C'est la première fois en presque neuf ans d'un conflit ayant fait plus de 370.000 morts et déplacé plus de 5 millions de personnes, qu'une lueur de résolution pointe à l'horizon. Le 30 octobre, après deux années d'âpres efforts, le Comité constitutionnel syrien, qui comprend en son sein des représentant·es du régime de Bachar el-Assad et de l'opposition, s'est enfin réuni à Genève, quelques semaines après sa formation.
Il s'agit du «début de quelque chose de nouveau, de significatif pour la Syrie et pour les Syriens de partout», s'est félicité l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, le Suédois Geir Pedersen, après trois jours de discussions au siège des Nations unies dans la capitale helvétique, qualifiant le comité de «crédible, équilibré et inclusif».
«Un pas en avant tant attendu vient d'être franchi sur la voie politique pour sortir de la tragédie» syrienne, avait affirmé de son côté le 23 septembre, depuis le siège des Nations unies, son secrétaire général Antonio Guterres en annonçant la création du comité.
Cela faisait deux ans que l'ONU tentait de mettre en place cet organe pour créer, sous son égide, un espace de dialogue entre le régime et l'opposition sur l'avenir du pays ravagé par la guerre.
Une nouvelle série de discussions est prévue le 25 novembre également à Genève, a annoncé en octobre Geir Pedersen. Le groupe aura la mission de rédiger une nouvelle constitution ou d'amender celle déjà existante, et d'ouvrir la voie à des élections présidentielles en 2021.
Composé de 150 membres, le comité comprend équitablement des représentant·es du gouvernement syrien, de l'opposition tolérée mais aussi des personnes sélectionnées par l'ONU, dont certaines issues de la société civile. Il sera chargé de voter les propositions formulées par un noyau plus restreint de 45 représentant·es, également réparti·es de manière équitable entre les trois composantes.
Craintes d'un nouvel échec
Une mouture parfaite dans la forme, mais dont les chances de réussite sont loin d'être garanties, malgré les résultats encourageants du premier round. Les observateurs sont pour le moins sceptiques quant à la capacité de ce comité à produire de réels progrès. Beaucoup craignent un bis repetita du scénario des négociations intersyriennes dites «processus de Genève», dont les neuf cycles entamés en 2012 ont tous tourné court.
En huit ans de guerre, le régime, fort du soutien indéfectible de son allié russe, n'avait à aucun moment montré une quelconque volonté de négocier avec l'opposition. Quant aux rares résolutions n'ayant pas fait l'objet d'un veto russe au Conseil de sécurité, elles ne furent jamais appliquées.
En 2015, la résolution 2254 de l'ONU appelant à «une transition politique» et à la tenue d'élections «libres et régulières» dans les dix-huit mois suivant son adoption, est ainsi restée lettre morte.
Revigoré par l'intervention militaire de la Russie à ses côtés dès septembre 2015, le régime syrien s'est même lancé, dans les mois et les années qui ont suivi, dans une reconquête effrénée du territoire, enchaînant les victoires contre les rebelles, à coup d'offensives meurtrières.
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Les tentatives suivantes de mettre fin au bain de sang ne furent guère plus fructueuses. En janvier 2018, l'idée d'un comité constitutionnel est validé par Moscou lors de la conférence de Sotchi, organisée à l'initiative de la Russie, de l'Iran et de la Turquie.
Mais ce projet aura mis presque deux ans à voir le jour, les négociations butant sur les modalités de fonctionnement et le choix des noms de la liste onusienne. Jusqu'à cet été encore, les tractations semblaient au point mort.
«Il est temps de se rendre compte que cela n'a pas progressé et que cela reste hors d'atteinte. Parce que c'est ce que veut le régime –que cela reste hors d'atteinte», avait martelé en juin dernier l'ambassadeur américain à l'ONU Jonathan Cohen, suggérant au nouvel émissaire spécial pour la Syrie Geir Pedersen de «passer à autre chose».
La carotte des fonds occidentaux
Mais Moscou semble être parvenu finalement à convaincre Bachar el-Assad de coopérer, en contrepartie d'éventuels fonds occidentaux pour la reconstruction d'un pays en ruine.
L'Europe et les États-Unis ont conditionné, en effet, le déblocage de financements nécessaires à la reconstruction à de réels progrès vers un règlement du conflit. Ruinée, et sous le coup d'une batterie de sanctions internationales, la Syrie a cruellement besoin des fonds internationaux pour se redresser.
Malgré cette réalité économique, les chances que Bachar el-Assad consente à réformer en profondeur son système totalitaire sont infimes, estiment certains.
«Que la volonté d'obstruction du régime se poursuive, cela fait partie des craintes et des défis les plus importants», a récemment souligné le chef de l'opposition syrienne en exil Nasr Hariri. Damas a d'ailleurs d'ores et déjà averti qu'«aucun calendrier ou date butoir ne sera imposé au comité», rejetant toute «ingérence étrangère».
Les Kurdes, grands absents
Autre manquement majeur au projet de réécriture de la constitution: l'absence au sein du comité de tout représentant officiel de la minorité ethnique kurde, qui pèse à hauteur de 15% de la population syrienne et contrôle aujourd'hui plus du quart du territoire, en dépit du récent déploiement de l'armée syrienne dans ses régions.
Si des personnalités kurdes sont présentes sur les listes de l'opposition et de la société civile, le gouvernement semi-autonome du Rojava, qui administre des territoires situés dans le nord et le nord-est de la Syrie, n'y est pas représenté.
Damas ne consent aucunement au projet d'autonomie kurde et cherche à reconquérir ces territoires. Mais la Turquie, qui fait partie du trio de Sotchi, aurait également imposé son veto à une participation kurde.
Ankara voit en effet d'un mauvais œil la formation d'un noyau d'État kurde à sa frontière sud qui sera administrée par le parti de l'Union démocratique (PYD) proche du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), considéré comme terroriste par la Turquie.
Il reste enfin une inconnue majeure: celle de la participation à un futur scrutin des 5,6 millions de réfugié·es massé·es à l'extérieur du pays, soit environ le tiers de la population, principalement en Turquie, au Liban et en Jordanie. Si Damas appelle officiellement à leur retour, elle cherche, dans les faits, à empêcher cette dynamique.