«Imaginez un nouveau jouet sexuel qui coûte moins d'un dollar, est disponible partout dans le monde, se présente dans son propre emballage discret et offre un plaisir illimité aussi bien aux hommes qu'aux femmes.» Dans cette (faussement) mystérieuse présentation rédigée par des membres du Pleasure Project, il est ensuite question d'anneaux, d'un qui «doit être inséré profondément dans le vagin», d'un autre «placé en dehors» et de quelques autres éléments vecteurs de sensations sexuelles agréables. Voilà qui donne envie et titille, ne serait-ce que la curiosité.
Pourtant, le «fourreau solide, doux et transparent en polyuréthane» décrit en ces termes excitants n'est autre que le préservatif féminin –aussi appelé interne, parce qu'il se met à l'intérieur du vagin en cas de rapport hétérosexuel, et de l'anus, en ayant retiré l'anneau interne, notamment pour des jeux prostatiques, lors d’une utilisation du gode ceinture ou d'une relation homosexuelle gay. Celui-là même qui a été qualifié en 2009 sur un blog de «tente Quechua de la foufoune» ou encore, plus récemment, de «ceinture de chasteté inversée» par une médecin gynécologue se définissant dans le même temps comme «une fervente militante féministe». «Y avoir recours, c'est faire une croix sur le plaisir», assénait-elle en 2018 à Rue89. Sauf que cette capote est loin de réduire systématiquement le plaisir sexuel; elle peut même l'amplifier.
«Le principal reproche adressé à cette méthode de contraception et de prévention tient à sa visibilité, à ce qu'il donne à voir de lui-même mais aussi du vagin: il n'est pas esthétique et surprend par sa longueur et/ou sa largeur», détaille la chercheuse en anthropologie Judith Hermann-Mesfen dans un article de 2013, alors que les tailles de préservatifs internes et externes ne diffèrent guère. Quand bien même l'anneau extérieur semble inesthétique à certain·es puisqu'«il pendouille avant et après l'acte», comme le relève l'anthropologue, cette émersion du vagin peut avoir un avantage sensuel, et pas des moindres.
Transmission chaleureuse
«Ça peut aller sur les grandes lèvres, voire le clitoris. Il y a plus de frottements. Pour ma part, je ne pense pas avoir eu plus de plaisir, je ne me suis pas dit que c'était vachement mieux. Mais pour certaines, ça peut être plus stimulant», glisse Binta*, 29 ans, qui a «pas mal utilisé» la capote interne. C'est pour cela que les membres du Pleasure Project affirment que l'on pouvait en faire un accessoire érotique. «L'anneau externe peut être utilisé pour frictionner le clitoris en se servant de ses doigts et du pénis du partenaire», écrivaient-elles dans l'article publié dans la revue Questions de santé reproductive.
Autre érotisation possible, avec l'anneau interne cette fois. «Beaucoup de gens trouvent que la pénétration profonde de l'anneau interne du préservatif féminin est très stimulante. […] Beaucoup d'hommes disent qu'ils aiment sentir leur pénis heurter l'anneau interne du préservatif féminin au moment où ils pénètrent leur partenaire. […] Au Zimbabwe, un nouveau mot a été inventé en langue shona (ketecyenza), pour décrire le picotement agréable que l'homme ressent quand l'anneau interne du préservatif féminin frotte son pénis.» On apprend aussi qu'en Zambie et au Ghana, des hommes ont indiqué s'être parfois servi du préservatif féminin comme d'une capote externe afin de se masturber avec l'anneau interne, devenu sex-toy.
«Il n'y avait pas de pression autour de ma verge, et au bout de cinq minutes c'était comme s'il n'y avait rien.»
Ce ne sont pas les seuls avantages subjectifs du Femidom (contraction de female condom). «Le fait que la chaleur puisse passer d'un partenaire à l'autre à travers le polyuréthane est aussi, de l'avis de beaucoup de personnes, une caractéristique qui fait que le rapport est plus “naturel” ou plus plaisant.» Parce que cela permet de se sentir mutuellement, d'autant plus qu'il épouse davantage la paroi interne. Dimitri, 29 ans, a apprécié avec son partenaire sa dimension légèrement plus grande et le fait qu'il ne soit pas un étui comprimant: «Il n'y avait pas de pression autour de ma verge et au bout de cinq minutes c'était comme s'il n'y avait rien du tout.» De même, Binta trouve cette capote «plus confortable, plus sympa».
Qu'il soit possible de la poser plusieurs heures avant le rapport était aussi un plus pour elle, surtout en comparaison de l'interruption générée par l'enfilage de son équivalent externe. «Que l'homme ne soit pas obligé d'être en érection tout au long du rapport», comme le note l'article de Questions de santé reproductive, permet également de moins se mettre la pression, de se décentrer de la pénétration ou de l'éjaculation. «Les partenaires peuvent prolonger les rapports, observer des pauses (pour d'autres types de jeux sexuels ou pour faire quelque chose de tout à fait différent) sans avoir besoin de retirer le préservatif.» Sans oublier que la lubrification conséquente du produit et l'anneau extérieur peuvent éviter les potentielles irritations provoquées par les poils et la sueur lors de la pénétration, et donc mieux protéger les organes génitaux externes.
Position, un, deux
Évidemment, ces pratiques ne procurent pas à toutes et tous le même plaisir. Au Sénégal, l'Association pour les femmes africaines face au sida avait associé le bruit provoqué par le préservatif interne «au cliquetis des perles “bine-bine” que les femmes portent autour des reins comme accessoire érotique», et l'avait ainsi rendu excitant, apprend-on dans l'article des membres du Pleasure Project. Elina, 20 ans, déplorait au contraire auprès de Rue89 «ce bruit assez désagréable, une sorte de flic-floc qui vous donne l'impression d'être un sac plastique».
Autre obstacle potentiel: l'introduction dans le vagin ou l'anus. «Ce truc apparu sur le marché français en 1998 a tout pour capoter. Il suffit de musarder dix secondes sur le Net à comparer le mode d'emploi d'un préservatif masculin et celui d'un condom féminin pour comprendre pourquoi l'objet tente peu», lisait-on en 2017 sur le site de Libération. Et d'enchaîner sur la déclaration d'«un fabricant honnête»: «Le préservatif féminin nécessite un brin de pratique, trois ou quatre essais avant de parvenir facilement à le placer. Il est donc conseillé de s'entraîner seule avant la première utilisation!»
«L'insérer n'a pas été une mince affaire. Je m'y suis prise à plusieurs reprises. […] C'était épique.»
Sharon, alors la vingtaine, a décrit à Rue89 à quel point cela avait été difficile. «L'insérer n'a pas été une mince affaire. Je m'y suis prise à plusieurs reprises. […] C'était épique.» Quelques lignes plus bas, on apprend que ce fut carrément peine perdue pour Rachel, 38 ans: «Enfermée dans ma salle de bain, j'ai essayé pendant près de quinze minutes de le positionner. En vain. J'avais beau adopter toutes les postures conseillées, mes doigts se contractaient et le truc tombait au sol.»
Mais est-ce si étonnant quand l'anatomie féminine est encore bien méconnue, y compris des femmes elles-mêmes? Quand certaines sont si mal à l'aise avec leur corps et plus encore avec leurs parties génitales qu'elles n'ont jamais regardé, à l'aide d'un miroir, à quoi ressemblait leur vulve et n'envisagent, pour cette raison, à aucun moment le tampon comme la coupe menstruelle lors de leurs règles (et pas par crainte du syndrome du choc toxique)? Quand le moyen de protection des grossesses non désirées comme des IST le plus connu est le préservatif, sans adjectif aucun alors qu'il devrait être dit masculin ou externe?
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Invisibilité en rayon
«Le préservatif féminin, ce n'est pas quelque chose qu'on voit. Je n'ai jamais vu de publicité à la télé, quelqu'un en utiliser dans un film. Ce n'est pas quelque chose de très représenté», analyse Binta. Ce contraceptif, elle l'a découvert «un peu par hasard», au Planning familial, à l'occasion d'une prescription de contraception. Le défaut objectif de la capote interne, c'est surtout qu'elle est peu connue et peu utilisée.
Comme le signale Laurenne Lhuillier dans sa thèse de médecine générale, elle correspondait en 2010 à environ 1,25 million de commandes au laboratoire Terpan, fournisseur principal en France de ce dispositif (866.243 en 2009), contre 93,65 millions de préservatifs masculins en France en 2005 au sein de la grande distribution et des pharmacies. Soit un rapport d'environ un à cent. Sans oublier que ce condom se trouve surtout au Planning familial et dans les centres de dépistage, mais peu dans les rayons des pharmacies (5% des commandes passées auprès du laboratoire Terpan), en raison de la faible demande et des dates de péremption. Et puis son prix peut être prohibitif: en moyenne, il coûte 2,14 euros l'unité, relève un rapport de l'Igas de 2010, contre 0,23 à 0,77 euros pour son homologue externe.
Conséquence de cette méconnaissance, le mode opératoire peut sembler plus ardu. Surtout si l'on occulte ses premières tentatives, pas toujours fructueuses, avec le préservatif externe, qui n'est pas en soi évident à enfiler comme il se doit et n'a rien non plus de très glamour: il ressemble tout autant à un «emballage plastique».
Moins l'on y est habitué·e, plus on va avoir tendance à lui trouver une sale tête et à le percevoir d'emblée comme disproportionné, bizarre. Aucune garantie donc à le trouver plaisant et stimulant, et encore faut-il passer la première barrière, qui peut être rebutante, de l'apparence comme de la mise en place. Mais, comme le formule Binta, qui essaie de «répandre la bonne parole» et a distribué avec ardeur ce type de préservatifs à ses ami·es en leur disant qu'elle l'avait trouvé vraiment super, «pourquoi se priver de quelque chose qui peut améliorer notre vie intime?»
* Le prénom a été changé.