Culture

«Les Simpson», trentenaires essoufflés

Temps de lecture : 6 min

Lancée sur la Fox en 1989, la série aux 673 épisodes jadis louée pour son comique subtil et visionnaire arrive en bout de course.

Les audiences de la sitcom sont passées de 30 à 4 millions de personnes aux États-Unis. | Capture d'écran via YouTube
Les audiences de la sitcom sont passées de 30 à 4 millions de personnes aux États-Unis. | Capture d'écran via YouTube

Leur apparence a bien changé depuis leur première diffusion. Ils ont subi quelques liftings, ont profité de l'arrivée des images au format 16/9 et des animations numériques. La teinte cutanée jaune moutarde des débuts a progressivement viré vers le citron. Le 17 décembre 1989, le public américain découvrait Homer, Marge, Lisa, Bart et Maggie pour un show de vingt minutes diffusé par la chaîne Fox. Ils n'étaient alors pas tout à fait inconnus puisque les personnages de Matt Greoning étaient apparus pour des mini-séquences dans le «Tracy Ullman show», à partir de 1987, avant d'avoir droit à leur propre série. Drôle, provocatrice et touchante, la famille nucléaire springfieldienne moquait son pays, ses institutions et les rapports de classes.

Il fallait alors remonter aux années 1960 pour retrouver un dessin animé, Les Pierrafeu, diffusé aux heures de prime time. Le succès est immédiat. Chaque semaine aux États-Unis, plus de 20 millions de personnes se serrent sur le canapé pour se délecter des gaffes d'Homer, des singeries de Bart ou des prises de position faussement naïves de Lisa. «C'était un exemple de nouveauté alliée à de la qualité: l'écriture était à la fois hilarante et touchante, et l'animation ingénieuse», affirme John Ortved, journaliste et auteur d'une Histoire non censurée et non autorisée des Simpson.

Diablement irrévérencieux

Ce qui est offert au public américain n'est ni plus ni moins qu'une représentation satirique de son quotidien. Dès le départ, la série se distingue par la grande variété des thèmes abordés. En adoptant le point de vue d'une famille de la classe moyenne, elle dépeint les institutions et interroge le rôle de la famille, de la religion ou encore du monde de l'entreprise. Les dominants et grands de ce monde constituent l'une de ses cibles privilégiées. Le président de l'époque, George H.W. Bush, sans doute irrité par le portrait que «Les Simpson» faisait de la classe politique, ira jusqu'à les ériger en contre-modèle de la famille américaine.

Le show n'est «assurément pas militant», selon John Ortved, «probablement politique, mais pas ouvertement»; ce qui est sûr, c'est que «Les Simpson» font acte d'irrévérence, une posture «fondamentalement politique». Le burlesque et les gags visuels qui sont l'apanage du cartoon y côtoient un humour plus grinçant qui cache une critique acerbe de la société. À cela s'ajoute un esprit visionnaire. Des enjeux sociétaux tels l'environnement, le bien-être animal ou les droits des minorités sexuelles sont dépeints dès les premières heures de la série.

En France, Homer et compagnie arrivent un an plus tard sur les ondes de Canal+. «En 1990 il n'y avait pas de série live, un peu vulgaire, qui parlait de l'actualité et de la politique aux États-Unis, assure Hervé, tout juste majeur à l'époque. [Les Simpson] étaient percutants, se permettaient de tout critiquer, même la Fox qui les diffusait.» «Tous les autres dessins animés étaient familiaux, destinés aux enfants, ajoute Régis qui découvrait la série en 1994, à l'âge de 7 ans. C'était le seul un peu plus mordant, adulte.»

Immédiatement séduits, et constatant que leur enthousiasme ne décline pas au fil des saisons, Hervé et Régis décident de s'investir afin de faire vivre la communauté française de fans. En 2000, Hervé lance le site SimpsonsPark où les internautes peuvent décortiquer chaque épisode. Régis rejoint l'équipe d'administration du site quelques années plus tard et crée par ailleurs la chaîne YouTube Parlons Simpsons sous le pseudonyme de The Reg.

Chute des audiences

Problème: en trente ans, la série a subi un effondrement de ses chiffres d'audience. Le rendez-vous hebdomadaire qui réunissait jusqu'à 30 millions de personnes aux États-Unis dépasse aujourd'hui péniblement les 4 millions.

Si le changement des habitudes de consommation du public –notamment l'explosion de la vidéo à la demande et du streaming– explique en partie cette baisse d'audience, nombre de personnes pointent une détérioration générale de la qualité des épisodes. «Il y a eu un âge d'or de la saison 3 à la saison 10. Les fans prennent souvent cette période pour référence», se souvient Régis. Ensuite? «Quelques égarements», selon les mots du YouTubeur, en particulier au tournant des années 2000.

«Au bout d'un moment, les intrigues deviennent répétitives.»
John Ortved, journaliste

L'humour du programme se fait moins subtil, une profusion de gags potaches prennent le pas sur l'histoire et on assiste parfois même à un véritable souci de vraisemblance. Le personnage de Homer est la cible du désamour –certes passager– des aficionados. Il devient Jerk-ass Homer («Homer, le gros naze»), moins sensible, bête et méchant, capable de droguer Marge au chloroforme pour avoir la paix dans l'épisode La bataille des deux Springfield.

Plus inquiétant, «Les Simpson» semblent être à court d'idées. Avec trente-et-une saisons au compteur, une trente-deuxième en production et près de 700 épisodes, rares sont les thèmes qui n'ont pas déjà été abordés par la série. «L'un des enfants désire quelque chose, Homer fait une bêtise et met son couple en danger, la famille visite une autre ville… Au bout d'un moment, les intrigues deviennent répétitives», résume John Ortved.

Difficile alors de ne pas tomber dans la facilité. Certains épisodes semblent uniquement taillés pour l'apparition de guest-star, si bien que la place de ces dernières est devenue envahissante. Elles ont été plus de 700 à faire leur apparition dans au moins un épisode, un record certifié par le Guiness Book des records.

Dès 2003, le journaliste Chris Suellentrop percevait les signes d'un essoufflement. Il soulignait notamment le décalage entre la volonté de Matt Groening de «se confronter au réel» par l'intermédiaire du dessin animé et la triste réalité d'une série qui finit par vivre par et pour elle-même. «Les Simpson» suivent les soubresauts de l'actualité plus qu'ils ne saisissent les enjeux de notre époque. Contacté pour évoquer la qualité déclinante du show, Chris Suellentrop, qui admet ne plus le regarder, a simplement avancé que «la blessure [avait] été fatale».

Le papy-cool des sitcoms

Preuve que la perte de qualité du show est un thème récurrent parmi les fans, en 2017 l'un d'entre eux tentait de l'illustrer en graphique après avoir noté un à un les quelque 600 épisodes. Coïncidence ou pas, la courbe ainsi obtenue ressemblait diablement à celle de l'audience, déclinant irrémédiablement.

Victime de leur succès, peut-être coupables d'avoir mis la barre trop haut à leurs débuts, «Les Simpson» pâtissent dorénavant de l'arrivée en masse des séries animées. Un genre qu'ils ont participé à populariser, voire qu'ils ont purement et simplement créé. Ayant inspiré plus d'un scénariste, ils voient leurs héritiers –de South Park, aux Griffin en passant par American Dad!– prendre le relai et se distinguer en repoussant les limites du politiquement correct. Hervé rappelle: «Il y a trente ans, ils n'avaient pas de concurrent et il n'y avait pas beaucoup de séries. […] Ne sont-ils pas noyés par le reste?» Ironie du sort, ce sont ces nouvelles sitcoms qui grignotent les parts de marché et participent à rendre «Les Simpson» mainstream. Crime suprême.

L'hypothèse d'un déclin ne date pas d'hier. Pourtant, peu de choses ont changé pour la sitcom en dix ans. Le show semble presque piloté automatiquement, tout au plus une controverse autour du personnage d'Apu a pu écorner son image. En 2017, le documentaire The Problem with Apu, de Hari Kondabolu questionnait le caractère offensant du personnage censé représenter l'archétype de l'immigré indien.

«Je ne m'en suis jamais caché. Je souhaite que “Les Simpson” s'arrête.»
Régis, alias The Reg, créateur de la chaîne YouTube Parlons Simpsons

La Fox, visiblement consciente de devoir son installation dans le paysage médiatique en grande partie aux «Simpson», cherche à préserver à tout prix son trésor. La chaîne a bricolé pour freiner la chute des audiences, notamment en programmant le show après les matchs de football américain.

La baisse de rideau annoncée est un thème récurrent qui amuse les fans plus qu'il ne les effraie. «Il y a des rumeurs d'arrêt depuis la saison 15, s'amuse Hervé. Je suis toujours étonné qu'elle soit encore diffusée. Si la série reste pertinente, pourquoi s'arrêterait-elle?» En novembre, les propos du compositeur de la musique Danny Elfman laissaient entendre que la trente-deuxième saison serait la dernière, ils étaient immédiatement contredits par le producteur Al Jean.

La communauté des Simpsonmaniac est en tout cas partagée sur le futur à donner au show. Régis, alias The Reg, a sa petite idée pour lui offrir une fin digne: «Je ne m'en suis jamais caché. Je souhaite [que la série] s'arrête… mais, histoire que la licence meure pas, qu'il y ait un deuxième film. Il est temps de la laisser reposer en paix.»

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