Logiquement, vu mon âge, je devrais être en mesure de savoir si oui ou non je crois en un quelconque dieu. Après tout, voilà une question qui compte dans la vie d'un individu, et celui qui jamais ne se la poserait est soit un sot, soit un monstre d'indifférence. Pas un jour, pas une heure ne passe sans que je me la pose. Elle me hante, elle me tourmente, elle me vrille le cerveau et me supplie l'âme.
Aussitôt levé, dans les lueurs incertaines de la conscience à peine éveillée, lorsque je réalise qu'une nouvelle journée m'attend pendant laquelle il faudra cohabiter avec cet étranger qui me ressemble comme deux gouttes d'eau –cet ahuri parfait à la chevelure dégarnie et au verbe acerbe–, je m'interroge sur le sens de la destinée, et tout en cherchant où j'ai bien pu ranger le pot de confiture, je me demande si je suis juste le fruit d'un grand hasard cosmique ou la simple expression de la volonté divine.
Deux tasses de café plus tard, j'en suis toujours au même point. Le jour se lève, le chat miaule, l'immeuble se réveille, la vie reprend son cours; moi, je reste là, vaseux et hagard, l'esprit enfariné, les yeux dans le pot de confiture, tourmenté à l'idée que le monde qui m'entoure ne doit rien à l'inspiration d'un souffle divin.
Le monde est un accident, je suis un accident, tout ce qui vit sur Terre est un accident, la rencontre entre deux atomes désœuvrés dont les étreintes métaphysiques auraient procédé à la naissance de l'univers.
Ce qui me glace évidemment d'effroi, puisque pareille théorie exclut toute possibilité que, d'une manière ou d'une autre, ma vie se poursuive après ma mort. Poussière, je retournerai à la poussière. Mon tombeau sera mon néant et mon néant sera mon avenir.
Certes, de ma poussière naîtra forcément un élan vers une autre forme de vie, vie microbienne, vie microscopique, mais cette idée-là, j'ignore pourquoi, ne m'a jamais vraiment réconforté ou enthousiasmé. D'ailleurs, je suis allergique à toute forme de poussière et sitôt que j'en repère planquée entre deux livres de ma bibliothèque, je la chasse avec la rage de l'athée quand on lui soutient que rien ne pourra jamais expliquer la raison de la présence de ces deux atomes à l'origine de toute vie sur Terre.
Ce qui est rigoureusement vrai: à ma connaissance, rien ne pourra jamais expliquer ce que foutait ces deux atomes en ce dimanche de pluie, quand pour rompre la monotonie de leur existence sclérosée, ils décidèrent de se marier en une cérémonie grandiose, prélude à une lune de miel stratosphérique, d'où le monde serait né.
De là la nécessité d'une intervention extérieure qui serait seule responsable de la création de l'univers, l'origine de toute origine, le pourquoi du comment de tout ce bordel, j'ai nommé Dieu tout-puissant.
Mouais.
Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi Dieu aurait procédé à la naissance du monde. Il s'emmerdait à ce point-là ou quoi? Il avait cassé son dernier jouet? Il déprimait? Il a eu une attaque de panique en s'apercevant que lui aussi, tout Dieu qu'il était, il était seul au monde? Auquel cas, au lieu de venir nous emmerder, Il ne pouvait pas prendre un Valium comme tout le monde?
Lorsque je vois à quel point ma vie ne ressemble à rien, j'ai quand même du mal à croire que je suis le fruit d'une volonté divine qui aurait décidé de me mettre à l'épreuve.
J'entends bien qu'il n'est pas de mon ressort de connaître Ses réelles intentions, mais j'ai quand même voix au chapitre, non? Après tout, dans toute cette histoire, je suis le premier concerné. C'est moi qui vais mourir un jour prochain, pas lui. Et c'est comme la poussière, j'ai horreur de l'inconnu et des surprises en général –bonnes ou mauvaises.
J'ai toujours dit à ma compagne que le jour où, pour mon anniversaire, elle déciderait de céder à ce rituel imbécile qui consiste à parquer dans un coin désigné de l'appartement une poignée d'amis plongés dans le noir prêts à s'esclaffer «Bon anniversaire!» sitôt la lumière du salon allumée, ce jour-là, je la quittais pour toujours.
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En fait, je crois autant en Dieu qu'il croit en moi et quand je vois quel désastre est ma vie, je nourris quelques doutes légitimes sur son existence. Ou alors c'est un incompétent notoire, ce qui me ravirait tout à fait.
À mon avis, si Dieu existe, c'est un cancre absolu qui mériterait d'avoir à chacun de ses bulletins trimestriels un avertissement de conduite et de travail, accompagné de ce genre de sermon: «Du potentiel certes, mais qui tarde à se concrétiser. À tendance à se laisser aller. Prend un malin plaisir à ne jamais répondre quand on l'interroge. Souvent brouillon dans ses explications. Risque de redoublement.»
Voilà où j'en suis –c'est-à-dire très exactement nulle part. La métaphysique m'effraie, la religion m'ennuie, Dieu m'épouvante, l'éternité aussi, et le néant, n'en parlons même pas.
Pour mon plus grand malheur, je n'ai pas l'esprit philosophique et comme chacun aura pu le constater, face aux grands mystères de l'univers, j'ai la puissance réflexive d'un poisson rouge. Probablement devrais-je cesser de penser à toutes ces sottises et me contenter de vivre, mais j'en suis incapable: je veux savoir si je crois ou pas.
Et comme si cela ne suffisait pas à mes malheurs, j'ai vidé ce matin mon pot de confiture!
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