncier dans le prix du logement neuf à Paris. La seule question que l'on peut se poser est de savoir si les capitaux ainsi immobilisés ne seraient pas plus utiles ailleurs à un plus grand nombre.
Enfin, Anne Hidalgo et son équipe envisagent de dépenser une vingtaine de milliards d'euros pour acquérir environ 30.000 logements qui seraient loués à 20% au-dessous des prix de marché. La Ville apporterait 1 milliard, 2 milliards seraient apportés par une institution du genre de la Caisse des dépôts, 3 milliards par des investisseurs privés, banques ou assurances, et le reste serait emprunté sur le marché. Là encore, l'idée est bonne: le problème majeur en région parisienne est la difficulté de trouver des appartements à loyers modérés, ce qui incite des ménages appartenant à la classe moyenne à rester dans des logements sociaux au détriment de ménages plus démunis qui cherchent en vain à se loger. En 2018, seulement 11.000 logements sociaux ont pu être attribués alors qu'il y avait près de 250.000 demandes! Il reste à savoir si les investisseurs sollicités répondront à l'appel, mais ce n'est pas impossible: l'idée de s'intéresser à ce que l'on appelle le logement intermédiaire est dans l'air du temps.
Bref, la maire sortante est bien décidée à utiliser tous les moyens possibles et imaginables pour rendre le logement plus abordable à Paris. Rien n'est laissé de côté. La conséquence est simple: elle laisse peu de place à ses concurrent·es pour développer des programmes originaux. Ses adversaires sont condamné·es à faire de l'Hidalgo, un peu plus ou un peu moins ou un peu autrement, mais pas de façon radicalement différente. Une seule réussit à se démarquer vraiment.
Rachida Dati, ouvertement et franchement à droite
De fait, seule la candidate LR refuse de se lancer dans le concours Lépine de la meilleure idée pour créer plus de logements sociaux ou intermédiaires et faire baisser les prix d'achat ou de location. Son électorat recherche plutôt la tranquillité, la sécurité et le bien-être; il n'est pas très enclin à favoriser l'installation à Paris de nouveaux venus. L'encadrement des loyers? Rachida Dati n'y est pas favorable. La création de nouveaux logements sociaux, elle n'y est pas favorable non plus. On a fait des ghettos en concentrant les logements sociaux dans trois arrondissements du nord-est de Paris? Et alors? La solution, selon elle, n'est pas de construire des logements sociaux dans les autres arrondissements, il faut au contraire mettre en vente des logements sociaux là où il y en a trop (plus de 30% du parc de résidences principales de l'arrondissement) et travailler à ce que les autres soient en bon état pour que leurs habitant·es s'y sentent bien et se comportent bien.
Éventuellement, il peut être envisagé de soutenir des familles, mais de façon sélective, par exemple en aidant pendant quelques années celles qui sont déjà locataires à Paris et veulent louer un appartement plus grand à la suite d'une naissance. Les propriétaires ne seraient pas oublié·es, par exemple en cas de besoin d'une aide juridique face à un locataire mauvais payeur et de mauvaise foi.
Cette politique très clairement de droite présente plusieurs avantages. D'abord, la priorité donnée à l'entretien des logements sociaux serait certainement très appréciée par les personnes concernées, qui ont à se plaindre d'ascenseurs trop souvent en panne ou d'autres dysfonctionnements (ce qui, il faut tout de même le préciser, n'est pas une spécificité parisienne). Penser aux propriétaires n'est pas non plus une mauvaise idée: ces dernièr·es seraient sans doute moins exigeant·es sur les garanties apportées par les candidat·es à la location en étant sûr·es de pouvoir récupérer très vite les logements occupés par des locataires indélicats. Enfin, cette politique aurait un coût budgétaire nettement plus faible que celle proposée par Anne Hidalgo.
Pour toutes ces raisons, ce programme reçoit un accueil favorable dans une partie de l'électorat qui apprécie l'aplomb de la candidate et son opposition frontale à la gauche incarnée par Anne Hidalgo.
La République en marche: le «ni de droite ni de gauche» peine à convaincre
Entre ces deux candidates très déterminées et aux positions très tranchées, occupant une large partie du terrain à droite et gauche, les autres prétendant·es ont un peu de mal à faire valoir leur différence. Dès le début de la campagne, Benjamin Griveaux s'était lancé dans une vive critique de la politique menée par Anne Hidalgo avec des arguments proches de ceux employés par Rachida Dati: c'est une politique quantitative, une politique du chiffre, qui consiste simplement à créer toujours plus de logements sociaux, en dépensant beaucoup pour un résultat décevant.
Mais ce qu'il proposait n'était guère différent. Lui aussi voulait arriver à un parc de 25% de logements sociaux, lui aussi voulait recourir à la dissociation entre foncier et bâti pour permettre l'achat de logements à des prix nettement inférieurs à ceux du marché. Comme Anne Hidalgo, il insistait sur la nécessité de remettre sur le marché des logements vacants (plus de 114.000 à Paris selon le recensement de 2016) ou utilisés pour la location touristique. Parmi les mesures concernant le logement social, il mentionnait la possibilité pour les parents d'avoir un autre logement social plus petit après le départ de leurs enfants (à l'heure actuelle, beaucoup continuent sans nécessité d'occuper un grand appartement par crainte de ne pas en obtenir un autre). Mais ce n'est pas avec des propositions de ce genre, pourtant fort utiles, que l'on fait la différence dans une campagne électorale.
Benjamin Griveaux avait alors choisi de frapper fort en proposant un apport pouvant aller jusqu'à 100.000 euros pour aider 20.000 Parisien·nes à devenir propriétaires. L'accueil a dans l'ensemble été très négatif: une telle aide ne servirait qu'à faire monter encore un peu plus les prix. Toutes les explications et précisions fournies ensuite par le candidat et ses collaborateurs n'ont pas permis d'inverser la tendance. Agnès Buzyn, qui lui succède à la tête de la liste LREM dans des conditions très difficiles, aura fort à faire pour convaincre l'électorat que son programme, qui n'est certainement pas celui de Rachida Dati, n'est pas simplement une version édulcorée de celui d'Anne Hidalgo.
David Belliard, EELV, encore plus social et plus écologique qu'Anne Hidalgo
Les Verts, qui s'opposent à Anne Hidalgo sur certains grands projets comme la tour Triangle ou la ZAC Bercy-Charenton, présentent une version plus radicale de son programme. L'encadrement des loyers serait renforcé: pendant cinq ans, ce serait un blocage pur et simple, sur le modèle de ce qui vient d'être décidé à Berlin pour deux ans. En ce qui concerne le logement social, l'objectif serait aussi d'atteindre une proportion de 25% du parc total en 2025, mais en préparant la suite pour arriver à 30% en 2030.
Mais, comme ils ne veulent pas densifier davantage la ville –ils envisagent au contraire d'interdire les tours–, les Verts proposent non pas d'ériger des constructions nouvelles, mais plutôt de faire jouer quand c'est possible le droit de préemption sur des logements existants, de préférence dans des arrondissements où il y a encore relativement peu de logements sociaux. Quand il y a des bureaux ou des logements vacants, ils songent à faire jouer le droit de réquisition. Notons par ailleurs qu'eux aussi veulent recourir à la technique du bail emphytéotique.
Ce projet est intéressant, car il marque bien le tournant qui est train de s'opérer. Au cours des dernières décennies, pour faire baisser le prix des logements à la vente ou à la location, les urbanistes et les politiques, surtout à gauche, avançaient une idée simple: occuper au maximum l'espace et construire en hauteur. Aujourd'hui, avec la montée du risque climatique et le souci de verdir les villes, les schémas envisagés sont plus complexes. Et il devient de plus en plus difficile de raisonner en restant dans le cadre du Paris intra muros. Les Verts l'ont bien compris. Mais ils ne sont pas les seuls.
Cédric Villani, le plus réfléchi et le plus pédagogue, évidemment
Le candidat dissident de La République en marche a certes adopté une tenue vestimentaire et une coiffure qui surprennent un peu moins, mais il continue à étonner. Et dans le bon sens du terme. Si l'on en croit les sondages, ses chances de devenir maire de Paris sont faibles. Mais son apport à la vie politique française ne doit pas être sous-estimé. Il faut lire son programme pour Paris, un document de plus de 200 pages qui est d'une originalité absolue.
Dans la partie consacrée au logement, il part du constat –la difficulté de se loger à Paris– chiffré et détaillé, explique pourquoi on en est arrivé là, précise ce qu'il compte faire, mais s'empresse d'ajouter qu'il n'y aura pas de miracle et dit pourquoi. Par exemple, pour le marché des locations saisonnières, il rappelle que le maire ne dispose pas de tous les leviers d'action. Et, surtout, il estime que le problème du logement ne pourrait être vraiment résolu qu'au niveau de Paris et des vingt-deux communes limitrophes, un Nouveau Paris qu'il souhaiterait construire.
On peut ne pas être d'accord avec ses analyses et propositions, la question n'est pas là. Ce qui est intéressant, c'est sa méthode, sa façon d'aborder le problème, en partant du principe que celui-ci a plus de chances d'être résolu s'il est correctement posé. La logique n'est pas réservée aux seules mathématiques! Que l'on partage ou non ses opinions, on ne peut qu'être sensible au fait qu'un homme politique respecte les électeurs et les électrices, et s'adresse à leur intelligence. Ce n'est pas aussi fréquent qu'on pourrait le souhaiter.
La conclusion à en tirer n'est pas d'un optimisme débordant: qui que soit l'heureuse ou l'heureux élu le 22 mars, le problème du logement à Paris ne sera pas résolu dans les six prochaines années. Mais on peut avoir au moins un motif de satisfaction: les Parisien·nes ont le choix entre des politiques qui peuvent avoir certains points communs techniques, mais n'en sont pas moins très différentes. Il leur revient de faire l'effort de comparer les projets qui leur sont proposés, y compris ceux qui ne leur ont pas été présentés dans ces quelques lignes.