Je dois être maudit. Je pensais avoir trouvé l'endroit idéal pour goûter à une paix bien méritée et voilà que j'apprends que le Prince Harry et sa dulcinée songeraient à s'installer tout près de chez moi, dans ce Canada de cocagne où l'exil a des parfums d'exotisme. La planète n'est-elle pas assez grande pour que le couple princier choisisse précisément de poser leurs valises à quelques kilomètres d'ici, dans un endroit si reculé que même les baleines hésitent à venir s'y baigner?
De qui se moque-t-on?
Ils ne pouvaient pas s'attarder quelque part en Irlande, au fin fond d'un château écossais, en plein marécage gallois? Quel besoin de venir au Canada, le pays le plus emmerdant au monde, au lieu de brûler leur jeunesse ou ce qu'il en reste, dans une ville-monde, Singapour, Tokyo, New York, Saint-Pétersbourg, Amiens, cités vibrionnantes qui jamais ne connaissent le repos? Ils veulent quoi, nos deux amoureux? S'enterrer de leur vivant dans une contrée sans intérêt où il ne se passe jamais rien, pays sans charme ni paysage, peuplé d'individus amorphes dont la seule préoccupation dans l'existence est de boire des litres de café en regardant la pluie ou la neige tomber? À mon image, quoi.
Il est vrai qu'au Canada personne ne viendra jamais les importuner. J'en sais quelque chose. Dix ans que j'habite ici, dix ans que personne ne m'a jamais abordé pour me demander un autographe ou un selfie. D'ailleurs je pourrais parfaitement descendre dans la rue déguisé en ours sauvage coiffé d'une kippa que personne ne trouverait rien à redire. Le Messie en personne déciderait d'apparaître dans une ville canadienne qu'il lui faudrait rameuter terre et ciel pour qu'on daigne s'apercevoir de sa présence. Ils nomment cela l'esprit de tolérance. Tu parles. C'est juste qu'à force d'écouter en boucle les lamentations désespérées de Leonard Cohen, leur esprit marche au ralenti, au pas d'une marche funèbre qui serait la parfaite illustration de la manière dont le sang circule dans leurs veines: goutte après goutte, flocon après flocon.
Rencontrerais-je par hasard le prince Harry que je me garderais bien d'aller lui serrer la main. J'ai une sainte horreur de la royauté et de tous ces oripeaux; et de tendresse pour ses membres, je n'en ai aucune. À mes yeux, ils sont l'incarnation du vide sidéral propre à ces êtres qui tirent leur seul prestige d'être le fruit d'étreintes royales, lesquelles se déroulent dans les tapisserires ouatées de chambres à coucher dont chaque centimètre carré scande son aristocratie décatie, cette parfaite et scandaleuse supercherie de se penser supérieur au commun des mortels quand pour la plupart ils ne sont que des marionnettes creuses, répliques d'un temps heureusement révolu.
Le Canada vaut mieux que ce couple de tourtereaux ahuris dont on se demande encore si ce sont de simples pantins ou des êtres de chair et de sang. Je ne comprends même pas l'intérêt qu'on leur porte. Tous les jours, des dizaines de personnes choisissent d'immigrer dans ce pays dans l'indifférence la plus absolue. Des individus absolument remarquables venus contribuer à rendre le Canada encore meilleur. Qu'ont-ils à nous apporter ces deux-là dont l'existence s'est déroulée à l'ombre de palais royaux, ces caveaux funèbres où s'étiolent des vies oiseuses marquées par des parties de chasse, des séances de jeux de cartes, des dégustations d'alcools fins, tout le décorum d'un monde à jamais corrompu et dépassé?
Qu'ils aient choisi de rompre avec toute cette monotonie me les rend à peine plus sympathiques. À écouter les uns et les autres, on a l'impression d'accueillir un couple d'intellectuels dont les écrits enflammés seraient une contribution au génie humain. Des artistes prestigieux, auteurs d'œuvres immortelles capables de transcender les imaginaires. Des scientifiques aux découvertes si importantes que des vies humaines s'en trouveraient bouleversées. Ici, rien de tout cela. Juste de l'artifice, de l'apparence, de la popularité acquise non point grâce à des aptitudes particulières mais plus sur la foi d'un acte de naissance ou d'un contrat de mariage.
Certes, on ne choisit pas ses parents ni sa destinée quand elle se déroule sous de tels auspices. Mais ceci une fois posé, il nous faut demander les raisons de l'engouement suscité. Les gens s'emmerdent-ils tant dans leurs vies que par un besoin puéril, ils cherchent à vivre par procuration une existence qui n'a rien pourtant d'exaltante? Ont-ils si peu d'estime pour eux-mêmes qu'ils en viennent à choisir comme figures tutélaires des réprésentants d'une caste composée de corniauds notoires voire de grands bênets aux oreilles décollées? Ou bien alors, comble du malheur, se cherchent-ils encore des dieux qui auraient des allures de reines?
Harry et Meghan prétendent vouloir travailler et vivre de leur seul argent. Soit. Le pays manque de serveuses et de cuisiniers. D'électriciennes et de grutiers. De bouchers et de boulangères. D'infirmières et de charpentiers.
De jets-setters instagramés, pas vraiment.
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