La réforme des retraites concerne tous les Français et ce à plusieurs titres: en tant que cotisants, ex-cotisants ou futurs cotisants, mais aussi en tant que contribuables et citoyens. Personne ne s'offusque que le gouvernement négocie essentiellement (pour ne pas dire exclusivement) avec les «partenaires sociaux» comme si leur légitimité allait de soi. Or les syndicats n'ont reçu aucun mandat en ce sens de la part des Français, ne sont pas représentatifs et ne défendent pas l'intérêt général. Autrement dit, la réforme des retraites est une chose trop sérieuse pour la confier aux syndicats.
Quand nous allons voter pour élire les maires l'année prochaine, nous n'allons pas leur confier un mandat pour diriger la France, mais uniquement notre commune. Quelle serait la légitimité d'un maire pour décider de la politique internationale de la France? Aucune. Il en va de même pour les syndicats: personne n'a reçu aucun mandat des Français pour négocier leur système de retraite en leur nom. Personne n'a reçu le programme électoral en la matière de Philippe Martinez ou Laurent Berger par exemple et personne n'a été amené à se prononcer dessus.
Lors des dernières élections professionnelles, les salariés ont uniquement voté pour élire des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise (CE) au niveau de leur entreprise. L'enjeu n'était pas alors le système de retraite à points ou par trimestre, mais essentiellement les conditions de travail et les salaires.
De plus, un vote à l'échelle locale ne vaut pas un vote à l'échelle nationale. Par exemple, des électeurs peuvent voter dans leur village pour un maire sans étiquette ou un maire divers droite alors qu'ils votent plutôt à gauche lors des élections présidentielles. Il en va de même pour les salariés au premier tour des élections professionnelles: ils peuvent voter pour un leader local de la CGT qui a des positions extrêmement différentes de celles de Philippe Martinez.
Des groupes de pression
Deuxième problème, les confédérations ne représentent pas l'ensemble des Français. Elles ne représentent pas même l'ensemble des actifs. Elles ne représentent pas même l'ensemble des salariés. Elles représentent avant tout les intérêts de quelques bastions syndicaux dans le secteur public et quelques grandes entreprises. Avec leur étiolement, les confédérations s'en sont remises à leur noyau dur. Par conséquent, les fédérations des transports pèsent un poids énorme par rapport au nombre réel de Français travaillant dans ce secteur; ce qui pose un problème démocratique. C'est comme si les députés de Normandie avaient un poids disproportionné par rapport aux autres régions et imposaient donc gaiement leur vue normande à toute la France.
Car, troisième problème, les syndicats ne défendent pas l'intérêt général mais des intérêts particuliers. On ne peut donc pas compter sur eux pour négocier des mesures bénéfiques à l'ensemble des Français et en faveur de la réduction des inégalités. Prenons l'exemple de l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. Ce sujet est consensuel et inscrit dans la loi depuis 1972. Pour autant, les confédérations ont-elles beaucoup œuvré à porter le sujet et à faire appliquer la loi? Non. Ont-elles organisé de grandes grèves et manifestations pour défendre l'égalité professionnelle? Non.
Les travailleurs les plus exposés à la pénibilité ne sont pas ceux qui bénéficient des régimes spéciaux.
Même à l'échelle d'une entreprise, les syndicats ne défendent pas l'intérêt général mais des intérêts particuliers à travers des rapports de forces fondés non pas sur le nombre mais sur le pouvoir de nuisance. Les salariés qui peuvent facilement bloquer leur entreprise sont donc plus défendus par les syndicats qui obtiennent pour eux des privilèges par rapport à leurs collègues à niveau de qualification et performance comparable mais exerçant des métiers moins bloquants.
De même, qui sont les travailleurs les plus faibles et les plus exposés à l'insécurité et la pénibilité? Ce ne sont pas ceux qui bénéficient des régimes spéciaux et qui travaillent dans les grands groupes, mais ceux qui travaillent dans de petites entreprises sous-traitantes du sous-traitant du sous-traitant. Autrement dit, les syndicats protègent surtout les forts et participent au maintien, voire au développement des inégalités. Ils s'inscrivent dans une logique clientéliste, ce que l'on peut comprendre. Mais comment les Français pourraient-ils alors leur faire confiance pour négocier un système de retraite juste et équitable?
Bref, il faut voir les confédérations comme des lobbies, des groupes de pression. À ce titre, il est tout à fait légitime qu'elles soient consultées par le gouvernement, mais pas qu'on leur accorde une si grande place qu'actuellement. Dans l'esprit de la Ve république, c'est avant tout au Parlement ou à travers un référendum que peut se trancher un sujet aussi important et universel que les retraites. Ou alors il faudrait créer une véritable démocratie sociale. On pourrait imaginer par exemple que les Français votent tous les cinq ans pour leur confédération préférée et lui donnent ainsi un mandat clair de négociation à leur place. Des confédérations plus légitimes seraient plus fortes et permettraient sans doute un dialogue social de meilleure qualité.
En attendant, il est incongru d'accorder à des groupes de pression une place qu'ils ne méritent pas. Comme le dit la fable: «Chacun son métier, les vaches seront bien gardées.»