À Des Moines, Iowa
Une fois arrivé à Des Moines, la capitale de l'Iowa, il ne faut pas bien longtemps pour se faire rattraper par la politique. Ce jeudi 30 janvier, Donald Trump est en ville pour un meeting de campagne avant les caucus du 3 février, première étape pour désigner les candidat·es républicain·e et démocrate à la présidentielle de novembre. Certain·es Démocrates en lice et leurs armées de volontaires sont aussi sur place. Depuis des mois, ces présidentiables quadrillent l'État du centre des États-Unis, en quête de voix.
Alors que son taxi file dans la nuit glaciale de Des Moines, le long de larges autoroutes déneigées, Timothy croise un impressionnant cortège de voitures de police escortant un bus «Trump-Pence». «Mike Pence doit être dedans», dit-il en parlant du vice-président américain qui, le matin même, était venu cajoler l'électorat évangélique de Des Moines. Timothy l'admet, il a hâte que les caucus se terminent. «On n'en peut plus de recevoir des textos, des appels-robots, d'entendre les spots de campagne à la radio, de recevoir des visites de volontaires faisant du porte-à-porte, peste-t-il. La seule chose de bien avec ces élections, c'est que la ville se bouge enfin pour réparer les nids-de-poule!»
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Comme tous les quatre ans, revoilà donc l'Iowa, petit territoire de 3 millions d'habitant·es que même les Américain·es ont du mal à situer sur une carte, sous le feu des projecteurs. Le 3 février, l'attention des médias est braquée sur le résultat des caucus démocrates (l'issue du scrutin chez les Républicains ne fait guère de doute). Lors de ces réunions, on débat et vote en public pour désigner des délégué·es, dont une partie ira à la convention démocrate en juillet à Milwaukee pour formellement investir la ou le candidat du parti. Objectif pour les prétendant·es: s'imposer ou créer la surprise. Car une victoire dans l'Iowa, même relative, est synonyme de donations supplémentaires et de couverture médiatique positive, ce qui n'est pas de trop pour affronter le reste de l'éprouvante course à l'investiture.
Sur les sept dernières investitures contestées (quand un président sortant ne s'est pas représenté), cinq vainqueurs de l'Iowa ont remporté la nomination du parti par la suite. «Le vainqueur crée une dynamique positive autour de sa candidature. S'il peut enchaîner avec une victoire dans le New Hampshire le 11 février puis en Caroline du Sud, il peut s'échapper face à ses concurrents, résume Simon Conway, animateur de radio dans une station locale. Il y a des candidats dans le passé qui ont choisi de ne pas faire campagne dans l'Iowa, comme Rudy Giuliani, mais ils ne sont jamais devenus présidents.»
Manque de représentativité
Tous les quatre ans, durée du mandat présidentiel, la prééminence de l'Iowa est contestée. Cette année, elle l'est encore plus. Et pas uniquement par les candidat·es, comme le milliardaire Michael Bloomberg et l'ancien gouverneur du Massachusetts Deval Patrick, qui ont décidé de ne pas y faire campagne pour se concentrer sur d'autres États. Selon un article du site d'information Politico, intitulé «L'Iowa n'a jamais aussi peu importé qu'en 2020», le journaliste Bill Sher observe que les candidat·es y passent moins de temps cette année. Il n'y en a que deux, l'ex-député John Delaney et la sénatrice Amy Klobuchar, qui ont visité tous les comtés de l'État et passé plus de 50 jours sur place à la fin 2019 (Delaney s'est retiré de la course le 31 janvier).
Même Joe Biden a réduit la voilure. Il n'était venu que 41 jours à la fin de l'année dernière, contre 120 au même moment de sa campagne en 2008. On est loin du temps où les candidat·es s'installaient dans l'Iowa pour gagner des votes. Ce changement de stratégie s'explique notamment par le resserrement du calendrier des primaires: cette année, 60% des délégué·es démocrates seront désigné·es avant le 15 mars, notamment parce que la Californie et ses 416 délégué·es participeront le 3 mars au Super Tuesday, nom donné au jour où un grand nombre d'États votent simultanément. Cela pousse les candidat·es à diversifier leurs stratégies.
Le manque de représentativité de l'Iowa dérange aussi cette année, alors que les questions de diversité raciale sont soulevées par les prétendant·es démocrates depuis le début de la campagne. État essentiellement rural et blanc, il n'est pas à l'image de l'électorat américain de 2020, où la part projetée de l'électorat non blanc n'a jamais été aussi élevée (33% selon l'institut Pew contre 24% en 2000). Quelques candidat·es l'ont fait remarquer. Selon l'ancien ministre hispanique du Logement Julián Castro, qui a jeté l'éponge le 2 janvier, les caucus «ne reflètent ni le pays ni le parti démocrate» et a appelé à ce que l'Iowa ne vote plus en premier.
L'Iowa a lancé la campagne d'Obama
Et puis, il y a le fonctionnement des caucus eux-mêmes. Dans un tel système, les électeurs et les électrices ne votent pas dans le secret de l'isoloir, mais prennent position au vu de tous dans des emplacements spécifiques dans la salle du vote en fonction de leur candidat·e. Une dizaine d'États ont abandonné ce système en 2020 au profit de primaires pour accroître la participation et s'éviter des casse-têtes logistiques ou de comptage. Seuls l'Iowa et le Nevada s'y accrochent encore.
«L'Iowa n'est qu'un indicateur des choix des militants les plus actifs et motivés du parti», résume Dennis Goldford, professeur de politique à l'Université Drake. Pour rappel, l'Iowa n'envoie «que» quarante-neuf délégué·es à la convention démocrate, soit environ 1% du nombre total de délégué·es. Selon ce spécialiste des caucus, coauteur de The Iowa Precinct Caucuses, la «valeur de l'Iowa est créée par les médias. Le Super Tuesday est plus significatif. Mais les médias disent que l'Iowa est important, donc les politiques pensent que c'est important. Et comme les politiques pensent que c'est important, cela renforce les médias dans leur conviction. C'est un cercle sans fin».
«L'Iowa et ses électeurs blancs, âgés, ont été décisifs dans l'élection du premier président afro-américain, Barack Obama.»
Un État aussi peu représentatif devrait-il ouvrir le bal de l'investiture, comme il le fait depuis 1972? «Vue l'étendue du pays, si on veut éviter d'avoir trop de barrières à l'entrée, il vaut mieux éviter que tous les États votent en même temps pour l'investiture. Et il vaut mieux que le premier État ne soit pas très gros», fait valoir Clément Pairot, un Français qui a participé à la campagne de Bernie Sanders en 2016 dans l'Iowa et ailleurs. Il est l'auteur de Democrazies, un ouvrage sur son expérience.
Kathie Obradovich, ancienne chroniqueuse politique au sein de l'influent journal Des Moines Register, dirige aujourd'hui la rédaction d'Iowa Capital Dispatch, un nouveau site d'information qui couvre l'actualité de l'État. Elle balaie la critique de la représentativité d'un revers de main. «L'Iowa et ses électeurs blancs, âgés, ont été décisifs dans l'élection du premier président afro-américain, Barack Obama», fait-elle valoir. En 2008, l'État a en effet lancé la campagne d'Obama, qui a créé la surprise en s'imposant face à Hillary Clinton notamment. «Comme les seuls Démocrates participent aux caucus, une minorité d'électeurs fait le déplacement, mais ceux qui le font prennent leur mission très au sérieux. Dans l'Iowa, il y a une vieille blague qui dit qu'on ne peut pas faire son choix tant qu'on n'a pas rencontré tous les candidats», poursuit Kathie Obradovich.
N'ayant pas voté depuis des années, Emily Moorlach reprend le chemin des caucus cette année, bien décidée à battre Donald Trump. L'Américaine trouve Joe Biden et le socialiste Bernie Sanders trop âgés. Elle aime la sénatrice Elizabeth Warren mais se demande si elle pourra battre Trump. À l'approche du 3 février, elle a donc multiplié les recherches pour s'assurer de faire le bon choix. «Tous les yeux sont sur nous en ce moment, souligne cette traductrice de Des Moines. On ne peut pas prendre le choix à la légère.»
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