Société / Économie

Le télétravail peut vite tourner au cauchemar

Temps de lecture : 5 min

Ça peut très bien se passer, à condition que votre responsable sache manager.

Certain·es supérieur·es hiérarchiques vont très loin dans leur défiance à l'égard des télétravailleur et des télétravailleuses, usant de méthodes tout à fait absurdes. | Andrew Neel via Unsplash
Certain·es supérieur·es hiérarchiques vont très loin dans leur défiance à l'égard des télétravailleur et des télétravailleuses, usant de méthodes tout à fait absurdes. | Andrew Neel via Unsplash

Le télétravail prend de l'ampleur, ce qui est –globalement– une bonne chose. Les salarié·es ne perdent plus de temps dans les transports, ça fait moins de voitures sur les routes, les entreprises sont à même de mieux attirer et fidéliser des collaborateurs et des collaboratrices pour qui la possibilité de travailler à distance compte beaucoup... Et ça fait plus de gens qui peuvent bosser en jogging, leur chat à côté de leur clavier (ou dessus).

Surveillance rapprochée

Mais quand on fait partie d'une équipe où le télétravail est autorisé, un bon management est indispensable et, pourtant, trop souvent absent. Sans un management solide, un·e responsable pas très doué·e ou pas formé·e pour encadrer efficacement le personnel à distance peut être tenté·e de pratiquer le micromanagement ou d'imposer des limites trop strictes à ses employé·es: dans ce cas, la personne consciencieuse peut se démotiver à cause de la méfiance dont elle fait l'objet. Le contraire peut aussi se produire, à savoir que celles qui disent «je travaille de chez moi» sont en réalité totalement injoignables ou improductives alors que leur responsable n'y voit que du feu ou ne veut pas gérer ce problème.

De façon générale, un bon management est toujours important. Mais s'il fait défaut dans le cas du télétravail, ça peut vite tourner au cauchemar! J'en veux pour preuve l'anecdote de cette personne:

«Dans le secteur du commerce, j'ai déjà travaillé avec une assistante de direction. Elle prétendait ne pas avoir une minute à elle. Mais que faisait-elle au juste? Ça, personne ne l'a jamais su. Elle disait travailler de chez elle et, en effet, l'horodatage de ses e-mails le confirmait. Mais un vendredi où j'ai pu aménager mon temps, je suis allé à la supérette. Et là-bas, je suis tombé sur elle, qui travaillait comme caissière. On ne s'est pas dit un mot.»

Voici un autre témoignage qui montre que certains ont une conception très élastique et cool du «travail à domicile»:

«Tous les jours sans exception, mon ancien boss quittait le bureau vers 15 heures. Il se justifiait auprès de son propre chef, et parfois auprès de nous, en disant qu'il travaillerait chez lui. D'autres fois, il nous disait carrément en partant: “Demain soir, je veux regarder le match de foot, alors j'ai intérêt à emmener ma copine au cinéma cet après-midi.” Ou il nous confiait qu'il emmènerait sa fille faire du shopping. Un jour, nous l'avons pris en flagrant délit de mensonge: il avait raconté une histoire aux collègues du bureau et une autre aux collègues du terrain.

Et quand il m'arrivait de travailler de chez moi à cause d'une tempête de neige, il n'arrêtait pas de m'appeler et de m'envoyer des messages. Je savais que c'était pour vérifier que je travaillais vraiment... Ce boulot ne me manque pas du tout.»

Bénéfique, mais mal vu

Malgré ces abus flagrants, il y a des tas de gens qui travaillent de chez eux et dont la majorité, d'après mon expérience, ne détournent pas cet avantage. Ceux-ci sont tout aussi productifs depuis leur domicile (voire plus, car on est souvent interrompu sur le lieu de travail et il peut être plus facile de se concentrer hors du bureau). Et ils vivent mal la méfiance des managers qui estiment que travailler de chez soi veut dire se la couler douce:

«Récemment, j'ai demandé à télétravailler un jour par semaine, ce qu'on m'a finalement accordé. Mais pendant toute la démarche, j'ai eu l'impression d'être un délinquant présumé... Et j'ai encore l'impression qu'on me soupçonne d'avoir un poil dans la main ou de vouloir passer ma journée devant la télé. Parce que j'ai fait cette demande sans avoir de “bonnes raisons”, par exemple des enfants à garder. On m'a dit oui pour un jour de télétravail, mais je suis clairement en période d'essai et je dois me soumettre à toutes sortes de contrôles supplémentaires, sans compter que cette particularité de mon travail fera l'objet d'une évaluation spéciale. On dirait qu'ils ont l'impression de ne pas en avoir pour leur argent s'ils ne me voient pas en chair et en os pour être sûrs que je ne suis pas en train de prendre du bon temps.»

«Ma cheffe pense que son rôle d'encadrante implique de me surveiller, via un appel vidéo, pendant que je travaille.»
Une chercheuse et télétravailleuse à plein temps

Certain·es supérieur·es hiérarchiques vont très loin dans leur défiance à l'égard des télétravailleur et des télétravailleuses, usant de méthodes tout à fait absurdes. On m'a fait part de plus d'un cas de managers qui tiennent à voir en vidéo leur personnel basé à domicile:

«Je suis chercheuse, un métier que j'adore, et télétravailleuse à plein temps. Le souci, c'est que ma cheffe pense que son rôle d'encadrante implique de me surveiller, via un appel vidéo, pendant que je travaille. Je lui ai demandé (gentiment mais fermement) d'arrêter et j'en ai parlé à son responsable, que ça a choqué. Du coup, même le grand patron s'en est mêlé. Mais ça n'a pas changé grand-chose. Elle a juste un tout petit peu lâché du lest, mais elle se plaint de ne plus pouvoir me superviser depuis que “je me suis plainte”.»

Juger à l'objectif, pas à la visibilité

Tous ces problèmes pourraient se régler par un meilleur management. Les responsables hiérarchiques n'ont qu'à définir des objectifs précis pour leurs collaborateurs et collaboratrices sur une période donnée (semaine, mois, trimestre ou année) et faire régulièrement le point sur leur état d'avancement. Cela leur permettra de ne plus avoir à se méfier de ce que font en réalité leurs subordonné·es, et encore moins à les visionner pendant leur travail!

Une fois concentré·es sur des résultats concrets à atteindre, les employé·es n'auront pas à justifier leurs activités pour chaque heure de la journée. Et si la personne n'est pas assez joignable, la ou le bon manager lui communiquera également des attentes claires sur ce point. Par exemple, répondre dans la journée à tous les appels ou les e-mails ou mettre en place un message d'absence sur la messagerie interne si elle s'éloigne de son ordinateur pour une longue durée.

Même combat au bureau

Les managers ont tout intérêt à exprimer clairement ces exigences, même en ce qui concerne les salarié·es présent·es sur le lieu de travail. Mais il est d'autant plus crucial de le faire avec les personnes qui travaillent à distance. C'est là l'origine des problèmes que pose parfois le télétravail: trop de managers ne parviennent pas à encadrer comme il faut leurs équipes, qu'elles soient sur site ou non. Ces responsables ne savent pas déléguer efficacement, fixer des objectifs –ni responsabiliser les employé·es vis-à-vis de ces objectifs–, donner un feedback constructif ou encore rester connecté·es avec leurs subordonné·es et l'opérationnel.

Quand un mauvais management se combine à toutes ces dérives, cela donne des résultats particulièrement désastreux et des défaillances managériales qui apparaissent avec une clarté aveuglante –alors qu'elles auraient pu passer inaperçues.

Recruter des managers compétent·es et les former est un impératif absolu pour les entreprises. Ce sera encore plus crucial –et l'absence de compétence managériale deviendra plus difficile à ignorer– au fur et à mesure que le télétravail se répandra.

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