Monde / Économie

Sanders est l'adversaire démocrate idéal pour faire gagner Trump

Temps de lecture : 7 min

En revendiquant son socialisme, Bernie Sanders tend à Donald Trump le bâton pour le battre.

Bernie Sanders à Washington, D.C. le 1er mai 2016 et Donald Trump à Chicago, le 28 octobre 2019. | Olivier Douliery / AFP – Brendan Smialowski / AFP – montage Slate.fr
Bernie Sanders à Washington, D.C. le 1er mai 2016 et Donald Trump à Chicago, le 28 octobre 2019. | Olivier Douliery / AFP – Brendan Smialowski / AFP – montage Slate.fr

Si Bernie Sanders remporte les deux premiers États dans la primaire démocrate, il a de fortes chances de gagner l'investiture.

Voilà qui paraît être une bonne nouvelle pour les progressistes... sauf que pas du tout. Sanders a de sacrés handicaps qui n'ont pas été exploités lors de la primaire. S'il devient le candidat officiel du Parti démocrate, ces handicaps pourraient servir l'élection sur un plateau à Donald Trump. David Frum l'a expliqué le lundi 27 janvier dans the Atlantic, et Jonathan Chait, dans le New York magazine, a surenchéri en apportant en outre des preuves inspirées d'élections récentes. Et les sondages suggèrent que Trump a déjà identifié un thème qui anéantirait Sanders: son socialisme.

Trump fait campagne sur l'économie, mais il sait pertinemment que beaucoup d'électeurs et d'électrices ne l'aiment pas. Et il a besoin de leur donner une raison d'avoir peur du parti d'en face: c'est là que le socialisme entre en scène. Trump utilise ce mot à chaque meeting, dans l'espoir de coller aux Démocrates une image radicale et effrayante. La sénatrice Elizabeth Warren partage beaucoup des idées de Sanders, mais elle n'appelle pas ça du socialisme. Sanders, si. Ce faisant, il se met de lui-même à la merci de Trump.

Les États-Unis sont hostiles au socialisme

Fréquenter de jeunes progressistes pourrait vous donner l'impression que le socialisme est un concept populaire. C'est une réalité, mais uniquement à gauche. Dans le dernier sondage Gallup, qui date de septembre 2019, les liberals [de gauche] et les Démocrates considèrent le socialisme sous un jour favorable, mais les Américain·es dans leur ensemble le rejettent, à 57% contre 39%. Dans le même sondage, les personnes interrogées se déclarent favorables au capitalisme, à 60% contre 35%. Un sondage Harvard/New York Times, conduit en juillet et août, dévoile le même genre de résultats: les Américain·es soutiennent le capitalisme à 57% contre 37% tout en rejetant le socialisme à 59% contre 34%. Une enquête menée au mois de mai par le Pew Research Center, une autre en mars par l'organisme libertarien Cato Institute, et une troisième en décembre pour Fox News en arrivent au même type de conclusions. Dans chaque sondage, le socialisme fait un bon score chez les progressistes mais il est battu à plates coutures dans la population générale lorsqu'il est mis en rivalité avec le capitalisme.

Un homme politique américain comme Sanders, qui croit profondément au socialisme, a tous les droits de se présenter sous cette étiquette, mais ça lui portera sûrement préjudice. En novembre, une enquête HarrisX demandait: «Envisageriez-vous de voter un jour pour un candidat socialiste?» Pour les progressistes, c'était oui. Mais 72% des inscrit·es sur les listes électorales, et même 64% des Démocrates, ont répondu non. Lorsque l'on leur a demandé s'ils et elles pourraient un jour voter pour un «socialiste démocrate», la formulation favorisée par Sanders, le pourcentage de réponse négative est tombé à 52. Mais cela reste une majorité.

Combien de ces électeurs et électrices les Démocrates peuvent-ils se permettre de perdre?

Ce chiffre, 52%, est plus mauvais qu'il n'en a l'air, car il ne s'agit pas juste de gens de droite. Cela comprend 25% de Démocrates et 29% d'électeurs et électrices qui «penchent à gauche». Soustrayez tous ces gens de la masse de l'électorat démocrate, et vous voilà bien dans l'embarras. Data for Progress, un organisme qui penche à gauche, propose des chiffres plus encourageants: dans son enquête, 62% des personnes susceptibles de voter démocrate lors des primaires expriment une opinion favorable à l'égard du «socialisme démocratique». Mais 17% d'entre elles, dont 38% de l'électorat démocrate des primaires qui se qualifie de modéré ou de conservateur, expriment une opinion défavorable. C'est une partie des votant·es que les Démocrates peuvent difficilement se permettre de perdre.

Il n'est pas exclu que grâce à un mélange d'inspiration et de promesses de campagnes, Sanders réussisse à surmonter le handicap politique que représente sa défense du socialisme. Le taux d'approbation dont il bénéficie dans la totalité de l'électorat est relativement proche de celui de ses adversaires démocrates. Et certain·es électeurs et électrices antisocialistes l'apprécient clairement. Un sondage Rasmussen, organisé en novembre pour l'organisme conservateur Heartland Institute, révèle que 20% des potentiel·les votant·es ayant une opinion très favorable de Sanders ont également affirmé que ces personnes «ne voteraient pas pour un candidat présidentiel qui s'identifierait comme socialiste». Cependant, peut-être passeraient-elles outre leur aversion du socialisme pour élire Sanders.

Mais c'est plutôt optimiste. Quand les gens se contredisent dans une enquête, l'explication la plus simple est qu'ils n'ont pas conscience de la contradiction. Qu'arrive-t-il quand ceux qui disent qu'ils aiment Sanders mais qu'ils ne voteraient jamais pour un socialiste découvrent qu'il l'est? Combien de ces électeurs et électrices les Démocrates peuvent-ils se permettre de perdre?

C'est tout bénéfice pour Trump

On peut avancer que le socialisme n'est qu'un mot, et que ce qui compte vraiment c'est son programme sur des sujets spécifiques. Or sur le plus important, la santé, Sanders propose exactement ce qui éloigne l'électorat du socialisme. Contrairement à Biden et à d'autres candidat·es qui privilégient une option publique –un système d'assurance santé géré par l'État, en compétition avec les assurances privées, qui offrirait un choix supplémentaire aux consommateurs– le projet de loi Medicare for All de Sanders rendrait explicitement «illégale la vente par une entreprise privée d'une assurance de couverture santé» ou «des avantages fournis par un employeur» qui «feraient doublon avec les avantages» proposés par le gouvernement. Il établirait un monopole d'État.

Tous les sondages indiquent que l'option publique remporte les suffrages et que Medicare for All ne convainc pas. Dans une enquête NBC/Wall Street Journal datant de septembre 2019, 67% de l'électorat approuvent l'idée de «donner aux moins de 65 ans la possibilité de payer leur couverture santé par le biais du programme Medicare». Seuls 20% étaient contre cette idée. Mais dans le même sondage, 56% des personnes étaient opposées à Medicare for All contre seulement 41% d'opinions favorables. C'est une perte de 26 points pour la couverture santé publique, et une augmentation de 36 points en sa défaveur, lorsqu'on passe du capitalisme progressiste au socialisme à la Sanders.

Sanders a un passif de militantisme qui aiderait Trump à le faire passer pour un radical cinglé.

D'autres enquêtes montrent la même tendance défavorable à la proposition de Sanders. Un sondage Fox News de décembre montre que 66% des électeurs et électrices soutiennent «une modification du système de santé pour que chaque Américain puisse adhérer à Medicare s'il le souhaite». Mais seuls 41% approuvent l'idée de «se débarrasser des assurances santé privées et de se reporter sur un système de soins pour tous contrôlé par le gouvernement». Toujours en décembre, un autre sondage NPR/Marist dévoile que 56% des personnes privilégient un «plan santé dirigé par le gouvernement... qui serait en concurrence avec des programmes de couverture santé privés». Mais seuls 40% approuvent «un programme d'assurance santé pour tous les Américains qui remplacerait les assurances de santé privées».

Sanders laisserait les compagnies d'assurance vendre des complémentaires santé qui n'entreraient pas en concurrence avec son programme géré par le gouvernement, mais ça ne règle pas le problème politique. En septembre, un sondage HarrisX a découvert que lorsqu'on donnait le choix aux votant·es entre cinq systèmes de couverture santé, 10% choisissaient la position socialiste la plus dure, selon laquelle «Medicare/Medicaid devrait être étendu pour couvrir tous les citoyens quels que soient leur âge ou leurs revenus, et les programmes de santé privés devraient être abolis». 27% optaient pour la position de Sanders, selon laquelle «les gens devraient être capables de contracter des assurances santé complémentaires». D'un autre côté, 19% affirmaient que «le système santé actuel doit être conservé tel qu'il est». Et 18% que «le gouvernement devrait se retirer et ne pas financer de couverture santé du tout».

C'est un bloc de 37% à gauche et de 37% à droite. Le bloc restant, soit 25%, choisit l'option du milieu: «Tout citoyen devrait pouvoir adhérer à Medicare/Medicaid quel que soit son âge ou son revenu, et ceux qui ont contracté des assurances privées devraient pouvoir la garder.» Donnez ce qu'il veut à cet électorat du milieu, et vous vous adressez à une majorité de 62%. Abolissez la couverture privée des soins de santé de base, et vous risquez de vous aliéner une majorité de 62%.

Le socialisme et l'interdiction des assurances santé privées ne sont qu'une partie des arguments anti-Sanders. Le candidat promet des prestations sociales massives dont il n'a pas la moindre idée du coût, dans un pays où les votant·es sont largement opposé·es aux augmentations fiscales. Il trouve que toutes les personnes condamnées devraient avoir le droit de vote, «même lorsqu'elles sont en prison». Et il a un passif de militantisme qui aiderait Trump à le faire passer pour un radical cinglé: il a prôné le marxisme révolutionnaire, fait l'éloge de pays communistes, s'est opposé à des organisations caritatives privées, exigé l'abolition de la CIA et mis les cancers hormonaux féminins sur le compte de la répression sexuelle et d'autres facteurs «psychosomatiques». Si les candidat·es démocrates se sont abstenu·es d'utiliser ces vieux dossiers contre lui, Trump ne se gênerait probablement pas.

Si le socialisme a suffisamment d'importance à vos yeux pour prendre le risque de perdre les élections, votez Sanders. Mais si tout ce que vous voulez, c'est un gouvernement progressiste –qui propose une option d'assurance santé, rend l'université plus abordable et mobilise le pays contre le changement climatique– vous avez bien plus de chance d'y arriver en accordant l'investiture démocrate à quelqu'un de pragmatique. Certes, il est agréable de voter pour le candidat que l'on admire le plus. Mais si Sanders remporte la nomination démocrate lors de la primaire et que Trump gagne les élections, vous aurez quatre années de plus pour sentir votre douleur.

Retrouvez l'actualité de la campagne présidentielle américaine chaque mercredi soir dans Trump 2020, le podcast d'analyse et de décryptage de Slate.fr en collaboration avec l'Ifri et TTSO.

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