Monde / Économie

Aux États-Unis, la piètre santé des millennials inquiète les économistes

Temps de lecture : 5 min

Cette génération souffrirait davantage que les autres de troubles physiques et mentaux alors qu'elle occupe une place prédominante sur le marché du travail.

Dans notre pays aussi, y aurait-il des zones où le progrès en matière de santé se serait arrêté? | Hush Naidoo via Unsplah
Dans notre pays aussi, y aurait-il des zones où le progrès en matière de santé se serait arrêté? | Hush Naidoo via Unsplah

Les millennials, nés entre 1981 et 1996, forment certes la génération la plus nombreuse, la plus éduquée et le plus connectée que les États-Unis aient connue, mais il y a un problème: selon une étude publiée par Moody's Analytics, société d'étude et de conseil appartenant au même groupe que la société de notation bien connue, les membres de cette génération souffriraient de davantage de troubles de santé que celles qui l'ont précédée et ces troubles pourraient à terme peser négativement sur l'économie américaine.

Cette étude se fonde sur les données recueillies par Blue Cross Blue Shield (BCBS), une association qui regroupe des sociétés d'assurance-santé présentes sur tout le territoire américain. Le premier indice négatif est la hausse du taux de mortalité à l'âge de 35 ans par rapport à la génération précédente, la génération X (rappel méthodologique: selon les critères utilisés dans cette étude, on a la génération silencieuse, celle des gens nés entre 1925 et 1945, qui ont connu quand ils étaient jeunes la Grande Dépression après la crise de 1929 puis la Seconde Guerre mondiale, génération qualifiée de silencieuse parce qu'elle aurait subi toutes ces épreuves et beaucoup travaillé sans renâcler, celle des boomers, de 1946 à 1965, et la génération X, de 1966 à 1980).

Des causes multiples de mortalité et de morbidité

Dans un passé récent, il y a déjà eu des remontées du taux de mortalité dans une population encore jeune, mais à chaque fois une cause précise expliquait ce phénomène: la guerre du Vietnam à la fin des années 1960, une augmentation de l'usage de la drogue à la fin des années 1970. Cette fois –et c'est ce qui inquiète les spécialistes–, les causes sont multiples, allant de l'accident (notamment l'overdose) au cancer.

Mais la mortalité n'est que l'aspect le plus visible et le plus dramatique de l'évolution en cours. Comme le disait Jean de La Fontaine à propos de la peste, «ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés». L'indice de santé calculé par BCBS montre une dégradation générale de l'état de santé par rapport à la génération X, qu'il s'agisse de la santé physique ou de la santé mentale, des hommes ou des femmes, avec toutefois des différences selon le sexe: les hommes ayant des problèmes de comportement tomberaient plus facilement dans l'alcoolisme ou la toxicomanie tandis que les femmes seraient davantage frappées par la dépression sévère ou l'hyperactivité. Et la fréquence de certains troubles s'est nettement accélérée au cours des dernières années sur lesquelles on dispose de statistiques, entre 2014 et 2017.

Vers une forte hausse des dépenses de santé

À partir de ce constat, plusieurs scénarios sont envisagés. Dans le premier, dit scénario de référence, les troubles actuellement constatés pourraient n'être que temporaires et la fréquence des maladies physiques ou comportementales pourrait progressivement revenir vers les chiffres précédemment enregistrés. Mais, contrairement à ce qui avait été constaté dans le passé avec des causes spécifiques et bien identifiées, une correction relativement rapide est loin d'être acquise et cela justifie la construction d'un scénario dit adverse, la réalité pouvant s'inscrire entre ces deux extrêmes.

Dans un scénario comme dans l'autre, les responsables de l'étude estiment que les États-Unis vont vers une hausse des dépenses de santé, constatant notamment que la fréquence plus élevée des cas d'hypertension ou de hauts taux de cholestérol n'entraîne pas encore des dépenses plus fortes, les effets indésirables ne se feront guère sentir avant quarante ans; une nette accélération est donc attendue dans le futur.

Une moins bonne santé entraînerait des problèmes financiers qui à leur tour entraîneraient de nouveaux problèmes de santé, etc.

Les États-Unis consacrent déjà plus de 17% de leur PIB à la santé; dans les dix prochaines années, ce nombre pourrait monter à 20%, ces chiffres incluant à la fois les dépenses supportées par les ménages et par la collectivité.

Pour les économistes, cette hausse des dépenses de santé pourrait avoir deux conséquences: d'une part, elle pourrait empêcher les ménages de consacrer leur argent à d'autres dépenses, ce qui pourrait freiner d'autres secteurs de l'économie; d'autre part, elle pourrait avoir un effet anxiogène, les ménages ayant encore plus de mal à boucler leur budget, et donc contribuer à accélérer encore la fréquence des troubles du comportement. Cette dernière conséquence pourrait avoir un impact important, car son effet serait cumulatif: une moins bonne santé entraînerait des problèmes financiers qui à leur tour entraîneraient de nouveaux problèmes de santé, etc.

Moins de santé, moins de richesse

Mais, surtout, ce qui inquiète les économistes de Moody's Analytics, c'est l'impact global sur l'économie américaine que pourraient avoir ces problèmes de santé, compte tenu du rôle croissant joué sur le marché du travail par les millennials au fur et à mesure de l'effacement de la génération du baby-boom; avec plus d'arrêts maladie, voire plus de gens qui ne travaillent plus du tout ou travaillent moins, qui sont moins productifs que leurs ainé·es, c'est une génération qui pourrait voir son revenu par tête reculer de 1% à 11% selon le scénario retenu par rapport à la génération X. Et, au total, le PIB des États-Unis pourrait croître moins rapidement que si cette génération avait bénéficié des mêmes conditions de santé que celles qui l'ont précédée.

Tout cela est-il vraiment grave, docteur? En fait, le plus intéressant de cette étude vient à la fin, au moment où les économistes arrivent à la question des inégalités de revenus. Que les problèmes de santé des millennials nuisent à leur productivité et aient un impact négatif sur la croissance du PIB peut en effet paraître secondaire. La vraie question est de connaître la cause de ces problèmes. Et là on découvre un fait qui confirme que la relation entre santé et économie va dans les deux sens. Les études menées en comparant les données recueillies comté par comté montrent que les questions de santé se posent dans les régions où l'économie donnait déjà des signes de faiblesse, mesurable par le niveau des revenus, le prix des maisons ou le taux de chômage.

Salutaire rappel à l'ordre

Et là les économistes de Moody's Analytics mettent le doigt sur un phénomène qui pourrait nous concerner en France. A priori, nos systèmes de santé et de protection sociale diffèrent sensiblement de ceux des États-Unis et les problèmes qui affectent la génération américaine des millennials peuvent ne pas se retrouver de ce côté-ci de l'Atlantique. Mais on ne voit pas pourquoi la relation entre bien-être matériel et santé ne se vérifierait pas ici. Il y a un an, à l'occasion de la crise des «gilets jaunes», la question de la différence de niveau de vie entre les différents territoires de l'Hexagone est apparue crûment en pleine lumière. Et, depuis lors, on continue aussi à parler du problème des déserts médicaux. Incontestablement, il y a là un sujet à suivre de très près.

Fondamentalement, la question n'est pas de savoir si l'on risque de perdre chaque année un ou deux dixièmes de point de croissance du PIB, elle est de savoir si, dans notre pays, il n'y aurait pas aussi des zones où le progrès se serait arrêté. Car, en fin de compte, ces statistiques américaines constituent un salutaire rappel à l'ordre: il n'est pas assuré que chaque génération soit amenée à vivre plus longtemps et en meilleure santé que la génération précédente comme on le voit depuis plusieurs décennies. L'histoire peut nous réserver quelques mauvaises surprises si l'on n'y prend pas garde.

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