Dire que je n'entends rien aux questionnements soulevés par la réforme des retraites est un doux euphémisme. L'autre jour, pris de remords, soucieux de vivre avec mon époque, j'ai essayé de comprendre de quoi il en retournait. Résultat: une migraine longue comme un jour sans pain, un risotto oublié sur le feu, une engueulade avec ma compagne au sujet de l'achat d'un nouveau bac à litière et des rêves des plus agités où, sommé de choisir entre un système de retraite par capitalisation et celui par répartition, j'hésitais tellement que mon bourreau perdant patience prenait sur lui de me trancher la tête.
C'est que je ne pense jamais à ma retraite. Jamais. À quoi bon ? N'ayant jamais vraiment travaillé, je me doute bien que de retraite pour ma pomme, je pourrai toujours m'accrocher pour en décrocher une. Je n'ai jamais eu une fiche de paye entre mes mains. J'ai bien signé des contrats d'édition mais tellement ravi de toucher quelque obole de mon éditeur, je n'ai jamais pris la peine de m'intéresser à leur descriptif. Et comme mes chroniques sont payées en droits d'auteur, j'ai comme l'impression de ne cotiser à aucun système de retraite existant. J'imagine que je me trompe mais bon j'ai quand même autre chose à faire de ma vie que de calculer ce à quoi j'aurai droit quand... quand quoi d'ailleurs?
Je ne compte pas prendre ma retraite, ni à 62 ans, ni à 65, ni jamais. Je suis à la retraite depuis le jour où je suis né et je compte bien le rester jusqu'au jour de mon enterrement. Comment pourrais-je cesser de travailler puisque je n'ai jamais commencé? Je pourrais certes cesser d'écrire mais autant me pendre tout de suite, cela m'évitera des désagréments futurs. Que serait une existence où je passerais mes journées à attendre rien d'autre que la météo du jour, mon horoscope de la semaine, les résultats de ma prise de sang mensuelle, mes comptes-rendus boursiers annuels? Vision d'enfer à laquelle je préfère ne pas songer.
La retraite, c'est la mort. C'est la porte du cimetière qui s'entrouvre et vous laisse découvrir l'endroit où bientôt vous reposerez pour l'éternité. C'est la maladie qui vous grignote le cœur et vous rend vaillant comme un mollusque. C'est le corps qui vous trahit et jour après jour vous abandonne. C'est l'esprit qui se cherche une raison d'exister et n'en trouve pas. C'est la vie qui vous quitte, les amis qui disparaissent les uns après les autres, le déclin de toute chose quand on n'attend plus rien de l'existence si ce n'est la dernière charge, la petite pichenette qui vous fera passer de vie à trépas.
Quand je vois des manifestants battre le pavé pour leur retraite, je vois des squelettes qui discutent du prix de leurs cercueils avec le croque-mort. Pourtant me dis-je parfois, il faudra bien se nourrir, se vêtir, se loger et comment te débrouilleras-tu quand tu seras rentré dans l'hiver de ta vie? J'aviserai. Je ferai la manche. Je séjournerai en prison. Je vivrai de l'air du temps. Je cesserai de respirer. Je marcherai droit devant moi jusqu'à m'épuiser totalement. J'épouserai Kim Kardashian. Je cambriolerai une épicerie. J'improviserai. Je mourrai s'il le faut.
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La retraite c'est le repos et le repos c'est la mort. D'ailleurs de quoi me reposerais-je au juste? Je n'ai jamais eu à me lever pour aller travailler. Je n'ai jamais pris le métro pour me rendre au bureau. Je n'ai jamais eu de collègues de travail avec qui refaire le monde. Je n'ai jamais été convoqué chez Monsieur le directeur. Je n'ai jamais connu l'abrutissement dans le travail, la routine d'un labeur quotidien, la dure nécessité de travailler pour rembourser ses emprunts. Ce n'était pas pour moi; j'ignore pourquoi. C'est ainsi. On n'échappe pas à qui on est. Je n'ai jamais voulu avoir de responsabilités. D'enfants à ma charge. Je ne m'en sentais pas capable. Je connaissais trop bien mes limites. Je ne voulais pas grandir, renoncer à l'enfance, participer à la vie des adultes. Et j'ai fait ce que j'ai pu.
Si bien que non, je ne demande rien pour ma retraite. Je n'exigerai rien de personne. Je me contenterai de ce que l'État voudra bien m'octroyer. Et si je n'ai le droit à rien, à rien du tout, alors je travaillerai. Ce sera une première. Je surveillerai des parkings. Je ferai caissier au supermarché, ouvreur à l'opéra, plongeur à l'Alcazar, ramasseur de feuilles mortes, poinçonneur des Lilas...
J'aurais dû être plus prévoyant.
Plutôt crever.
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