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Le spectre d'une troisième Intifada

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Le contexte actuel de tensions politico-religieuses n'est pas sans rappeler, selon certains Palestiniens, celui qui a précédé la seconde Intifada.

«On vient de voir les informations, sois prudente», telles sont les recommandations de mes parents. Depuis quelques semaines, il ne se passe pas une journée sans que l'on entende parler –du moins ici, en Cisjordanie– d'une manifestation à Beit Jala, d'échauffourées dans la Vieille ville de Jérusalem, de heurts au check-point de Qalandia. Et j'en passe. Vendredi, l'esplanade des Mosquées à Jérusalem était fermée aux hommes de moins de 50 ans, pour le troisième vendredi consécutif. Résultat: armés de cartons et tapis de prière, une centaine de fidèles s'est installée sur le bitume, en face de la porte de Damas, sous l'œil avisé de dizaines de soldats et de policiers. Craignant un regain de violence, les autorités israéliennes ont bouclé la Cisjordanie pendant cinq jours. Seuls les étrangers et les Palestiniens munis de permis spéciaux pouvaient entrer en Israël.

La tension est montée d'un cran lorsque Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a annoncé vouloir inscrire au patrimoine national israélien deux lieux saints situés en Cisjordanie occupée: le Caveau des Patriarches d'Hébron et la Tombe de la matriarche Rachel à Bethléem. Elle a atteint son paroxysme avec la déclaration de la construction de 1.600 logements à Jérusalem-Est, occupée depuis 1967 par Israël, par le ministre de l'Intérieur israélien. Les négociations indirectes entre Palestiniens et Israéliens venaient de reprendre et Joe Biden, le vice-président américain, arrivait, le jour même, à Jérusalem. Cette annonce est perçue comme une «insulte» par les Palestiniens et les Américains.

A la suite des échauffourées du 28 février, une rumeur s'est propagée de Naplouse à Jérusalem-Est, selon laquelle ce soulèvement commencerait le «16 mars». Selon celle-ci, des juifs d'extrême droite envisageraient de se rendre sur l'Esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l'islam, ce jour-là pour y déposer la première pierre de la reconstruction du Mont du Temple, premier lieu saint du judaïsme. Une information qui n'a pas été confirmée par les parties juives et qui, en ce 16 mars, ne semble pas être à l'ordre du jour. Cependant, les militants du Hamas ont appelé à «une journée de colère» en réaction à l'inauguration, lundi, de la synagogue de la Hourva dans la Vieille ville de Jérusalem. Une «provocation» aux yeux des Palestiniens qui met en état d'alerte les autorités israéliennes.

Ce contexte de tensions politico-religieuses n'est pas sans rappeler, selon certains Palestiniens, celui qui a précédé la seconde Intifada. Et ce d'autant plus que, dans une interview accordée au Monde, le 20 février dernier, Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, s'était inquiété d'un «retour de la violence». Dimanche, Hatem Abdel Khader, un officiel du Fatah, a appelé «à défendre la mosquée Al-Aqsa». Une troisième Intifada serait-elle alors possible?

Division

«Un soulèvement armé est impossible, assure Mahdi Abdul Hadi, directeur de Passia (Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs) et analyste politique. Une Intifada a besoin d'un fort leadership, d'un consensus, d'un financement. Or il n'y a rien de tout ça. Les Palestiniens sont en colère, frustrés. Ils ne supportent plus la colonisation et les injustices. Certes. Mais nous faisons face à des confrontations ad hoc, des petites batailles en réaction aux atrocités vécues. Il n'y a pas de mouvement de masse. En outre, les Palestiniens sont divisés. Pas seulement parce qu'il n'y a pas de leadership, pas seulement à cause de la corruption, mais ils sont divisés en deux partis politiques, entre le Fatah et le Hamas. Ils sont divisés entre les négociations et la résistance.»

Dans la bande de Gaza, sous contrôle du Hamas, même si le parti islamique appelle à un soulèvement, cela semble difficilement envisageable. Les colons ont quitté le territoire en 2005 et le mur qui encercle la bande de Gaza, sous blocus israélien depuis trois ans, limite la circulation.

Et en Cisjordanie? Le professeur Samir Abu-Eisheh, ancien ministre de l'Aménagement du territoire, proche du Hamas et natif de Naplouse, m'assure que «la situation sur le terrain rend les Palestiniens très nerveux. Si les Israéliens continuent leurs agressions, cela pourra très certainement déboucher sur un conflit armé».

Mais dans leur bulle, les résidents de Ramallah vivent leur boom économique et ne croient pas à un mouvement armé. A Ramallah, pas un quartier sans un immeuble en cours de construction. En 2009, la croissance de l'économie palestinienne a atteint 7%. Pour un officiel de l'Organisation pour la libération de la Palestine, «cela n'a aucun sens. Salam Fayyad [le Premier ministre de l'Autorité Palestinienne, ndlr] a le soutien de la population. Les Palestiniens veulent construire leur Etat. Ils veulent un accès à l'éducation. Une vie meilleure. Certes, la situation n'est pas satisfaisante, mais cela pourrait être pire». Awwad Hamdan, le directeur de l'hôtel Al-Qasr à Naplouse, lâche: «Nous perdons tout le temps. Après la première Intifada, le système des permis a été instauré. Après la seconde, ils [les Israéliens] ont construit le mur. Si une troisième démarre, on va tout perdre. On ne veut pas de combats armés. Les échauffourées ne sont que ponctuelles. En fait, la troisième Intifada a déjà commencé, mais notre gouvernement parle d'Intifada blanche.»

Des mouvements très médiatisés

L'Intifada blanche. Un concept repris par de nombreux membres du Fatah et de la population palestinienne. A l'image de la Révolution de velours en Tchécoslovaquie et de la Révolution orange en Ukraine, cette Intifada prendrait la forme, dans un premier temps, de manifestations pacifistes qui utiliseraient les médias pour «faire savoir au monde entier ce que l'on vit», assurent de nombreux Palestiniens.

A l'heure actuelle, cette Intifada est incarnée tous les vendredis par les mouvements de Bil'in et Nil'in, pour les plus connus. Des mouvements pacifistes où se réunissent Palestiniens, Israéliens et étrangers. Des mouvements très médiatisés qui semblent déranger le gouvernement israélien. Comme pour étouffer ces manifestations, Israël a décrété il y a quelques semaines que ces deux villages devenaient des «zones militaires fermées»... chaque vendredi de 8 heures du matin à 20 heures! L'accès est donc interdit aux Israéliens, aux Palestiniens ne vivant pas dans cette zone et aux étrangers. Autre carte que jouent les défenseurs de l'Intifada blanche: la campagne de boycott des produits des colonies. Depuis quelques mois, dans les commerces palestiniens, les produits issus des colonies sont interdits. Même l'Union européenne différencie maintenant les produits issus d'Israël, de Cisjordanie et des colonies, pour le plus grand bonheur de leaders du Fatah qui ne s'arrêteront pas là.

Selon un rapport de Saëb Erekat, le responsable palestinien des négociations avec Israël, cette Intifada blanche irait jusqu'à interdire aux Palestiniens de travailler dans les colonies et à dénoncer les accords d'Oslo, signés en 1993. Des mesures, parmi bien d'autres, dont le caractère dissuasif semble indiscutable. Même en Israël, le concept d'Intifada Blanche gagne du terrain. A terme, le but de l'opération serait l'obtention, via une saisie du Conseil de sécurité des Nations Unies, d'un Etat palestinien pour 2011, comme le souhaite Salam Fayyad. Des belles paroles auxquelles ne croit guère Mahdi Abdul Hadi. Résigné, il constate seulement que «les défenseurs de l'Intifada blanche prennent l'exemple de Gandhi ou de Mandela. Or, nous n'avons ni de Gandhi ou ni de Mandela en Palestine».

Julie Schneider

Photo: Devant la porte de Damas, le 12 mars 2010. REUTERS/Baz Ratner

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