«J'y vais pour gagner.» Méthode Coué ou conviction profonde, Agnès Buzyn a fait part de son credo électoral tout de suite après sa désignation surprise comme cheffe de file de La République en marche aux municipales à Paris en remplacement de Benjamin Griveaux. Elle ne pourra pas le faire en quatre semaines, ont répondu, entre les lignes, les partis de gauche et de droite, qui tiennent le haut du pavé dans les sondages électoraux face au parti majoritaire.
À la vérité, ils attendent tous le premier sondage de l'après-Griveaux. Tant les socialistes qui soutiennent Anne Hidalgo, maire sortante de la capitale élue en 2014, en tête dans les enquêtes sur les intentions de vote, que Les Républicains qui se sont rangés derrière Rachida Dati, la challengeuse qui se promet de redonner à la droite la capitale perdue depuis 2001.
Le retrait de l'ancien chef de file de La République en marche (LREM) aux municipales à Paris à la suite de la diffusion d'une vidéo privée à caractère sexuel a créé un véritable séisme politique dans la campagne électorale. Ce désistement a soulevé des interrogations sur la faiblesse des démocraties face aux attaques qui vont crescendo sur les réseaux sociaux, repoussant toujours plus loin les limites de l'abject. Il est vrai que pour celles et ceux qui les mènent, tous les moyens sont bons.
La campagne de Griveaux ne décollait pas
Si le coup de l'activiste russe, Piotr Pavlenski, réfugié en France, pays qu'il présente comme étant sur la voie de la dictature sous la conduite d'Emmanuel Macron, a été condamné par la quasi-totalité des responsables politiques, il n'en demeure pas moins que l'accident industriel qu'il a provoqué pour le parti présidentiel n'a pas dû faire pleurer tout le monde. D'un coup, le duel gauche-droite, Hidalgo-Dati, qui s'installait dans la paysage, en sortait renforcé.
Déjà handicapée par la candidature dissidente de Cédric Villani, député macroniste exclu de son parti, et la campagne chaotique de Griveaux qui ne décollait pas, LREM ressemblait alors à un canard sans tête. Et ce n'est pas la guerre souterraine naissante entre les protagonistes de remplacement qui pouvait être de nature à rassurer et à remobiliser les militant·es. La déprime risquait de s'approfondir si une décision rapide et forte n'était pas prise. Le chef de l'État, devenu en l'espèce chef de la majorité, l'a compris très vite.
Alors même qu'elle avait décliné la proposition de conduire la liste de la majorité dans le XVe arrondissement, soulignant qu'elle ne pouvait pas mener de front une campagne électorale et sa tâche très chargée –en raison de l'épidémie du coronavirus et de la crise hospitalière– au ministère de la Santé, Buzyn s'est finalement rendue aux arguments de Macron. C'est de bonne guerre, les oppositions lui ont immédiatement reproché son changement de pied, en omettant toutefois de préciser qu'elle avait parlé des actions ministérielle et électorale combinées.
Regonfler le moral, faire taire les rivalités internes
Elle a donc logiquement donné sa démission du gouvernement et elle a immédiatement été remplacée par Olivier Véran, neurologue de 39 ans et député de l'Isère. En quarante-huit heures, la déflagration a été absorbée par l'Élysée, ce qui était le seul moyen pour le président de la République de regonfler le moral des troupes, en faisant taire les rivalités internes, et de se donner une chance de gagner son pari: offrir Paris à la macronie.
La pari Buzyn de Macron peut-il réussir? «Il est risqué mais il est jouable», selon un spécialiste de la carte électorale de Paris. Comme à Lyon et à Marseille, la victoire ou la défaite se construit sur le cumul des résultats par arrondissement et tous les secteurs n'envoient pas le même nombre d'élu·es au Conseil de Paris, au terme d'un ou deux tours de scrutin. Depuis 2017, du reste, les frontières partisanes du parlement parisien ont été profondément modifiées et la fusion de quatre arrondissements centraux a diminué le nombre de secteurs.
Le système établi par une loi de 1982 dite PLM, pour Paris, Lyon et Marseille, ressemble au mode d'élection du président des États-Unis. Il peut produire les mêmes effets: avoir plus de voix que son adversaire mais moins d'élu·es. Et vice versa. Ce qui s'est déjà produit à Paris, Lyon et Marseille pendant les quatre dernières décennies. Et ce sont ces élu·es, comme dans tous les conseils municipaux, qui participent au troisième tour, celui de la désignation du ou de la maire.
Contre-attaque croisée de la droite et de la gauche
Autant dire que le jeu des alliances peut avoir in fine un rôle capital dans l'élection du patron ou plus précisément de la patronne de la ville puisque tout donne à penser, en l'état actuel des intentions de vote (avant le retrait de Griveaux) et sauf nouvelle surprise imprévisible, que la place se disputera entre Hidalgo (PS), Dati (LR) et Buzyn (LREM). L'irruption de cette dernière peut-elle donner un coup d'arrêt à la prééminence médiatique du duel gauche-droite qui s'est installé depuis plusieurs semaines?
À n'en pas douter, c'est l'espoir de Macron et de la macronie dont le premier objectif est, par le changement de casting imposé, de semer le trouble dans le classement du premier tour qui semblait s'imposer petit à petit. La désignation de Buzyn, qu'on pourrait présenter comme la parfaite antithèse de Griveaux tant son humilité et sa volonté de rassemblement sont mises en avant, va-t-elle faire bouger les lignes? Un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout?
Sur les réseaux sociaux et dans les médias audiovisuels, les soutiens de la maire sortante et de sa challengeuse de droite ont immédiatement ouvert un contre-feu sur les thèmes attendus du changement de pied (déjà évoqué), de la méconnaissance des dossiers parisiens de l'intéressée et de l'impossibilité pour elle de s'imposer dans un laps de temps aussi court. En même temps qu'ils dénonçaient le bilan, mauvais, selon eux, de Buzyn au ministère de la Santé, ils montraient, paradoxalement, une certaine fébrilité face à son irruption inattendue dans la compétition.
Coup d'épée dans l'eau ou coup électoral gagnant
À vrai dire, le choix présidentiel peut tout autant s'avérer un coup d'épée dans l'eau qu'un coup électoral gagnant. Si l'argument de la brièveté de la campagne avant le premier tour du 15 mars peut parfaitement s'entendre, se comprendre et se défendre, le contre-argument de la personnalité de la nouvelle candidate bénéficie des mêmes caractéristiques. De ce point de vue, Buzyn a pour elle de pouvoir remobiliser des militant·es macronistes désemparé·es par la dissidence villaniste qui s'attachait, en premier lieu, à la désignation contestée de Griveaux.
Un des premiers marqueurs à observer dans les prochains sondages d'intentions de vote sera le score attribué à Villani, à qui Buzyn a tendu la main dès son entrée en campagne, histoire de prendre le contre-pied de Griveaux et de prendre l'électorat du mathématicien à témoin de sa bonne volonté –sans résultat apparent jusqu'ici et sans succès probable jusqu'au soir du premier tour, dont les résultats détermineront les désistements et les alliances.
Les autres paramètres à scruter seront, évidemment, les scores de Dati et Hidalgo: ils indiqueront si l'entrée dans la danse de Buzyn a une influence, ou pas, sur les intentions de vote en leur faveur. Une fois encore, l'espoir de la macronie est de la voir mordre, «en même temps», sur la droite et sur la gauche, à l'instar de Macron lui-même en 2017 ou de LREM aux européennes de 2019. L'obstacle réside dans la particularité de la consultation municipale où le facteur personnel et l'envie des acteurs locaux jouent un rôle primordial.
Le coup de poker rejaillira sur le chef de l'État
De ce point de vue, l'ex-ministre de la Santé a, dès le départ, montré une certaine pugnacité et une volonté d'autonomie en mettant au rancart deux propositions phares et critiquées de Griveaux: la création d'un «Central Park» à la place de la gare de l'Est et l'octroi d'un apport de 100.000 euros à celles et ceux souhaitant accéder à la propriété à Paris. D'emblée, elle a mis sa patte sur la campagne LREM, la voulant moins clinquante et moins brouillonne. Elle s'est extraite du concours Lépine qui s'était engagé autour de propositions aussi farfelues qu'irréalistes.
Au bout du compte, le coup de poker de Macron peut aussi bien se retourner contre lui que lui permettre de remporter la mise. Si Buzyn parvenait à renverser la table en se mettant en position de pouvoir devenir maire de Paris, sa victoire serait d'abord la sienne mais elle rejaillirait forcément sur le président de la République à l'origine de ce plan de bataille. Mis à part qu'elle effacerait largement des résultats dont pas mal d'observateurs prédisent la modestie sur le plan national, elle serait une sorte de relégitimation électorale du chef de l'État pour la dernière ligne droite –deux ans tout de même– de son quinquennat.
Dans le cas contraire, la défaite de Buzyn serait aussi la sienne pour les mêmes arguments que ceux développés ci-dessus. Tout dépendrait, bien sûr, de l'ampleur de cet échec tant les obstacles à surmonter pour elle –campagne de Griveaux qui faisait du sur-place, campagne-éclair imposée par son retrait, popularité médiocre des ministres– sont importants. Elle ne manquerait pas de ranimer la contestation contre l'exécutif et de maintenir Macron dans une position défensive pour la fin de son mandat. Faites vos jeux, rien ne va plus!