Société

Mais qui donc se passionne pour la haute couture?

Temps de lecture : 3 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] Que serait ma vie sans ces collections qui tous les six mois chamboulent ma conception de l'existence?

Je n'ai jamais compris l'engouement suscité par ces défilés. | Regan Vercruysse via Flickr
Je n'ai jamais compris l'engouement suscité par ces défilés. | Regan Vercruysse via Flickr

Jean-Paul Gaultier a annoncé que son défilé du mercredi 22 janvier serait le dernier de sa carrière. Ah. Soit. Tant pis. Tant mieux. Pas possible? À cette heure, j'ignore encore si je m'en remettrai, si le monde s'en remettra. Il faut dire que je suis extrêmement sensible à la haute couture. Je ne perds jamais une occasion d'assister à un défilé et quand mon emploi du temps ne me permet pas d'être présent, afin de me tenir informé, je collectionne les coupures de journaux.

Que serait ma vie sans ces collections qui tous les six mois chamboulent ma conception de l'existence? Comment supporterais-je le poids de l'ennui si jamais je devais être privé de ces mannequins qui d'un pas chaloupé, l'œil farouche et le regard pénétré, s'en vont et s'en viennent comme de grands guépards domestiqués qui auraient été privés de dessert depuis l'aube de la création? Qui saura dire l'émoi qui est le mien quand je vois ces fauves venir à moi, me toiser un instant de toute leur intrépide beauté avant de retourner d'où ils étaient venus, de ces loges où des couturiers inquiets les pressent de changer de toisons pour mieux satisfaire nos appetits voraces?

Ces corps émaciés à en perdre raison, ces visages creusés comme des rigoles d'immortalité, ces jambes longues à envoûter le plus obtus des papes, qui saura dire leur pouvoir de séduction quand ils apparaissent sous les lumières de leurs admirateurs assis là en rang serré, parterre de célébrités dont pas une ne se soucie de la marche du monde ni des affaires courantes, créatures hors sol qui semblent être venues sur terre uniquement pour venir les contempler?

Je n'ai jamais compris tout l'engouement suscité par ces défilés qui tous les six mois nous reviennent avec la régularité d'un rhume des foins ou d'une vague de méduses, au temps des vacances d'été. Qui cela peut-il bien intéresser de voir tout cet épouvantail de robes, de chapeaux, de chemisiers que jamais personne ne portera si ce n'est une poignée de privilégiés assez téméraires pour s'acheter à prix d'or leurs précieuses répliques? Que n'a-t-on faire de sa vie pour se soucier d'apparaître dans des tenues si souvent grotesques qu'on les jurerait être le fruit de quelques démiurges versés dans l'art de la contrepèterie?

On y voit des robes qui ressemblent à des descentes de lit dont on viendrait de battre les draps, quand ce ne sont pas des farandoles de tissus aux contours tarabiscotés, féérie de costumes bigarrés qui défient les lois de la pesanteur avec leurs plumes, leurs froufrous, leurs envolées lyriques, autant de tenues jetées là en pâture comme des animaux exotiques rapportés de contrées imaginaires face auxquels il nous faut cligner des yeux pour s'assurer de ne point rêver.

Serait-ce de l'art? De la simple mise en scène? De la bouffonnerie à l'état pur? De l'artifice destiné à séduire une bourgeoisie si confinée dans ses hautes sphères que du monde de tous les jours, elle ne veut rien savoir et préfère l'ivresse de l'apparence à la confrontation avec le réel? Pour qui défilent ces demoiselles efflanquées, ces garçons élancés, ces éphèbes aux attributs parfaits? Pour eux-mêmes? Pour prêter leurs traits aux rêves ensorcelés de couturiers endiablés? Pour se complaire dans le paraître? Pour donner à rêver?

Ils vont et viennent comme des demi-dieux, attifés d'invraisemblables tenues qui s'ils venaient à se promener avec en pleine rue leur vaudraient direct des tirs répétés de LBD. À leur vue, des couillons endimanchés sortis tout droit de chez leur coiffeur applaudissent comme ils applaudiront plus tard à Roland-Garros les coups de raquette d'un Federer dont on leur aura dit qu'il est le plus grand des sportifs en activité.

Ceux-là promènent aussi leur magnificence lors de soirées musicales, opéras ou symphonies, auxquels ils n'entendent rien mais qu'importe, une réputation se bâtit aussi à coups de sacrifices et d'assoupissements, surtout s'ils se déroulent au fond de fauteuils rembourrés. Les prix littéraires, ils les lisent tous si bien que leur connaissance de la littérature vaut celle de mon tripier, lequel a l'honnêteté d'avouer ne rien lire qui puisse le tenir éveillé.

La mode. La haute couture. Le monde du luxe.

Un autre monde.

Vite! Est-il d'autres vies?

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