Certains questionnements scientifiques ne peuvent être résolus qu'en attachant une paire de lunettes 3D à une seiche plongée dans un cinéma aquatique.
Cette expérience saugrenue, menée par une équipe de recherche du Wardill Lab, avait pour objectif de déterminer si ces mollusques ont une vision 3D et si, à l'instar des êtres humains, ils utilisent la distance entre leurs deux yeux pour percevoir la profondeur.
Mettre des lunettes 3D sur une seiche s'est avéré beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît pour le docteur Trevor Wardill de l'université du Minnesota et sa collègue Rachael Feord de l'université de Cambridge. Le duo a finalement trouvé un bon compromis avec ses cobayes: une crevette juteuse en guise de récompense, contre une coopération de quelques minutes pour cette expérience.
They put 3D glasses on a cuttlefish https://t.co/vGlzizZFv9 pic.twitter.com/fvEm1aCFmR
— The New York Times (@nytimes) January 8, 2020
Supersandy, Long Arms, Inky et Sylvester Stallone –les noms des seiches en question– étaient prêtes pour le grand test. Placés dans un réservoir, les animaux avaient en face d'eux un écran de cinéma sous-marin, sur lequel des images animées de crevettes, leur collation préférée, étaient projetées.
Les lunettes étaient disposées de telle sorte que la seiche voie les crevettes se déplacer dans des positions légèrement différentes avec chaque œil. La même technique donne aux films 3D leur profondeur de champ: le cerveau combine les images en une seule et utilise la triangulation pour déterminer la proximité des objets.
Si les seiches ajustaient leurs attaques en fonction des différentes distances de la crevette, cela signifierait qu'elles ont la même vision 3D que les êtres humains.
Ajustement de la distance de frappe
Les résultats de l'expérience, publiés le 8 janvier dans la revue Science Advances, suggèrent que contrairement à ce que l'on croyait auparavant, la seiche fait bien partie du cercle très fermé des invertébrés bénéficiant d'une vision en trois dimensions.
Sur la vidéo diffusée par l'équipe de recherche, on observe clairement que la seiche recule avant d'attaquer en étirant ses tentacules. Ce mouvement est révélateur, car il lui permet de poser ses tentacules sur sa proie en s'adaptant à la position de la cible.
Lorsque les scientifiques ont fait apparaître les crevettes virtuelles plus ou moins près des seiches, ces dernières ont toujours ajusté leur distance de frappe.
«Les créatures comme la seiche [...] peuvent sembler bizarres, mais les étudier peut nous aider à trouver des types de vision différentes que l'on peut ensuite adapter aux drones, aux robots aspirateurs ou aux caméras de sécurité», souligne Jenny Read, professeure en sciences de la vision à l'université de Newcastle, qui a trouvé en 2019 des résultats similaires à ceux de la seiche chez les mantes religieuses.