A un moment où l'Allemagne, comme dans les années 1980, agace ses partenaires en se posant en modèle de vertu économique et financière, il revient à la vieille garde chrétienne-démocrate de faire entendre une voix européenne. C'est le rôle qui échoie à Wolfgang Schäuble. Le ministre des Finances a proposé la création d'un Fonds monétaire européen (FME), comparable au FMI, pour venir en aide aux pays de la zone euro dans la tourmente. Sa proposition a été accueillie avec réserve par la chancelière Angela Merkel qui, depuis l'Allemagne de l'Est où elle a grandi, est moins sensible à l'épopée de l'intégration européenne que le doyen de son gouvernement. Car implicitement, l'idée d'un FME contredit un principe de la politique allemande, confirmé par le tribunal constitutionnel de Karlsruhe: pas de «renflouement» des Etats européens en détresse budgétaire.
Certes, Wolfgang Schäuble a assorti sa proposition de nombreuses précautions. Le FME est un projet à moyen terme qui ne concerne pas la Grèce. Il n'interviendrait qu'en dernier recours, après que les pays concernés auront pris des mesures draconiennes pour redresser leurs finances publiques et auront été placés sous une surveillance stricte des autorités européennes. Pendant l'intervention du FME, les Etats aidés n'auraient plus le droit de participer aux délibérations et aux décisions concernant la zone-euro. Ils pourraient même en être exclus.
Il n'en reste pas moins que Wolfgang Schäuble présente son idée de FME comme un progrès de l'intégration européenne. Et c'est bien le cas, en effet. Rien de très étonnant de la part de ce vétéran de la cause européenne, qui représente la tradition de la démocratie-chrétienne allemande d'après-guerre.
Rescapé de l'ère Kohl
A 67 ans, Wolfgang Schäuble est le plus vieux ministre d'Angela Merkel. Il est le seul rescapé de l'époque Kohl, du temps où, en République fédérale, on rêvait encore des Etats-Unis d'Europe. Dans les années 1990, il passait même pour le dauphin du chancelier chrétien-démocrate qui est resté au pouvoir aussi longtemps que Bismarck. Wolfgang Schäuble a été tour à tour chef de la chancellerie, ministre de l'Intérieur (deux fois, avec Kohl et avec Merkel), président du groupe parlementaire, président du Parti chrétien-démocrate. C'est lui qui, en 1990, a négocié le traité scellant la réunification des deux Etats allemands. La même année, il a été victime d'un attentat qui l'a condamné à passer le reste de ses jours dans une chaise roulante.
L'affaire des caisses noires de la CDU a été l'occasion pour Angela Merkel de se débarrasser d'un rival, mais la chancelière n'a pas pu se passer des services de cet homme politique d'expérience qui est sans doute moins dangereux pour elle à l'intérieur qu'à l'extérieur du gouvernement.
Un homme qui a gardé ses convictions et son franc-parler. En tant que ministre des Finances dans le nouveau cabinet, il n'a pas hésité à critiquer les plans de réduction des impôts mis en avant par les alliés libéraux de la CDU-CSU. Et le voici qui reprend son rôle d'éclaireur de l'intégration européenne. En 1994 déjà, avec son ami Karl Lamers, il avait proposé la création d'un «noyau dur» au sein de la Communauté européenne, qui aurait été constitué autour de la monnaie unique. La France, en pleine cohabitation Mitterrand-Balladur, avait superbement ignoré cet appel.
Pour expliquer sa nouvelle proposition de Fond monétaire européen, il a écrit dans le quotidien Financial Times Deutschland une véritable profession de foi européenne qui tranche avec la tiédeur, camouflée en «pragmatisme», de la plupart des dirigeants allemands aujourd'hui. Non, l'Allemagne n'a pas d'autre choix qu'une zone euro forte et stable et une Union monétaire qui profite de la crise pour accomplir de nouveaux progrès vers plus d'intégration.
Daniel Vernet
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Photo: Wolfgang Schäuble / Reuters