Culture

L'adieu déchirant à «BoJack Horseman»

Temps de lecture : 7 min

Notre cheval acteur préféré s'en est allé au terme de six saisons. Nous ne l'oublierons pas.

Comme son personnage principal, BoJack Horseman a eu besoin de temps pour mûrir. | Capture écran via YouTube
Comme son personnage principal, BoJack Horseman a eu besoin de temps pour mûrir. | Capture écran via YouTube

Tous les mercredis, Anaïs Bordages et Marie Telling décryptent pour Slate.fr l'actu des séries avec Peak TV, une newsletter doublée d'un podcast.

Les séries ont toujours été définies par leur relation avec le public. Un film ou un livre tombe fini dans les mains de son audience. La série, elle, évolue au fil des épisodes et des saisons, souvent sans notion initiale de longueur ou de fin.

Le format occupe une position unique dans la culture, grâce à sa relation sur la durée avec des fans dont les retours peuvent parfois influencer l'intrigue –certaines comme Game of Thrones sombrent dans le fan service, tandis que d'autres, à l'image de Fleabag, s'amusent de ce rapport en jouant avec le quatrième mur.

Mais à l'ère de la Peak TV, le paysage sériel s'est transformé en un enchaînement de coups d'un soir, vite bingés et vite oubliés, et les relations longue durée se font de plus en plus rares.

Sauf que généralement, une série doit durer plusieurs saisons pour construire une tension sexuelle insoutenable entre ses protagonistes (Alias, The Good Wife, New Girl), faire des blagues récurrentes sur des personnages que l'on connaît sur le bout des doigts (Parks and Recreation) et nous bouleverser quand elle nous dit au revoir.

Alors que l'industrie du streaming encourage une consommation frénétique et privilégie la quantité à la qualité, quelques œuvres nous récompensent pour notre fidélité.

Deux d'entre elles se sont conclues la semaine dernière: The Good Place et BoJack Horseman –si leurs finales nous ont autant émues, c'est parce que ces séries faisaient partie de nos vies depuis plusieurs années.

Le gros plan: «BoJack Horseman» (Netflix)

The Good Place et BoJack Horseman ont chacune tenté de répondre à une question similaire: comment être quelqu'un de bien? Plus précisément, dans le cas de BoJack Horseman et de son antihéros alcoolique et complaisant: peut-on toujours être quelqu'un de bien après une vie de déceptions, de trahisons et de comportements abusifs?

Lorsqu'on rencontre BoJack, un acteur de sitcom has-been qui est aussi un cheval (l'action se déroule dans une version animalière de Hollywood), il se comporte comme un charmant connard. Mais derrière son penchant narcissique, BoJack cache de lourds traumatismes d'enfance, des problèmes d'addiction et de dépression.

Au-delà de ses jeux de mots animaliers et de ses blagues sur le microcosme hollywoodien, la série a peu à peu construit un portrait riche et nuancé de la santé mentale, explorant aussi bien les affres de la dépression que l'horreur de la maladie d'Alzheimer.

Comme son personnage principal, BoJack Horseman a eu besoin de temps pour mûrir. C'est dans sa saison 3 qu'elle réalise tout son potentiel créatif, avec l'épisode silencieux «Fish Out of Water» puis avec une fin de saison qui viendra tout changer: BoJack commet un nouvel acte irréparable, qui le hantera jusqu'à la fin de la série –et nous avec. À partir de là, les dés sont jetés, et la série ne reculera plus devant la complexité et la noirceur de son propos (tout en restant hilarante).

Dans ses dernières saisons, la dramédie toujours plus ambitieuse s'est aussi attelée à dépeindre et à commenter l'ère #MeToo, opérant même une forme d'autocritique à travers le personnage de BoJack et son traitement des femmes.

Quant au final bouleversant, il n'offre pas à son héros une totale rédemption, mais propose quelque chose de beaucoup plus réaliste: l'idée qu'avec le temps, le changement est possible, même s'il a souvent un prix.

Dans les séries criminelles et procédurales, dans les drames ou documentaires de true crime, les femmes victimes de violences ou de meurtres sont partout à la télé. On retient pourtant rarement leur nom, et c'est le bourreau qui est au centre de l'attention. De You à Hannibal, pourquoi la violence misogyne, et ceux qui la commettent, fascinent autant dans les séries télé? Quelles sont les alternatives? On vous dit tout dans l'épisode 9 de Peak TV, le podcast.


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On regarde aussi

On aime vraiment:

The Good Place (Netflix) – La série de Michael Schur a fait ses adieux avec un très joli final qui nous a rappelé pourquoi on avait tant aimé ses premières saisons.

Schitt's Creek (CBC) – Dans sa dernière saison, la série trouve toujours l'équilibre parfait entre comédie absurde et fable familiale réconfortante.

Pourquoi pas:

Grace and Frankie (Netflix) – Jane Fonda et Lily Tomlin crèvent toujours l'écran dans cette charmante comédie sur le troisième âge.

Star Trek Picard (Amazon Prime Video) – On n'a jamais vu aucun Star Trek de notre vie, mais on a été impressionnées par les deux premiers épisodes, très maîtrisés.

Si vraiment vous avez rien d'autre à faire:

Shrill (Canal+) – Une comédie gentillette qui manque un peu trop de mordant. Tellement oubliable qu'on a oublié qu'on l'avait vue.

The Goop Lab (Netflix) – Le plus surprenant dans cette série-réalité de Gwyneth Paltrow, ce ne sont pas les théories new age pseudo-scientifiques que l'émission explore, mais à quel point on s'ennuie en la regardant.

Ares (Netflix) – Honnêtement, on a mis une semaine pour arriver au bout des trois premiers épisodes et on ne sait toujours pas bien de quoi ça s'agit.

L'épisode culte: «Phase One» («Alias», S2E13)

Dès le premier épisode d'Alias, les enjeux de la série sont clairs: Sydney Bristow (Jennifer Garner dans son meilleur rôle), l'héroïne dont le fiancé a été assassiné, rejoint la CIA pour faire tomber le SD-6, une organisation criminelle pour laquelle elle travaille malgré elle depuis quelques années. Un postulat qui pourrait faire tenir une intrigue sur plusieurs saisons –comment se lasser de voir Sydney vivre sa vie d'agent double dans des missions toujours plus folles aux quatre coins du monde?

Une saison et demie à peine après le début de la série, son créateur J.J. Abrams décide pourtant d'appuyer sur le bouton «reset» dans une heure de télévision inoubliable. Dès les dix premières minutes de «Phase One», Sydney a déjà éliminé deux cibles avant de se parachuter hors d'un avion de ligne en plein crash. Et ce n'est même pas la scène la plus mémorable de l'épisode, qui se conclut par le démantèlement du SD-6 et la victoire apparente de notre héroïne, le tout suivi par un revirement bouleversant.

«Phase One» est également l'aboutissement d'une saison et demie de tension sexuelle entre Sydney et son agent de liaison à la CIA, Michael Vaughn (Michael Vartan, plus beau que jamais). Dans une scène épique, les deux héros s'embrassent enfin au milieu des décombres du SD-6, et ce que vous entendez au loin, ce sont les gémissements de toute une génération d'adolescentes.

Mais le brio de l'épisode, c'est que J.J. Abrams nous offre le happy ending dont on rêvait pour Sydney, avant de faire planer au-dessus d'elle une menace plus grande encore. Dans les dernières minutes, on réalise que toute l'opération est le fruit des manipulations de Sloane –qui confirme ici son statut de grand méchant de la série– et que Francie, la meilleure amie de Sydney, a été assassinée et remplacée par un double.

C'est audacieux, voire carrément fou, mais ça fonctionne et dix-sept ans après la diffusion de l'épisode (après le Super Bowl de 2003), on est toujours autant scotchées à notre écran.

Le crush: Rosanny Zayas (Sophie dans «The L Word: Generation Q»)

De tout le nouveau casting, c'est sans doute elle la plus solaire et la plus attachante. Et c'est la seule personne au monde capable d'être aussi sexy en pantacourt.

Peak de chaleur: La scène d'ouverture de la série.

Sur-mesure: si vous cherchez un mix foufou de «Buffy», «Lost» et «Princess Bride»...

... regardez The Magicians (Amazon Prime Video).

Dans l'univers de la télévision, on parle de «jumping the shark» (littéralement «sauter par-dessus le requin») pour décrire le moment où une série se perd dans des rebondissements absurdes: la mort d'un personnage, le retour d'une personne qu'on pensait morte, un voyage dans le temps... ou littéralement un saut par-dessus un requin.

The Magicians, dont la cinquième saison vient de débuter, ne se contente pas simplement de sauter par-dessus le requin: elle fait un triple salto par-dessus le requin, l'attrape au lasso, le recouvre de paillettes et fait du saut en parachute avec lui. Depuis cinq saisons, la série de Sera Gamble et John McNamara a élevé les péripéties sans queue ni tête au rang d'art.

Le show a démarré comme une adaptation assez sage du roman de fantasy éponyme de Lev Grossman, décrit comme un «Harry Potter pour les adultes» (avec du sexe et des grossièretés, donc). On y suit un groupe d'étudiant·es qui se retrouvent accepté·es dans une université pour magicien·nes et sont entraîné·es dans une succession d'aventures toujours plus rocambolesques.

Après une première saison un peu bridée par son matériel d'origine, la série a pris son envol et s'est transformée en un divertissement jubilatoire au rythme effréné –n'essayez pas de comprendre, The Magicians est un vrai exercice de lâcher-prise.

Chaque épisode comptabilise environ trois milliards de twists, et la writer's room est devenue célèbre pour son humour méta et ses références pop culturelles, valant souvent à la série d'être comparée à Buffy.

Soyons honnêtes, The Magicians n'a pas l'intelligence ni la finesse de l'œuvre fondatrice de Joss Whedon. Mais quand elle ne lui rend pas hommage avec des numéros musicaux, elle partage avec cette dernière une audace narrative vertigineuse.

La série a également été célébrée pour sa représentation fluide et décomplexée de la sexualité, notamment celle de son héros Quentin, qui est présenté comme hétéro mais réalise peu à peu qu'il est bisexuel.

Malgré ses intrigues hautement ridicules, The Magicians atteint régulièrement de véritables moments de grâce, comme dans l'épisode «A Life in the Day», qui crée une timeline alternative dans laquelle Quentin et son ami Elliot tombent amoureux et vivent heureux ensemble jusqu'à la mort. Si la série a récemment fait des choix controversés, elle reste une des plus divertissantes du petit écran.

Ces textes sont parus dans la newsletter bimensuelle Peak TV.

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