Culture

Les documentaires musicaux, objet artistique ou simple outil promotionnel?

Temps de lecture : 7 min

Le genre a assurément la cote, au point que beaucoup de ces formats sont désormais directement produits par les artistes.

Extrait de XEU Le doc, consacré à l'enregistrement du deuxième album de Vald. | Capture écran via YouTube
Extrait de XEU Le doc, consacré à l'enregistrement du deuxième album de Vald. | Capture écran via YouTube

Ces derniers temps, il ne se passe pas une semaine sans qu'un documentaire consacré à un·e artiste ne soit annoncé et suscite illico l'impatience du public.

Arte s'en est définitivement fait une spécialité (Sting, Leonard Cohen, Depeche Mode, Stevie Wonder), Netflix également (Travis Scott, Lady Gaga), tandis que divers projets sont prévus pour les prochains mois (un documentaire sur les Beastie Boys réalisé par Spike Jonze, un autre sur Billie Eilish) et que des festivals dédiés au genre attirent toujours plus d'attention (Musical Écran à Bordeaux ou le FAME, qui s'est tenu mi-février à la Gaîté Lyrique).

Si l'on devait dégager une véritable tendance au cœur de ces multiples propositions, ce serait toutefois celle des documentaires directement produits par les labels et les artistes, souvent en parallèle à une sortie d'album: Look Mom I Can Fly de Travis Scott, Cherry Bomb de Tyler, The Creator, Homecoming de Beyoncé et, plus proche de nous, Les Étoiles vagabondes de Nekfeu ou encore Trois jours à Motorbass de Lomepal.

Tout se passe comme si, au sein d'une époque noyée dans un océan d'images, le documentaire était l'outil promotionnel ultime, celui qui permet aux artistes de se démarquer et de continuer à proposer du contenu original en flux continu.

C'est du moins ce qu'avance Matthieu Couturier, cofondateur de l'agence Grand Musique Management, qui représente Lomepal: «Les artistes s'autopromeuvent et se racontent eux-mêmes. La façon dont ils se mettent en scène aujourd'hui, ça fait partie d'un geste artistique. Il y a une continuité entre leur art et leur image. Notamment dans le rap, qui a vu apparaître ces dernières années une génération d'artistes autonomes, qui ont grandi avec des téléphones, qui ont l'habitude de se filmer et qui utilisent désormais le format vidéo d'une autre façon, avec de la mise en scène et davantage de scénario.»

Occuper l'espace

À travers le format documentaire, l'idée n'est donc plus de proposer un simple produit musical mais bien une imagerie, un univers, d'ajouter un peu de storytelling à une proposition artistique –un aspect essentiel dans un monde ultra-marketé, où les médias s'intéressent plus volontiers à un artiste quand il a une histoire à raconter, un parcours de vie.

Avec, toujours, cette envie de coller à la personnalité de l'artiste: «Pour le documentaire Trois jours à Motorbass, rembobine Matthieu Couturier, l'idée du format acoustique nous plaisait, parce qu'elle collait à Lomepal, qui avait développé son premier album en référence à un concert acoustique des Strokes. Réenregistrer ses musiques dans un tel cadre, c'était l'occasion de retrouver cette spontanéité, de s'autoriser l'échec.»

Problème: comment faire un documentaire sur un artiste qui refuse de croire que sa vie vaut la peine d'être racontée? C'est la question à laquelle ont été confrontés Kub & Cristo, réalisateurs de XEU Le doc, consacré à l'enregistrement du deuxième album de Vald.

«L'idée était de montrer ce décalage entre ce séjour à Los Angeles et cet appart où ils enregistrent l'album, entre ces sessions effectuées à l'arrache dans un placard et la naissance d'un tube aussi fort que “Désaccordé”, détaillent-ils. En gros, ça prouve que tu peux être Vald, t'enfermer avec un peu de matos dans un appart et produire un disque qui rencontre un succès national. D'un côté, on désacralise la création artistique; de l'autre, on montre un mec qui bosse, là où ça aurait été facile de faire de longues séquences dans les rues de Los Angeles... Finalement, ça offre une plongée sincère dans les coulisses du disque, avec des interventions face caméra de Vald, qui parle au spectateur comme il s'adresserait à ses fans sur les réseaux.»

Avec ses petites interventions façon Confessions intimes, Vald vient également confirmer tout l'intérêt de ces documentaires: donner au public l'impression d'entretenir une relation privilégiée avec lui, de découvrir une part de son quotidien et de son processus créatif.

Le constat est partagé par Hugo Pillard, auteur d'un documentaire de treize minutes sur Pomme, dont le deuxième album (Les Failles) vient d'être consacré «album révélation de l'année» aux dernières Victoires de la musique: «On est parti deux jours dans la maison où elle a écrit son disque. Comme on est amis, elle ne se sentait pas filmée, elle se laissait aller à des propos hyper intimes, elle faisait des vannes et elle rotait –ce qui ne plaisait pas forcément au label, mais c'était important de laisser cette séquence: ce documentaire a été réalisé pour montrer ce qu'elle est, sans filtre, à l'image de son album.»

Au moment d'évoquer ce documentaire, Hugo Pillard refuse toutefois de parler d'«outil promotionnel». Il a bien conscience de jouer le jeu d'une industrie et de produire un contenu censé favoriser la vente de disques et de places de concerts, mais le Français, également réalisateur d'un mini-documentaire sur Tim Dup, où l'on voit le chanteur aussi bien parler de sa grand-mère décédée que se mettre des cuites monumentales, croit savoir que l'ambition des artistes est tout autre.

«Il s'agit avant tout pour eux de contrôler leur image, de passer par un autre intermédiaire que les médias et de jouer avec le facteur émotionnel, plus important avec une vidéo qu'à travers une simple interview donnée dans un magazine», avance-t-il.

À titre d'exemple, citons également Orelsan, dont les neufs épisodes de son Epilogue Tour, s'étirant de trois à vingt-neuf minutes, le montre en tournée aux côtés de ses potes, invités pour l'occasion (Jonathan Cohen, Adrien Lagier, Thomas Ngijol).

La promo autour de son dernier album, La fête est finie, étant terminée depuis des mois, on peut supposer que ces pastilles vidéo n'ont d'autre ambition que de faire plaisir aux fans, qui peuvent alors partager un peu de l'intimité de leur artiste préféré.

L'intérêt est finalement le même qu'un clip, le format entre dans une logique de replay sur les réseaux sociaux, mais la réalisation est plus ambitieuse, le propos plus structuré. Surtout, c'est la preuve qu'un artiste doit désormais redoubler d'imagination pour exister médiatiquement, quitte à mettre en place une communication à 360 degrés.

Renforcer son image

D'une même voix, Kub & Cristo s'accordent sur les raisons qui incitent un·e artiste à investir le champ des documentaires: «C'est l'occasion pour eux de maîtriser les images dans un monde où ils ne maîtrisent rien. Ça reste bien évidemment de l'auto-promo, mais ça permet d'afficher une indépendance toujours plus forte et de proposer une vision, une direction. Nous, avec Vald, on ne donne pas d'explications. Un peu à la manière d'un reportage “Strip Tease”, on fait confiance à l'intelligence du spectateur. C'est à lui d'interpréter les images.»

Sur leur lancée, les deux réalisateurs précisent que les documentaires permettent à présent de sauter les échelons traditionnels et de toucher directement une large audience. Difficile de leur donner tort, quand on sait que XEU Le doc a été visionné près de 1,7 million de fois sur YouTube et qu'Au cœur de Lithopédion, une plongée dans les coulisses du troisième album de Damso, a cumulé plus de 2 millions de vues sur la plateforme: quel média peut prétendre à une telle visibilité?

La recette est d'autant plus séduisante que les coûts de production sont désormais réduits. «Le budget des documentaires réalisés pour Pomme et Tim Dup, c'est mon salaire et les éventuels tickets de train», indique Hugo Pillard. Et Matthieu Couturier d'ajouter: «Un documentaire comme Trois jours à Motorbass, c'est le prix d'un très gros clip. Ce n'est ni excessif, ni économique: c'est le budget nécessaire pour proposer autre chose que des visuels bricolés, ce qui n'est plus possible aujourd'hui.»

En France, la diffusion des Étoiles vagabondes a reboosté les ventes de l'album de Nekfeu, qui sont alors passées d'environ 10.000 à plus de 15.000 exemplaires par semaine. Il en va de même pour Look Mom I Can Fly de Travis Scott, qui a permis d'augmenter de 123% les ventes américaines d'Astroworld un an après sa sortie.

Matthieu Couturier confirme que la réception d'un documentaire tel que Trois jours à Motorbass a un impact concret sur les ventes d'albums: «On a sorti le disque de cette session à peu près au même moment que la réédition de son deuxième album, et le vinyle est rapidement devenu culte. On a fait un deuxième pressage, et c'est reparti très vite. Mais au-delà des ventes, ça apporte une seconde lecture aux œuvres, ça précise le positionnement de Lomepal en tant que chanteur: il prouve qu'il n'est pas qu'un rappeur de studio, ça crédibilise son statut de musicien.»

À chaque artiste son combat, finalement: quand Beyoncé revient sur son attachement à la culture afro-américaine dans Homecoming, M.I.A. met en lumière avec MATANGI / MAYA / M.I.A. le sort des réfugié·es et les crimes commis au Sri Lanka ces dernières décennies; quand Nekfeu expose son mal-être et sa difficulté à trouver l'inspiration dans Les Étoiles vagabondes, Through The Walls se focalise sur le quotidien du trio danois WhoMadeWho, partagé entre vie de famille, composition et tournées.

Seul problème: le risque est grand de ne plus montrer ce qui peut être gênant et de se contenter d'enchaîner les scènes sans véritable point de vue cinématographique ou journalistique.

«Tous les grands documentaires tendent à la fiction», disait Jean-Luc Godard. Thierry Villeneuve, coréalisateur avec Marc Dufaud de Daniel Darc, Pieces Of My Life, craint quant à lui de ne plus avoir affaire qu'à des reportages pavés de bons sentiments.

«L'intérêt d'un documentaire, c'est aussi de poser un regard sur un artiste. Or, on voit bien qu'aucun témoignage pouvant aller à l'encontre des artistes ne figure dans tous ces documentaires, là où en produisant Daniel Darc, Pieces Of My Life, on a pu se permettre des scènes impossibles en télé, comme lorsque Daniel Darc est en train de se piquer... Alors, oui, c'est super de voir surgir tous ces documentaires, mais est-ce que certains ne sont pas simplement là pour alimenter les réseaux sociaux? Est-ce qu'ils sont vraiment tous intéressants?», s'interroge-t-il.

À cette question, on serait bien évidemment tenté de répondre non. Sauf que la réalité est plus nuancée: si certains documentaires se contentent de faire dans le fan service, d'autres revêtent des dimensions arty, à l'image de When I Get Home, réalisé par Solange et voué à mettre en images non pas son discours, mais ses sentiments, son expression artistique.

On dépasse ainsi largement le cadre de la musique, et c'est peut-être bien cela l'essentiel. Comme le souligne Hugo Pillard, «les labels sont toujours contents d'avoir du contenu vidéo pour solliciter de nouveaux médias, mais ils ont aussi fini par comprendre que les gens n'aimaient pas être pris pour des idiots. Alors ils laissent certains de leurs artistes faire ce qu'ils veulent. Dans le clip d'“Anxiété”, par exemple, Pomme meurt noyée à la fin».

Ce qui amène Matthieu Couturier à cette conclusion: «Chaque artiste a son propre écosystème, sa propre réalité. Le format documentaire n'est donc pas adapté à tout le monde: il faut que ça fasse sens avec la musique que l'artiste incarne.»

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