Égalités / Santé

«Si je peux aider d'autres femmes, je le fais»: Émeline, 35 ans, donneuse d'ovocytes

Temps de lecture : 6 min

Pour aider des couples à avoir un enfant, Émeline a donné à deux reprises ses ovocytes. La future loi bioéthique, adoptée en première lecture au Sénat le 4 février, pourrait modifier cette procédure.

«Il y a un vrai besoin de dons, alors je me suis dit: “J'y vais.”» | Avec l'autorisation d'Émeline
«Il y a un vrai besoin de dons, alors je me suis dit: “J'y vais.”» | Avec l'autorisation d'Émeline

Son kit d'injection, Émeline l'emmène partout avec elle. Une seringue, un tube de liquide et... une ordonnance, «au cas où on me prenne pour une junkie», plaisante-t-elle.

Quand nous rencontrons la directrice marketing de 35 ans dans un café de la Défense, près de Paris, elle est en pleine procédure pour donner ses ovocytes.

Tous les après-midi, elle s'administre une dose d'hormones, direct dans le bide et en plein open space –une stimulation hormonale destinée à faire grossir ses follicules, contenant les ovocytes qui seront ensuite prélevés.

Démarche contraignante

Un mioche qui hurle à trois heures du mat' et laisse des traces de vomi sur ses jeans, Émeline n'en veut pas. Mais elle comprend très bien le fort désir d'enfant de certains couples infertiles. Pour les aider, elle est prête à donner d'elle-même, au sens propre comme au figuré.

«Je suis la belle-mère d'une petite fille née d'une fécondation in vitro», précise la femme aux cheveux poivre et sel. Par son conjoint, Émeline a ainsi eu vent de ce que peut être un parcours de procréation médicalement assistée (PMA), souvent long et fastidieux. «À côté, ce que je fais, ce n'est pas grand-chose», assure-t-elle.

Ses traits, malgré tout, sont tirés. Émeline en est à son deuxième don. «Bon, je ne vous cache pas que je suis crevée», finit-elle par admettre du bout des lèvres.

Gratuit et anonyme, le don d'ovocytes est une démarche contraignante, sans commune mesure avec le don de sang ou même de sperme. Injections d'hormones, échographies régulières de suivi puis ponction en bloc opératoire: rares sont les femmes à accepter de se lancer dans un tel processus qui, en outre, pâtit encore d'une grande méconnaissance en France.

En 2017, seules 756 femmes ont donné leurs ovocytes. Trop peu au regard des milliers de couples en attente de gamètes, entraînant une pénurie constante dans les Centres d'études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) qui gèrent les dons.

Geste politique

Pour Émeline, tout a commencé par une conversation avec son conjoint. «Pourquoi tu ne ferais pas ça?», lui soumet-il, un soir. Elle ne s'était encore jamais trop intéressée à la question.

«J'en ai parlé avec ma gynéco, c'était très abstrait. Puis je me suis baladée sur les réseaux sociaux et j'ai lu plein de témoignages de femmes en attente pour leur PMA. Il y a un vrai besoin de dons, alors je me suis dit: “J'y vais”, raconte Émeline, déjà fondatrice d'une association de collecte de produits d'hygiène à destination des plus précaires. C'est lié à mes valeurs: si je peux aider d'autres femmes, je le fais.»

Un état d'esprit que Nouria Gründler, psychanalyste au Cecos de l'hôpital Cochin (AP-HP), retrouve chez toutes les donneuses qu'elle reçoit. «Je suis toujours étonnée de la grande conviction qu'elles placent dans leur acte: c'est un public averti et très engagé, qui a une vision presque politique de ce geste», observe la spécialiste.

Décidée, Émeline prend contact avec le Cecos de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine. Avant toute chose, elle doit arrêter de prendre la pilule. «Je suis revenue aux règles de mes 15 ans. Être en boule sur mon canap', devoir changer mes tampons tout le temps», grimace-t-elle.

«C'est un moment où tu vas à la rencontre de ton corps, c'est effrayant.»
Émeline

S'ensuit une multitude de rendez-vous, qui décideront si elle pourra bien réaliser ce don: une échographie pelvienne, puis un entretien avec une psychologue –«carrément stressant, je voulais montrer la meilleure image de moi-même pour ne pas être recalée»– et enfin une consultation avec une gynécologue, suivie d'une plongée dans son arbre généalogique, destinée à détecter la moindre maladie génétique qui pourrait être transmise.

«J'ai fait une grosse prise de sang, avec laquelle ils ont notamment réalisé un caryotype [analyse des chromosomes, ndlr]. J'avais peur qu'on me détecte un problème génétique dont je n'avais pas connaissance, se rappelle-t-elle. C'est un moment où tu vas à la rencontre de ton corps, c'est effrayant.»

Pour en avoir le cœur net, il lui faut attendre plusieurs semaines, au bout desquelles Émeline obtient finalement le feu vert pour commencer son premier don. «À partir de là, tout s'emballe très vite, il faut rester bien calée sur le planning qu'on nous fournit: un vrai travail d'horloger.»

Effets secondaires

Sur la table du café, la directrice marketing sort une feuille, pliée en quatre, où est répertorié tout un emploi du temps à respecter à la lettre. Pendant une dizaine de jours, on commence par des injections quotidiennes d'un premier produit, à 18 heures précises.

Émeline les réalise seule, même s'il lui était possible de faire venir une infirmière –une intervention remboursée par la Sécurité sociale, comme tous les frais engendrés par la procédure de don.

«Le plus gros stress que j'ai, c'est de louper le coche, la peur de mal faire mon injection et de foutre en l'air tout ce que j'ai déjà fait jusque-là, souffle la trentenaire. Mais ça n'empêche pas de continuer à vivre une vie normale. Hier, je suis allée au cinéma, je me suis piquée dans ma voiture sur le parking. Les gens me regardaient avec des yeux ronds, mais tant pis!»

Vient ensuite le temps de l'injection d'un autre produit, le Gonal-F, accompagné de plusieurs échographies de suivi à l'hôpital. «C'est le moment où je commence à gonfler comme un ballon. La dernière fois, j'avais pris tellement de bide qu'on me demandait si j'étais enceinte, rit la directrice marketing. C'est pourquoi j'ai enchaîné les deux dons, plutôt que de les éloigner: je vais bientôt me marier et je voulais avoir le temps de retrouver ma taille habituelle pour essayer mes robes.»

«Je discute avec des femmes qui sont en attente de don, ça me rebooste.»
Émeline

Avec les hormones peuvent effectivement survenir toute une série d'effets secondaires. C'est ce qui inquiétait le plus Émeline. «Je ne voulais pas imposer des montagnes russes émotionnelles à mon équipe au travail, d'autant qu'on est sur une grosse période de travail en ce moment», indique-t-elle.

Cela n'a pas été le cas, même si elle est souvent à fleur de peau, reconnaît-elle: «Les larmes peuvent me monter aux yeux sans raison. Je commence à perdre un peu mes cheveux, j'ai parfois des nausées.»

Quand elle a un coup de mou, que son ventre la fait subitement souffrir, Émeline traîne un peu sur Instagram. «Je discute avec des femmes qui sont en attente de don, ça me rebooste», sourit-elle.

Sur le réseau social, comme de nombreuses donneuses connectées, Émeline a décidé de faire la promotion du don. «C'est essentiel de le faire connaître», insiste-t-elle, d'autant que la démarche risque d'être chamboulée par la nouvelle loi bioéthique, qui doit être promulguée à l'été 2020.

Levée de l'anonymat

In fine, cette loi pourrait consacrer l'ouverture à toutes les femmes de l'autoconservation de leurs ovocytes, jusqu'ici réservée à certaines femmes sur indication médicale et pour les donneuses: le don perdrait donc l'un de ses motifs d'attractivité.

La loi bioéthique devrait surtout autoriser une levée partielle de l'anonymat des donneurs et donneuses de gamètes: à leur majorité, les enfants nés d'un don pourraient avoir accès à plusieurs types d'informations. Les Cecos espèrent que cette situation n'effraiera pas les donneuses potentielles et n'entraînera pas une pénurie encore plus marquée.

«Je comprends qu'une personne née d'un don puisse avoir besoin de savoir d'où elle vient.»
Émeline

Pour toutes les femmes qui ont donné sous l'ancien régime, comme Émeline, la mesure ne sera pas rétroactive. Néanmoins, si un enfant devenu majeur en fait la demande, une commission pourrait les recontacter pour leur demander si elles acceptent une levée de leur anonymat.

Après y avoir réfléchi, Émeline a décidé que dans ce cas, elle ferait parvenir une lettre pour donner son accord. «Je comprends qu'une personne née d'un don puisse avoir besoin de savoir d'où elle vient. Et puis à 18 ans, ce ne sera plus vraiment un enfant», argumente-t-elle.

Questionnements, efforts, fatigue… Tout cela n'aura pas été vain: au terme d'une vingtaine de jours de stimulation, on annonce à Émeline que ses follicules sont suffisamment matures. Elle peut déclencher l'ovulation avec un dernier produit, l'Ovitrelle.

Trente-six heures plus tard précisément, c'est le moment fatidique de la ponction. À l'hôpital, sous anesthésie générale, une aiguille vient prélever ses ovocytes dans chacun de ses ovaires –quatorze la première fois, dix-huit la deuxième. Une vraie victoire pour Émeline, qui ressort le visage fatigué mais heureux, et lance: «J'ai littéralement tout donné!»

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