«Rendons leur beauté aux bâtiments fédéraux.» Derrière ce slogan se cache l'une des nouvelles lubies de Donald Trump. Le magazine américain Architecture Record détaille cette nouvelle obsession présidentielle, après avoir eu accès à un avant-projet d'ordonnance de l'administration américaine réglementant l'architecture des bâtiments fédéraux. Cela semble d'autant plus surprenant qu'en pleine année électorale, le président des États-Unis a sans doute d'autres sujets plus urgents à traiter.
Trump entend imposer de nouvelles règles de «ré-embellissement de l'architecture fédérale»; à vrai dire, on peut même parler d'architecture officielle.
Un nom sur des buildings
Une série de nominations ont eu lieu depuis 2018 au sein de la General Service Administration (GSA), l'organisme qui est à la fois le promoteur, le gestionnaire et le propriétaire de 8.681 bâtiments fédéraux et 500 propriétés historiques réparties dans l'ensemble des États.
Peu de doutes subsistent sur les ambitions des hommes du président récemment nommés. L'un d'entre eux, Justin Shubow, préside la National Civic Art Society, une organisation qui affirme que «l'architecture contemporaine est dans l'ensemble un échec» et dont la mission est «d'aider l'architecture à retrouver ses racines pré-modernistes». Un autre est l'architecte Duncan G. Stroik, qui avance que son travail est «inspiré par l'intemporalité de l'architecture classique et l'humanisme des villes traditionnelles».
Tout cela n'a rien d'anodin. Donald Trump se prend et se présente auprès de l'électorat comme un grand bâtisseur. Avant d'entrer à la Maison-Blanche, et avant de devenir une vedette de télé-réalité, le président américain a été pendant plus de quarante ans un promoteur immobilier.
À New York, il est surtout connu pour avoir fait mettre son nom sur des buildings existants, comme la Trump International Hotel & Tower, construite en 1969 pour Gulf and Western, ou la Trump Park Avenue, bâtie en 1929 et achetée en 2002 par le milliardaire.
À l'entrée de la Trump Tower sur la Cinquième Avenue. | Bryan R. Smith / AFP
Il faut le reconnaître, au début des années 2000, le nom Trump était synonyme d'un certain chic new-yorkais, d'un luxe kitsch mélangeant marbre, onyx et or. Certain·es copropriétaires étaient même prêt·es à payer Donald Trump pour garder son nom en lettres dorées sur le fronton de leur immeuble –c'était avant.
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Pas d'originalité, ni d'état d'âme
Donald Trump n'a pourtant à aucun moment été féru d'architecture, ni reconnu pour cela. Il n'a jamais fait construire de bâtiments remarquables et a rarement fait appel à des pointures de l'architecture.
Au contraire, il s'est souvent attaché les services d'un architecte dont il appréciait le travail traditionnel, conventionnel et efficace à souhait, Costas Kondylis. Celui-ci revendiquait de travailler d'abord pour sa clientèle, constituée de promoteurs.
Ses immeubles au design sans originalité, toujours construits sur une même formule à base d'acier et de verre, ne se distinguent pas dans le paysage new-yorkais.
Entre 2000 et 2007, pas moins de soixante-cinq des projets de Kondylis ont été adoptés, soit un toutes les six semaines. La Trump World Tower, située juste en face du siège des Nations unies, en fait partie.
La Trump World Tower à New York. | Timothy A. Clary / AFP
Par ailleurs, Donald Trump n'a jamais eu le moindre état d'âme concernant l'architecture; il n'a pas hésité à réduire en poussière des bâtiments classiques.
Au début des années 1980, il a mis à terre un immeuble Art déco datant de 1929, dessiné par les architectes Whitney Warren et Charles Wetmore, qui avaient conçu Grand Central, la gare mythique au cœur de Manhattan. À la place, le futur président a construit la Trump Tower, le building où il réside aujourd'hui à New York.
Retour au classique
Désormais, il faudra compter sur la patte Trump, sa marque sur tous les bâtiments officiels du pays. Il s'agit d'un changement majeur pour la République américaine: depuis près de soixante ans, toutes les administrations républicaines ou démocrates qui se sont succédé ont suivi les Guiding Principles for Federal Architecture («principes directeurs pour l'architecture fédérale»), un texte du très respecté Daniel Patrick Moynihan publié en 1962, à la demande de John Kennedy.
Dans ces directives, il n'est pas question de prôner un style officiel: «Le design doit venir de la profession d'architecte vers le gouvernement et non l'inverse.» Cette période est révolue.
De son côté, l'administration Trump dénonce l'absence des «valeurs nationales dans les bâtiments fédéraux». Elle pointe très directement du doigt quelques bâtiments récents qui ne les porteraient pas: le Federal Building de San Francisco, l'United States Courthouse d'Austin au Texas et celle de Miami en Floride.
Le Federal Building de San Francisco, en Californie. | Eric in SF via Wikimedia Commons
Ces bâtiments ont en commun leur inspiration tirée du brutalisme ou du déconstructivisme, des mouvements honnis par les nouveaux membres de la GSA, qui entendent revenir à un «style architectural classique» inspiré de l'«Athènes démocratique» et de la «Rome républicaine».
La référence est ici Washington, la capitale fédérale, dont la structure a été dessinée au tournant des XVIIIe et XIXe siècles avec une forte inspiration néoclassique.
Le Capitole des États-Unis à Washington, D.C. | Saul Loeb / AFP
On peut parier que les polémiques, très politiques, vont enfler dans les prochains mois. L'administration américaine s'apprête à dévoiler en mai le mémorial fédéral du président Eisenhower, conçu par Frank Gehry, un maître du déconstructivisme et l'un des plus grands représentants de l'architecture mondialisée.