Politique / Monde

Marion Maréchal exporte son école d'extrême droite en Espagne

Temps de lecture : 7 min

En créant une filiale de l'Issep à Madrid, la nièce de Marine Le Pen poursuit sa stratégie de combat culturel. Le but: imposer les idées de son camp politique au niveau européen.

Après Lyon, Madrid. Marion Maréchal poursuit le développement de son école, l'Issep, pour former les nouveaux cadres de l'extrême droite. | Jeff Pachoud/AFP
Après Lyon, Madrid. Marion Maréchal poursuit le développement de son école, l'Issep, pour former les nouveaux cadres de l'extrême droite. | Jeff Pachoud/AFP

«Nous finalisons les démarches pour créer l'Issep Madrid.» Publiée le 29 janvier sur son compte Twitter, l'annonce est accompagnée d'une photo de Marion Maréchal, tout sourire, présidant une table autour de laquelle sont assis deux des plus proches conseillers de Santiago Abascal, leader de Vox, le parti d'extrême droite espagnole.

Aussi connu comme le Sciences-Po d'extrême droite, l'Institut de sciences sociales, économiques et politiques (Issep), s'inscrit dans la ligne stratégique de la nièce de Marine Le Pen: mener le «combat culturel» contre la gauche à travers l'éducation, les médias et la culture. Un outil qui intéresse en Espagne où l'extrême droite, qui connaît une ascension fulgurante, est partie en guerre contre le progressisme.

«Elle considère que, pour conquérir le pouvoir, l'extrême droite doit imposer ses idées le plus largement possible.»
Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS

Ouvert à Lyon, en 2018, l'Issep a pour ambition de «favoriser la naissance d'une nouvelle génération de décideurs qui placeront leurs ambitions au service de projets utiles à la société», explique l'institut sur son site internet. «Marion Maréchal se positionne sur le combat culturel», explique Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et spécialiste des partis d'extrême droite et du phénomène populiste en Europe. «Elle considère que, pour conquérir le pouvoir, l'extrême droite doit imposer ses idées le plus largement possible. Cela passe par la formation de futurs cadres et des dirigeants de demain.» La petite fille de Jean-Marie Le Pen, qui est à l'origine de sa fondation, en est la directrice générale.

Ancienne élue du Vaucluse à l'Assemblée nationale, où elle était alors la plus jeune députée de France, Marion Maréchal siégeait sous l'étiquette Front national (FN, aujourd'hui Rassemblement national, RN). Celle qui s'appelait à l'époque Marion Maréchal-Le Pen –elle a, depuis, choisi de raccourcir son nom– a pris sa retraite politique en 2017, âgée de 27 ans. Mais elle ne s'est jamais tenue bien loin du combat porté par son camp. Bien qu'elle ne brigue aucun mandat, elle est considérée comme l'une des référente idéologiques de la droite radicale, en France et en Europe.

Stratégie agressive

L'ouverture d'une succursale de son institut dans la capitale espagnole a été sollicitée par Gabriel Ariza, très proche collaborateur du patron de Vox, Santiago Abascal. Le parti nie tout lien avec l'Issep Madrid. Mais de l'autre côté des Pyrénées, l'extrême droite a adopté une stratégie de combat culturel agressive contre les progres, sobriquet méprisant dont sont affublées les personnes jugées «progressistes».

Insignifiant il y a encore deux ans, Vox est aujourd'hui la troisième force politique en Espagne, avec 52 députés sur 350 au parlement. La formation utilise la formidable tribune que lui confère son nouveau statut pour allumer les polémiques tous azimuts.

Le parti attaque systématiquement les mêmes cibles: la communauté LGBT+, qui imposerait son «idéologie» à la société. Les immigré·es, musulman·es en particulier, installant l'idée –démentie par les statistiques– qu'ils et elles vivent mieux que les Espagnol·es grâce aux aides sociales payées par l'impôt frappant le peuple besogneux. Le féminisme, accusé de laisser les individus de sexe masculin sans défense face à un régime juridique excessivement favorable aux femmes.

Vox rejette d'ailleurs le terme de «violence de genre», officiel en Espagne. Ses membres tentent d'imposer celui de «violence intrafamiliale», alléguant que les hommes en sont tout aussi victimes que les femmes, bien que les chiffres officiels montrent que plus de 85% des des personnes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint sont des femmes, agressées par des hommes. Ils revisitent publiquement l'histoire de la guerre civile et de la dictature de Francisco Franco (1939-1975), avec l'idée, démentie par les livres d'histoire, que la mort et la répression ont frappé de la même manière les gagnant·es et les perdant·es du franquisme.

Peu importent les faits. L'essentiel est de diffuser leur discours et de mettre à bas le supposé monopole culturel de la gauche.

Un intérêt nouveau pour l'Espagne

«Je suis impressionnée par la force avec laquelle leurs idées ont pénétré la société espagnole», confessait Marion Maréchal, dans le journal de droite El Mundo, qui lui accordait une longue interview à l'occasion de l'implantation de son institut d'études politiques à Madrid.

Elle dit aujourd'hui croire en un «axe méditerranéen» formé par le Portugal, l'Espagne, la France et l'Italie. Un virage stratégique, quand on sait qu'elle ne regardait pas l'Espagne comme un pays intéressant pour cultiver un mouvement identitaire comme le sien à l'ouverture de l'Issep Lyon.

Aucun des membres fondateurs ou actuels de l'Issep sollicités par Slate.fr n'avait donné suite à nos demandes au moment de la publication de cet article. «Nous ne commenterons pas l'arrivée de l'Issep en Espagne, car il n'a aucune relation organique avec notre parti», répond de son côté le service communication de Vox, en déclinant notre demande.

«L'Issep Madrid est clairement un outil culturel.»
Guillermo Fernández, chercheur en sciences politiques

«Que Vox n'ait rien à voir avec cette ouverture est difficile à croire», estime pourtant Guillermo Fernández, chercheur en sciences politiques à l'université Complutense de Madrid. Spécialiste de l'extrême droite européenne, il a écrit Que faire avec l'extrême droite en Europe, un livre qui se penche sur le cas de l'ex FN, et a rencontré Marion Maréchal plusieurs fois.

Sur la photo publiée sur Twitter pour annoncer l'arrivée de l'institut à Madrid, on peut voir, aux côtés de la nièce de Marine Le Pen, Kiko Méndez-Monasterio, considéré comme le bras droit du leader de Vox, ainsi que Gabriel Ariza. Ce dernier fait régulièrement office d'entremetteur pour le président du parti radical. «Ces personnes vont être dans l'école, ils sont en relation avec Marion Maréchal. Méndez-Monasterio écrit les discours d'Abascal et est ami avec lui. Et Gabriel Ariza est présent sur la photo publiée par Santiago Abascal en compagnie de Viktor Orbán (quelques jours, plus tard au congrès sur le National Conservatism, qui s'est tenu à Rome les 3 et 4 février, ndlr)», analyse le chercheur.

Selon lui, «l'Issep Madrid est clairement un outil culturel. Dans plusieurs livres nés sous sa plume, Kiko Méndez-Monasterio définit Vox moins comme un parti que comme un instrument métapolitique». Une pratique qui consiste à divulguer dans la mentalité collective et dans la société civile des valeurs et idées, mais en dehors d'un parti ou d'une lutte électorale. Mode d'action que Marion Maréchal revendique ouvertement.

Alliance et collaboration

«Mais n'allez pas croire que seules les idées comptent pour la jeune femme», avertit Guillermo Fernández. Elle se bâtit également une stature politique qui pourrait faire d'elle une figure clé de la droite identitaire en Europe dans les années à venir. Même si elle assure n'être candidate à aucun poste politique, elle ne ferme pas clairement la porte à un prochain mandat.

«Ces mouvements de droite nationalistes et populistes sont encore assez peu unis au niveau européen, mais ils montrent une volonté d'alliance et de collaboration autour du groupe parlementaire qu'ils forment à Bruxelles», estime Gilles Ivaldi. Pour lui, c'est sur ce courant que la cadette du clan Le Pen tente de peser.

Elle a d'ailleurs été l'un·e des invité·es vedettes du congrès dédié au National Conservatism, organisé à Rome les 3 et 4 février, comme le premier ministre conservateur hongrois Viktor Orbán et le président de Vox Santiago Abascal. Un rapprochement que l'ancien conseiller de l'actuel président américain Donald Trump, Steeve Bannon, figure centrale de l'Alternative Right outre atlantique, avait tenté d'initier en 2017, avec The Movement. Sans succès.

«Marion Maréchal ne représente pas la même chose que Marine Le Pen, jugée trop progressiste au niveau sociétal, et trop étatiste au niveau économique.»
Guillermo Fernández, chercheur en sciences politiques

«Il y a chez Marion Maréchal l'idée que la droite classique occupe désormais un espace réduit et qu'il faut unir l'ensemble des droites. De LR au RN», reprend le chercheur au CNRS. L'Espagne offre un laboratoire intéressant: Vox tenterait de faire une OPA sur le Parti populaire (PP), formation traditionnelle de droite conservatrice, selon Guillermo Fernández. «Mais chez nous, le “cordon sanitaire” ne s'applique quasiment pas.» Dès la première grosse victoire de Vox, aux régionales d'Andalousie, fin 2018, le PP et le parti de centre droite Ciudadanos ont ainsi accepté de former un gouvernement de coalition avec l'appui de l'extrême droite, bien qu'elle n'en fasse pas officiellement partie. Une formule répétée dans plusieurs mairies et gouvernements régionaux, comme à Madrid.

«Marion Maréchal ne représente pas la même chose que Marine Le Pen, jugée trop progressiste au niveau sociétal, et trop étatiste au niveau économique», précise Guillermo Fernández. Contrairement à sa nièce, elle ne fait pas de l'union des droites une priorité. Marion Maréchal, elle, est jeune, en couple avec un ponte italien du parti de Mateo Salvini, La Ligue, et a toujours insisté sur la portée européenne de l'Issep. Elle a déjà noué des partenariats avec l'Université d'État de Saint-Petersbourg, en Russie, et projette d'ouvrir une autre succursale en Italie.

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