Culture

Pas de panique pour les hébergeurs

Temps de lecture : 4 min

Nathalie Kosciusko-Morizet, et à travers elle l'Etat, a tenu a rassurer les hébergeurs Internet après un arrêt controversé de la Cour de cassation.

Merci Colbert !

J'ai été, je crois, un des premiers à en parler (ici en plus): la Cour de cassation a estimé après un rapport de Madame Marais, magistrate et présidente de la fameuse HADOPI, que le simple fait de fournir une page personnelle à des internautes en la finançant par la publicité chassait la qualification d'hébergeur pour le prestataire Internet. Bref, celui-ci deviendrait responsable a priori de toutes les mises en ligne effectuées par l'internaute comme en l'espèce des bandes dessinées de Lucky Luke sans l'autorisation des maisons d'édition...

En bonne Cassandre, j'avais prévu qu'il fallait être vigilant pour que l'argument de Madame Marais ne soit pas repris à tort et à travers au mépris de la volonté des instances publiques françaises et européennes de permettre à leurs entreprises de prospérer sur Internet. Las.

Qui est hébergeur?

Les «dead men walking», ces lobbyistes de certaines industries qui auraient défendu bec et ongles la marine à voile au moment de l'avènement de la marine à vapeur, poussaient jusqu'à présent des cris d'orfraies en se flagellant avec la jurisprudence unanime qui aurait du les moucher pour de bon. Et bien cette décision orchestrée par Madame Marais, personnalité adoubée par les plus hautes sphères de l'Etat puisqu'on lui a confié la très casse-gueule Hadopi, a redonné du poil de la bête à ces pourfendeurs étriqués de l'Internet. A droite et à gauche, on a vu fleurir pendant quelques semaines des textes revanchards, des envolées lyriques sur le thème «fini de rigoler, les sites Internet, vous allez maintenant tout surveiller ou mettre la clé sous la porte».

Donc il a fallu se bouger. Dans un premier temps dézinguer la polémique en décrivant l'alpha et l'oméga de la situation juridique et ensuite faire prendre conscience aux pouvoirs publics de l'importance du moment.

Dézinguons donc d'abord ensemble la polémique. Rappelons, tout d'abord, que cette décision de la Cour de cassation a été rendue sous l'empire de la loi antérieure aujourd'hui caduque.

Responsabilisation

La LCEN du 21 juin 2004 («loi pour la confiance dans l'économie numérique») applicable aujourd'hui a transposé la Directive «Commerce électronique » du 8 juin 2000, dont l'un des objectifs affichés est de limiter la responsabilité de certains prestataires de services, afin d'assurer le développement de l'économie numérique. Encore une fois, n'oublions pas la situation à la fin des années 1990: l'Internet, invention américaine, est aux mains des Américains, les Européens n'existent pas. Bruxelles, pour inciter les groupes européens à franchir le Rubicon - et à se financer notamment par la publicité! - élabore cette Directive «Commerce électronique» qui met en place une responsabilité encadrée pour les prestataires Internet, une responsabilité a posteriori leur imposant de prendre les mesures adéquates, notamment le retrait, quand leur est signalé un contenu illicite.

Or, le texte de la LCEN ne se réfère nulle part à l'organisation structurelle du prestataire, ni ne distingue selon son mode de financement (en particulier, par la publicité) pour attribuer à ce prestataire le statut d'hébergeur. La jurisprudence appliquant la LCEN n'a pas dit autre chose et il n'y a aucune raison pour que la Cour de cassation revienne là-dessus.

Réponse européenne

Par ailleurs, la Direction générale des services et marché intérieur de la Commission européenne a été tout aussi affirmative. A la question de l'administration française qui désirait savoir si «les services dits du web 2.0 étaient de nature à justifier une remise en cause de principes généraux établis par la Directive du 8 juin 2000», la réponse donnée le 31 juillet 2008 s'interprète sans ambiguité: «cette formulation peut suggérer que les services du web 2.0 ne sont pas couverts ou en tous cas ne sont pas réglementés d'une manière adéquate par la Directive, ce qui n'est pas conforme à l'interprétation de la Commission, ...».

Bref l'arrêt de la Cour de cassation a réveillé une vieille querelle qui, aujourd'hui, n'a plus lieu d'être.

Mais pour faire taire les passéistes de tout poil, il fallait que de tout là haut, on enfonce le clou. Et comme nous sommes certes dans le pays de Montesquieu et de la théorisation de la séparation des pouvoirs mais aussi dans le pays de Colbert, l'Etat s'est positionné.

En effet, dans les colonnes de 01NetPro, une représentante de l'Etat français, et pas n'importe laquelle, une ministre, du Numérique de surcroît, Nathalie Kosciusko-Morizet n'y va pas avec le dos de la cuiller. Je cite (entre parenthèses mes rares commentaires tant la parole est d'évangile):

01netPro: L'arrêt de la cour de cassation dans l'affaire Tiscali-Dargaud crée un climat d'affolement, que doit-on penser de tous ces échauffements ?

Nathalie Kosciusko-Morizet: Cet arrêt se fonde sur la loi de 2000, qui est le cadre juridique correspondant aux faits survenus en 2002. Je tiens à préciser qu'il ne concerne en rien tout ce qui aura pu avoir lieu après 2004, à savoir après la LCEN »..... (Ben tiens qu'est-ce que je disais !)

Est-il prévu de modifier le statut des hébergeurs tel qu'il est stipulé dans la LCEN ?

Absolument pas! Premièrement, cette loi est une transposition juridique de la directive européenne DCE (la directive commerce électronique de 2000). Pour apporter une quelconque modification à la loi, il faudrait retoucher cette directive, ce qui n'est pas du tout d'actualité. Ensuite, la politique est plutôt de favoriser, d'encourager la présence et le bon fonctionnement des hébergeurs. (Remarquez que la ministre ne dit pas prestataires Internet ni acteurs Internet mais hébergeurs !) D'ailleurs, si l'Etat avait envisagé de bousculer les modèles des hébergeurs, il n'aurait probablement pas investi dans Dailymotion, via le FSI (Fond Stratégique d'Investissement). » (Un ange passe. Je rappelle que j'interviens sur slate.fr à titre personnel)

Il n'y a donc aucune inquiétude à avoir?

Exactement. Je ne voudrais pas, suite aux interprétations de la décision de la Cour de cassation, que l'on assiste à une multiplication des contentieux entre les ayants droit et les hébergeurs, car tout le monde aurait à y perdre, sauf les avocats pour leurs honoraires (Elle a raison ! J'ai plein de noms à vous donner). La lecture en droit de l'affaire Tiscali-Dargaud ne suscite aucune inquiétude («lecture en droit» hein! Et pan !) et j'y rajoute la parole politique qui consiste à dire: nous n'avons pas l'intention de modifier la LCEN dans un sens régressif au regard des exigences de l'économie numérique.

En latin, on dit : ite missa est.

Tiens, je connais une excellente pizzeria pas dans l'Essonne mais dans le 18ème et je sais qui je vais inviter.

Allez quelques vidéos pour finir et du dessus du panier ! Et dire qu'on aurait voulu nous priver de ça...

Giuseppe de Martino

Image de Une: Reuters

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