L'optimisme n'était guère de mise avant la COP25, la suite des événements a montré qu'il était encore excessif. Dans le milieu scientifique comme dans les ONG qui travaillent sur la question climatique, tout le monde partage la déception exprimée par Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies.
Comme lui, beaucoup affirment qu'il ne faut pas abandonner, mais la perspective de voir la hausse des températures rester au-dessous de 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle paraît de plus en plus improbable; même le seuil des 2°C risque fort d'être franchi.
I am disappointed with the results of #COP25.
— António Guterres (@antonioguterres) December 15, 2019
The international community lost an important opportunity to show increased ambition on mitigation, adaptation & finance to tackle the climate crisis.
But we must not give up, and I will not give up.
Refus d'agir
Sans rentrer dans le détail des discussions très techniques qui ont eu lieu à Madrid (la lecture des textes adoptés dans les conférences sur le climat demande un degré élevé de spécialisation), il est utile de revenir sur les deux principaux points à l'ordre du jour: la mise à jour d'ici à 2020 des Contributions déterminées au niveau national (NDC), dans lesquelles chaque État décrit ce qu'il compte faire dans le cadre de l'accord de Paris au-delà de 2020, et l'application de l'article 6 de cet accord concernant les coopérations entre États mettant en jeu des crédits d'émission de gaz à effet de serre.
Cette deuxième question n'avait pu être réglée à Katowice lors de la précédente COP et n'a pas davantage pu l'être cette fois, en raison des divergences entre pays développés et pays en développement.
Mais c'est sur le premier point que cette opposition a été la plus forte. On a vu à la manœuvre le groupe BASIC (Brésil, Afrique du sud, Inde et Chine) qui s'est refusé à toute mise à jour des contributions des États du groupe tant que n'aurait pas été fait un bilan de l'action menée par les pays développés, seuls contraints à agir dans le cadre du traité de Kyoto jusqu'en 2020.
Comme le rapport demandé à la CCNUCC (Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique) doit être remis en septembre 2022, il est probable que ces États ne bougeront pas avant 2023, alors que l'on sait depuis la conclusion de l'accord de Paris en 2015 que les projets d'action de tous les pays signataires sont nettement insuffisants. Si l'on ajoute à cela que les États-Unis de Donald Trump doivent sortir de l'accord l'an prochain, il est manifeste qu'aucun des principaux émetteurs de gaz à effet de serre ne sera au rendez-vous de 2020 avec des propositions sérieuses.
L'Europe, active mais condamnée
Il devrait pourtant y avoir une exception: l'Union européenne, avec son projet de pacte vert auquel seule la Pologne ne veut pas participer. Paradoxe: c'est pourtant d'un pays européen que vient Greta Thunberg, qui a porté la colère des jeunes générations devant les Nations unies.
C'est en Europe aussi qu'un État, les Pays-Bas, a été condamné par la justice à intensifier ses efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est encore en Europe, en France, qu'une pétition demandant la condamnation de l'État a recueilli plus de deux millions de signatures.
Et si le paradoxe n'était qu'apparent? Et si les États les plus disposés à agir n'étaient pas ceux, précisément, où les citoyen·nes se manifestent le plus en faveur d'une action déterminée contre le changement climatique? De fait, quand on regarde la liste des pays qui opposent la plus grande force d'inertie au changement de politique environnementale, on constate qu'il s'agit presque toujours de pays où l'opinion publique a du mal à exprimer ses revendications et où l'information circule le plus mal.
La Chine, horizon 2049
L'exemple le plus remarquable est celui de la Chine. Certains éléments peuvent laisser penser qu'elle est sur la bonne voie et que l'Europe peut en faire une alliée pour isoler l'Amérique de Donald Trump sur la scène internationale. La Chine a joué un rôle non négligeable au moment de la C0P21 et certaines voix sont allées jusqu'à dire que la Chine avait sauvé l'accord, avant de revoir leur jugement.
De même, les expert·es de Capgemini, dans leur dernier observatoire des marchés mondiaux de l'énergie, montrent que la Chine est un leader mondial en matière d'investissement dans les énergies renouvelables; elle a commencé en 2005, a continué après la crise financière alors que d'autres pays relâchaient leur effort et a même réalisé en 2015 à elle seule le tiers des investissements dans ce domaine.
Mais les observateurs et les observatrices les plus attentives estiment que la Chine a un autre agenda que celui des pays qui veulent arriver à la neutralité carbone en 2050. Le sien retient une date légèrement antérieure, 2049, année du centième anniversaire de la République populaire. Cette année-là doit marquer de façon magistrale le retour de la Chine au premier rang des grandes économies mondiales.
Ses dirigeants ont certes pris conscience des enjeux environnementaux, mais leur première préoccupation est la course à la puissance. Depuis 1990, année de la deuxième Conférence mondiale sur le climat et du lancement des négociations à l'ONU sur une convention-cadre, ses émissions de gaz à effet de serre ont plus que triplé; elles ont doublé celles des États-Unis dans les années 2000 et atteignent maintenant un niveau deux fois supérieur.
Le vieil argument de la responsabilité historique
L'argument est connu: c'est d'abord aux pays développés qu'il incombe de faire des efforts, en raison de leur responsabilité historique dans le changement climatique. Mais plus les années passent, plus les émissions chinoises contribuent à gonfler le stock de CO2 dans l'atmosphère, moins cet argument est recevable.
En 2019, les émissions mondiales ont encore progressé, quoique à un rythme ralenti, et cette progression est due presque uniquement à la Chine; celle-ci produit encore environ les deux tiers de son électricité dans des centrales au charbon, dont elle est de très loin le premier producteur et le premier consommateur mondial.
À la défense du gouvernement central, on peut observer que les gouvernements provinciaux se montrent encore plus engagés que lui dans cette course à la croissance et ne respectent pas toujours les consignes de limitation de construction de nouvelles centrales thermiques.
Il faut observer aussi que de nombreuses centrales de petite taille et peu performantes ont été remplacées par des unités plus grandes, plus modernes, plus efficaces et moins émettrices de CO2.
Enfin, le gouvernement, dans le souci de calmer une colère populaire croissante, a fait de gros efforts pour rendre l'atmosphère plus respirable dans les grandes villes les plus polluées. Il lui était difficile de faire moins...
La route de la soie et du charbon
Cette politique de croissance de l'industrie charbonnière trop longtemps poursuivie à l'intérieur des frontières s'accompagne encore actuellement d'une aide technique et financière à la construction de centrales thermiques à l'extérieur dans le cadre de l'initiative de la Ceinture et la Route (Belt and Road Initiative ou BRI en anglais) lancée en 2013 par Xi Jinping. À la fin de 2016, les banques et les entreprises chinoises participaient à 240 projets charbonniers dans les pays hôtes de la BRI, dont 106 étaient encore en construction, principalement au Bangladesh, au Vietnam, au Pakistan, en Indonésie et en Afrique du Sud.
Nous nous félicitons en Europe de voir les banques et les compagnies d'assurance retirer progressivement tout soutien à la construction et à l'exploitation de centrales thermiques au charbon, mais il ne faut pas oublier que les pays qui veulent encore construire de telles centrales trouvent facilement à Pékin les techniques et les financements nécessaires. C'est par exemple le cas de la Côte d'ivoire où une centrale doit être construite d'ici à 2024 près du port de San Pedro par PowerChina et financée pour l'essentiel par des banques chinoises.
Ainsi que le constate l'Agence internationale de l'énergie dans le rapport World Energy Outlook de 2019, de nouvelles centrales au charbon sont encore en construction dans le monde aujourd'hui. Leur achèvement accroîtra la capacité de production des centrales de ce type de 10%. Et leur impact sur l'environnement risque de se faire sentir longtemps: une installation de ce type est faite pour durer cinquante ans. Et dans les économies en développement d'Asie, les centrales au charbon déjà existantes ont un âge moyen de 12 ans seulement.
Le climat souvent loin de la tête de liste des priorités
D'une façon générale, les pays en développement, confrontés au problème d'une croissance soutenue de leur population et à des besoins importants en énergie électrique, ont privilégié les solutions les moins coûteuses et les plus rapides à mettre en œuvre. Le premier objectif a été d'améliorer le niveau de vie, le climat venant plus loin dans la liste des priorités. Comme la Chine qui est certes devenue dans l'absolu le premier émetteur de gaz à effet de serre, mais figure seulement au 39e rang dans le classement par tête, tous peuvent faire valoir que, malgré la rapidité de leur développement, ils polluent proportionnellement encore beaucoup moins que les pays développés, États-Unis en tête.
Dans sa contribution déterminée au niveau national, la Chine annonce sans vergogne qu'elle continuera à augmenter ses émissions de dioxyde de carbone jusqu'en 2030 dans l'objectif de construire une société modérément prospère en 2020 et prospère au milieu du siècle... Mais, dans sa grande générosité, elle n'exclut pas de mettre un terme à cette folle course en avant sans attendre 2030 (sous-entendu: si ses objectifs sont atteints).
Si les dirigeants chinois font l'effort de reconnaître la nécessité de baisser l'empreinte carbone du pays et semblent réellement décidés à le faire –au rythme qui leur convient–, d'autres pays ne s'embarrassent même pas de ces précautions de langage.
L'exemple du Brésil de Jair Bolsonaro est le plus remarquable, mais d'autres pays ayant aussi une façade démocratique n'attachent qu'une importance modérée aux questions environnementales et n'hésitent pas à laisser assassiner les militant·es écologistes jugé·es gênant·es; c'est le cas des Philippines, de la Colombie ou de l'Inde. Dans ces exemples dramatiques, la politique de lutte contre le changement climatique n'est pas directement visée, mais elle est en jeu dès lors que l'objectif des opposant·es était de freiner la déforestation, la destruction du milieu naturel, etc.
Poutine et Trump, même combat
Lors de la COP25, un pays ne s'est pas manifesté et n'a fait aucune vague: c'est la Russie. Les propos tenus par son président lors de sa dernière conférence de presse ne laissent pourtant planer aucun doute: Vladimir Poutine ne croit pas à la responsabilité de l'être humain dans le changement climatique. Il serait donc illusoire d'attendre beaucoup de son régime pour la mise en œuvre du traité de Paris: ce sera le service minimum.
Mais les démocraties occidentales sont-elles au-dessus de tout reproche? Les écologistes se désolent de voir Donald Trump et Vladimir Poutine sur la même ligne, tandis que les climatosceptiques s'en réjouissent. La situation n'est cependant pas la même dans les deux pays.
Dans la démocratie américaine, si imparfaite soit-elle, le président n'a pas tous les pouvoirs; au niveau des États, des villes ou des entreprises, beaucoup d'initiatives sont prises qui limitent la capacité de nuisance de Donald Trump. Ce dernier s'en agace beaucoup d'ailleurs et part en guerre contre le CARB (California Air Resources Board) qui édicte ses propres normes d'émissions de gaz polluants indépendamment de ce que décide l'EPA (Environmental Protection Agency) au niveau fédéral, désormais sous le contrôle de ses partisan·es.
En dépit de ses engagements, Donal Trump ne réussira pas à relancer la production de charbon aux États-Unis: après un sursaut en 2017, celle-ci a légèrement reculé en 2018 et le déclin devrait se poursuivre; pour l'instant, il est limité grâce aux exportations, mais la demande intérieure est amenée à chuter inexorablement. Selon les prévisions que l'Agence internationale de l'énergie établit en se référant aux politiques annoncées, la production américaine devrait s'établir en 2040 à 40% au-dessous du maximum atteint en 2008.
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La bataille n'est pas encore gagnée
Mais si les préoccupations environnementales peuvent plus facilement s'exprimer dans les démocraties, elles se retrouvent en compétition avec d'autres préoccupations que les gouvernements élus peuvent difficilement ignorer, comme celles de l'emploi ou du pouvoir d'achat. L'opposition entre la fin du mois et la fin du monde mise en avant au moment du mouvement des «gilets jaunes» et de la protestation contre la hausse de la taxe carbone demeure une réalité. Le récent mouvement contre la réforme des retraites en France en est une nouvelle illustration; simplement le souci de la fin du mois dans le futur se substitue à celui de la fin du mois aujourd'hui.
La transition énergétique est plus que le passage de l'utilisation d'énergies fossiles à des énergies renouvelables; une conception nouvelle du développement économique doit progressivement émerger. À l'évidence, les dirigeant·es politiques ont encore du chemin à faire mais ne le feront que si leur électorat les y incite. Les grandes manifestations qui se sont déroulées un peu partout dans le monde durant l'été 2019 ne doivent pas faire illusion. L'opinion n'est pas encore majoritairement prête à accorder la priorité à la lutte contre le changement climatique.
Pourtant, c'est seulement de nos démocraties que peuvent partir les mouvements qui s'imposeront face aux Poutine et autres climatosceptiques accrochés à leurs rêves fous de puissance économique et militaire.