Peu à l'aise avec les systèmes électoraux, il est probable que le régime de Pékin n'évaluait pas le rejet dont il vient de faire l'objet à Hongkong. Il comptait peut-être sur le soutient d'une majorité silencieuse dans un suffrage qui, ce 24 novembre, ne concernait que des sujets locaux. Mais avec une participation record de 71% –alors qu'au précédent scrutin en 2015 ils n'étaient que 47% à être allé voter– l'opposition vient de gagner largement la majorité des sièges dans 17 des 18 conseils de district. Elle a remporté 390 sièges sur les 452 qui étaient en jeu. Il est clair que la population hongkongaise s'est saisie de ce scrutin pour exprimer une nette défiance à l'égard du gouvernement pro-Pékin dirigé par Carry Lam. Celle-ci a réagi en déclarant dans un communiqué: «Le gouvernement écoutera humblement les opinions des citoyens et y réfléchira de manière sérieuse». Tandis que les leaders de l'opposition se réjouissent évidemment des résultats de l'élection, Claudia Mo, une parlementaire démocrate, estime que «c'est une gifle monumentale pour Pékin, qui va au-delà de nos espérances». Tommy Cheung, l'un des meneur de la contestation dans la rue et qui vient d'être élu, commente: «C'est un tsunami démocratique».
Il n'est pas sûr du tout que cette séquence électorale améliore l'opinion que les Chinois ont des Hongkongais. Aucun sondage n'a été réalisé sur la ville depuis cinq mois que des manifestations s'y produisent. Mais de toute évidence, Hongkong est un sujet de profonde irritation pour le peuple chinois. Le statut de zone économique spéciale qui lui a été accordé pour cinquante ans lorsque les Britanniques l'ont rétrocédée en 1997 est généralement considéré comme un privilège infondé. En Chine, on s'offusque du fait que la population hongkongaise réclame le maintien de ses libertés. «Ils se battent pour leur situation et pas pour celle de l'ensemble des Chinois», peut-on entendre à Pékin ou à Shanghai.
De manière générale, la Chine considère que les manifestations hongkongaises font l'objet de manipulations de la part des États-Unis. Dans ces conditions, il est mal vu aujourd'hui pour la population chinoise de Chine d'aller faire du tourisme à Hong Kong. Les personnes qui s'y rendent, beaucoup plus rares qu'autrefois, courent le risque d'essuyer des critiques à leur retour, la probabilité étant grande que leur voisinage ait eu vent de leur voyage dans l'ex-colonie anglaise.
À Hong Kong, en tout cas, la situation est aujourd'hui particulièrement compliquée. La contestation avait commencé en juin par une vaste protestation contre un projet de décret qui aurait permis des extraditions vers la Chine continentale. Ce texte a tardé à être suspendu.
Depuis, les manifestant·es ont de nouveau demandé des élections libres ainsi que la création d'une commission d'enquête sur les violences policières. Aucune réponse n'a été obtenue, si bien que la mobilisation s'est installée dans la durée tout en se durcissant. La stratégie la plus répandue est désormais résumée par le slogan «éclore partout», qui consiste à multiplier les actions afin d'épuiser la police.
Un nouveau cap a été franchi en début de semaine, quand les groupes d'action –essentiellement estudiantins– ont décidé d'occuper l'université Polytechnique (PolyU). La police a aussitôt entouré le bâtiment, qui se situe à l'entrée d'un tunnel reliant l'île de Hong Kong à la péninsule de Kowloon, sur le continent. Conséquence: des réseaux routiers encombrés et un trafic de plus en plus paralysé.
Agitation croissante
Chez les membres des groupes étudiants, les fortunes ont été diverses. Une partie a réussi à s'enfuir grâce à une corde les menant jusqu'au siège arrière de motos qui démarraient immédiatement. D'autres (environ 700) ont fait l'objet d'une arrestation au moment de leur sortie du bâtiment. À l'intérieur, les plus téméraires, «les braves», ont continué à lancer des cocktails Molotov et à tirer à l'arc sur la police, qui a répliqué avec des gaz lacrymogènes sans toutefois arriver à les déloger.
Selon des statistiques réalisées par les autorités hongkongaises sur les cinq derniers mois, la police de la ville a arrêté 4.491 personnes âgées de 11 à 82 ans, dont l'immense majorité a ensuite été relâchée; 10.000 cartouches de gaz lacrymogène ont été utilisées; les heurts ont fait au moins deux morts et blessé plus de 1.500 personnes, dont plusieurs sont dans un état grave.
Face à la montée du chaos, Pékin se montre aussi immobile que possible. Des troupes de la police armée de la République populaire sont massées à Shenzhen, non loin de Hong Kong. La télévision centrale de Pékin diffuse régulièrement des reportages sur leur présence, le principal objectif semblant être de faire savoir que l'intervention militaire chinoise est parfaitement envisageable.
Le 16 novembre dernier, des soldats chinois résidant dans une caserne à Hong Kong sont sortis pour aider à déblayer les rues après une série de manifestations. L'opération s'est déroulée en moins d'une heure et dans une grande discipline. L'intention était double: montrer que l'armée chinoise est capable de rendre service et indiquer qu'elle peut être activement présente dans le territoire. Pour l'instant, les opérations liées au maintien de l'ordre dans la ville restent aux mains de la police de Hong Kong, qui agit en concertation toute relative avec les autorités du continent.
À ce jour, Pékin n'a pas décidé de déployer ses forces à Hong Kong. Les raisons sont multiples. Les dirigeants chinois ont en mémoire les effets désastreux pour la réputation de la Chine qu'avait eu en 1989 l'évacuation de la place Tian'anmen après l'occupation étudiante du lieu. Il avait fallu des années pour effacer le souvenir de cette répression sanglante. Les responsables actuels, à la tête d'un pays devenu la deuxième économie au monde, ne tiennent pas à renouer avec l'image d'un pouvoir violent et brutal.
Autre préoccupation, plus actuelle: Pékin ne veut surtout pas fournir un argument antichinois aux États-Unis. Depuis que Donald Trump, en début d'année, a décidé de mettre en place toutes sortes de taxes et de mesures de protection afin de bloquer la montée en puissance économique de la Chine, une négociation complexe est engagée entre les deux pays.
Si la Chine décidait de faire usage de la force en envoyant son armée rétablir l'ordre à Hong Kong, cela ne simplifierait évidemment pas son dialogue avec les États-Unis. À Pékin, on pense même que l'administration Trump espère que cette intervention chinoise ait lieu afin de pouvoir la dénoncer haut et fort.
En attendant Donald Trump
En octobre dernier, la rencontre à Hong Kong de quatre parlementaires américains et de leaders de la contestation est clairement apparue comme une façon d'encourager la poursuite du mouvement d'opposition à Pékin. Cette contestation a reçu une approbation d'une autre ampleur le 20 novembre, avec le vote par le Congrès américain d'un texte intitulé «Hong Kong Human Rights and Democracy Act».
Cette ferme résolution de soutien aux droits humains et à la démocratie à Hong Kong a été adoptée à l'unanimité par le Sénat américain, avant d'être approuvée à 417 voix contre 1 à la Chambre des représentants. Pour être promulgué, ce texte doit être signé par le président Trump, qui peut à l'inverse y mettre son veto. Sa décision ne devrait pas tarder à être connue. Deux jours après le vote du Congrès, il a simplement affirmé sur la chaîne Fox News: «Sans moi, Hong Kong aurait été anéanti en quatorze minutes. Xi Jinping a un million de soldats en position à l'extérieur de Hong Kong, ils n'y vont pas uniquement parce que je le lui ai demandé.» Donald Trump a rappelé qu'une négociation commerciale sino-américaine est en cours et qu'il avait précisé chef de l'État chinois: «Vous feriez une grave erreur. Cela aura un effet terriblement négatif sur l'accord commercial.»
En tous cas, l'initiative du Congrès américain, qui a bénéficié de l'accord des camps républicains et démocrates, a bien entendu provoqué une forte irritation en Chine. Le ministère chinois des Affaires étrangères a élevé une «protestation solennelle» auprès de l'Ambassade des États-Unis à Pékin.
Dans son édition du 21 novembre, le Quotidien du peuple, le journal du Parti communiste chinois, parle d'une «grave provocation» américaine et menace: «Si les États-Unis persistent sur ce chemin, la Chine prendra des mesures fortes et il conviendra aux États-Unis d'en assumer toutes les conséquences.»
Il semble bien que les États-Unis ont décidé de profiter de l'absence de réaction chinoise face aux manifestations de Hong Kong –de quoi provoquer à Pékin un examen serré de la situation. On peut imaginer que des discussions sur la réaction possible de la Chine sont en cours parmi les sept membres du Comité permanent et les vingt-et-un membres du bureau politique du Parti communiste, entourés d'experts de politique étrangère. De ces débats qui ont lieu au sein des instances suprêmes du pouvoir chinois, rien ne filtre.
Des dissensions croissantes
Tout au plus, l'hypothèse peut être faite que les États-Unis ont accentué la probable division qui existe chez les dirigeants chinois. D'un côté, il y a les partisans d'une intervention militaire à Hong Kong, qui estiment que la situation risque d'échapper au contrôle de la Chine. De l'autre, on trouve ceux qui, dans le contexte de rivalité économique actuelle avec les États-Unis, préfèrent maintenir une attitude prudente à l'égard de Hong Kong.
Dans ces discussions, Xi Jinping devrait tenir une position d'arbitre. À plusieurs reprises, le président chinois s'est contenté d'indiquer que «mettre fin à la violence et au chaos et restaurer l'ordre reste la tâche la plus importante pour Hong Kong actuellement». De très nombreux dirigeants de passage en Chine ont indiqué plus ou moins clairement ces derniers mois que ce qui se passe à Hong Kong relève de la Chine.
Emmanuel Macron a évoqué la question le 6 novembre à Pékin, en disant: «J'ai fait part de nos préoccupations, qui sont aussi celles de l'Europe. Nous avons appelé à plusieurs reprises au dialogue, à la retenue, à la recherche d'une désescalade par le dialogue sur ce sujet de Hong Kong.»
Les positions exprimées par le Congrès américain s'éloignent de cette approche prudente. Il est possible qu'en devenant un sujet d'affrontement sino-américain, le sort de l'ancienne colonie britannique prenne une nouvelle dimension.