Politique

Avec Dati, la chute finale est en vue pour Les Républicains aux municipales à Paris

Temps de lecture : 7 min

La désignation de l'ex-garde des Sceaux sarkozyste comme cheffe de file de la droite va fermer, brutalement, un cycle ouvert en 1977.

La maire (LR) du VIIe arrondissement de Paris Rachida Dati le 7 novembre 2019 lors de son premier meeting de campagne pour les municipales de 2020 dans la capitale. | Geoffroy van der Hasselt / AFP
La maire (LR) du VIIe arrondissement de Paris Rachida Dati le 7 novembre 2019 lors de son premier meeting de campagne pour les municipales de 2020 dans la capitale. | Geoffroy van der Hasselt / AFP

C'est une véritable omerta! Les personnes qui acceptent de parler des conditions de la désignation de Rachida Dati comme cheffe de file du parti Les Républicains (LR) à Paris pour les municipales se comptent sur les doigts d'une main. Celles qui sont prêtes à la commenter, n'en parlons pas. Même sous couvert d'anonymat. «Évidemment, glisse l'un de ceux qui n'a pas un bœuf sur la langue, personne n'en voulait vraiment, mais personne n'osait le dire car il n'y avait pas de solution de rechange crédible

De fait, sa désignation par la commission nationale d'investiture (CNI), mercredi 6 novembre, est probablement le fait politique du début du mois qui a suscité le moins de publicité et de commentaires de la part des observateurs. Il s'agit quand même de la capitale après laquelle court la droite depuis qu'elle l'a perdue en 2001. Il y aura bientôt vingt ans!

Cette ville pour laquelle Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing se sont battus comme des chiens en 1977. Cette «municipalité département» que le premier a dirigée pendant dix-huit ans, en réalisant deux fois de suite (1983 et 1989) le grand chelem, c'est-à-dire une victoire de ses listes dans les vingt arrondissements. Autant dire qu'aujourd'hui, on est à des années-lumière de cette période triomphante du néo-gaullisme.

On pouvait rêver nomination plus flamboyante

Le parti LR, lui-même, aurait voulu minimiser la désignation de Dati qu'il ne s'y serait pas pris autrement: son communiqué noie ce «soutien» –il ne parle pas d'investiture– au milieu de trois autres concernant Saint-Étienne, Saint-Chamond et Roanne. Sans être désobligeant pour les maires de ces trois villes de la Loire, on pouvait rêver nomination plus flamboyante pour l'ex-ministre qui aime tant la lumière des projecteurs.

Il faut dire que le «choix» de l'ancienne garde des Sceaux sarkozyste était scellé depuis plusieurs semaines. Bien avant la réunion de la CNI du début novembre chargée simplement d'entériner une décision prise par l'appareil du mouvement, certains y voyant les mains d'Éric Ciotti, président de cette CNI, et de Christian Jacob, le nouveau président du parti, qui la couve. À la veille de sa désignation officielle, il déclarait au journal Le Monde: «Rachida Dati est celle qui, pour nous, dans le contexte actuel, est la meilleure.»

L'un des prétendants, Jean-Pierre Lecoq, maire du VIe arrondissement, avait même renoncé, mi-octobre, à poursuivre sa course dans une compétition interne «faussée», selon lui. Dans une lettre adressée à Jacob pour lui annoncer son retrait, Lecoq dénonçait, par avance, un choix qui d'après lui allait conduire à «l'échec» en raison d'une stratégie de repliement partidaire.

«Au moins avec vous, c'était du sérieux»

Dès lors, deux femmes restaient en lice: l'ex-ministre de la justice de Nicolas Sarkozy et Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du groupe LR au Conseil de Paris et ancienne secrétaire générale adjointe de l'Élysée pendant le second mandat de Jacques Chirac (2002-2007). D'aucuns noteront que les deux lignes coexistant au sein de la droite depuis vingt-cinq ans se trouvaient une nouvelle fois face-à-face. La première candidate jouait sur sa notoriété, la seconde misait sur sa volonté de rassemblement.

Comme c'était prévisible, Dati l'a emporté. L'un des participants à la cérémonie estime que le scrutin à bulletin secret aurait donné vingt voix à Dati, quatre à Carrère-Gée et deux abstentions. Bonne joueuse, la candidate perdante a salué sur Twitter, le lendemain matin, la victoire de sa concurrente: «En tant que présidente du @GroupeLRI, j’adresse mes félicitations et mes encouragements à @datirachida pour sa désignation comme candidate des @LesRepublicains à l’élection municipale de mars prochain».

Ce qui a suscité un commentaire acerbe d'un «avocat anonyme» sur le réseau social: «En route vers la débâcle! Au moins vous, c’était du sérieux.» Ce à quoi l'élue LR a répondu: «Merci beaucoup.»

Indéniablement, au-delà de ses facilités médiatiques, Dati dégage une énergie et un battant qui font lourdement défaut actuellement dans son parti. Elle est aussi connue pour sa capacité de nuisance et donc pour la crainte qu'elle peut inspirer... à l'intérieur même de la droite. De là à voir dans sa désignation une manière de la canaliser et de l'encadrer au plus près dans une élection qui se joue en équipe –il y a dix-sept scrutins de liste dans les vingt arrondissements, les quatre premiers étant regroupés–, il n'y a qu'un pas que certain·es n'hésitent pas à franchir.

La droite a vu ses rangs se déliter

De fait, la cheffe de file de LR dans la capitale n'aura pas les coudées franches pour constituer les listes dans chaque secteur. Surtout ceux qui sont détenus par la droite. Aux municipales de 2014 qui s'étaient soldées par la victoire finale de Anne Hidalgo (PS) face à Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM, UMP), la gauche avait remporté onze mairies d'arrondissement et la droite, neuf. La majorité de gauche (PS-PCF-PRG-Écologistes) disposait de 91 sièges de conseillèr·es de Paris, l'opposition de droite (UMP-UDI-Modem) en avait 71 –le 163e revenant à l'unique conseillère de l'actuelle France insoumise.

Mais, depuis le séisme de l'élection présidentielle de 2017, de l'eau a coulé sous les ponts. Si la gauche, essentiellement le PS, a donné naissance à un groupe hamoniste de Génération.s fort de huit élu·es et une dissidence macroniste composée de sept membres, c'est surtout la droite qui a vu ses rangs se déliter.

Vingt-et-un de ses membres se sont regroupés au sein de 100% Paris, un groupe initié par Pierre-Yves Bournazel, élu dans le XVIIe arrondissement, dont trois maires LR d'arrondissement: Jean-François Legaret (Ier), Florence Berthout (Ve) et Philippe Goujon (XVe). Tandis que dix autres élu·es ont constitué un groupe Parisiens Progressistes, Constructifs et Indépendants. Enfin, cerise sur le gâteau, la maire du IXe arrondissement, Delphine Bürkli (LR) à noué, fin août, «une alliance stratégique avec Benjamin Griveaux», candidat officiel de La République en marche (LREM) à la Mairie de Paris.

Liberté de mouvement laissée aux maires

C'est donc près de la moitié de la droite qui a quitté la configuration initiale de 2014, réduisant les effectifs du groupe des Républicains et indépendants à vingt-cinq unités. Deux raisons essentielles expliquent cette fragmentation: la volonté de constituer une entité «Macron-compatible» en vue des municipales de mars 2020, et le souhait de se mettre en marge d'une candidature Dati que certains avaient vu venir de loin. C'est dire qu'à ses propres faiblesses, la cheffe de file LR ajoute le handicap d'une dispersion des troupes avant même d'entrer véritablement en campagne.

Ce manque de discipline ou d'unité se traduira par la liberté que pourrait laisser l'appareil du parti aux maires d'arrondissement de droite dans la constitution de listes d'ouverture... pour sauver les meubles.

«Le deal, c'est que la CNI a donné son aval à Dati si on laissait la bride sur le cou aux maires sortants.»
Un membre de la commission nationale d'investiture

Et cela contre la volonté de Dati, plus encline à se créer une garde fidèle via des listes orthodoxes. «Elle tympanise les responsables du mouvement, jour et nuit, avec cette marotte», lâche un de ses opposants. Il se dit, à l'intérieur de l'appareil, que Gérard Larcher, président LR du Sénat, a imposé cette liberté de mouvement des maires à Jacob et à Ciotti.

L'ex-ministre va probablement déchanter rapidement car les maires en question seront invités, le 15 décembre, à venir exposer leur manière de penser devant la CNI. «Le deal, c'est que la commission d'investiture a donné son aval à Dati si on laissait la bride sur le cou aux maires sortants», assure l'un de ses membres. Gageons que dans cette optique, lesdits maires se soucieront moins du score parisien global de Dati –elle aura déjà du mal à percer significativement au-delà des frontières du VIIe arrondissement–que de leur propre résultat local pour préserver leur bastion.

«Rien ne l'arrêtera, même pas Renault»

La priorité des priorités des élu·es de la droite parisienne est de parvenir, par tous les moyens, à faire tomber Anne Hidalgo, la maire sortante PS élue en 2014 après treize ans de règne d'un autre socialiste, Bertrand Delanoë (2001-2014). À cette aune, la candidature de Dati ne pèsera pas très lourd, tactiquement parlant. Elle est créditée de 13% à 14% dans les derniers sondages réalisés en septembre par l'Ifop et par Ipsos, mais rappelons qu'il y a dix-sept scrutins (un par secteur) indépendants les uns des autres, et non pas un seul sur l'ensemble de la capitale. En 2014, les listes NKM avaient totalisé 35,64% des suffrages exprimés au premier tour.

Last but not least, une menace judiciaire plane au-dessus de la tête de Dati. Elle est visée par une enquête ouverte pour abus de biens sociaux et corruption: l'accusation concerne des prestations de conseil conclues par l’ex-garde des Sceaux et le criminologue Alain Bauer avec Renault-Nissan lorsque Carlos Ghosn en était le PDG. Une perquisition a été opérée, en octobre, dans ses bureaux. Son entourage la dit «sereine» et «déterminée». L'un de ses opposants assure, en le déplorant, que «rien ne l'arrêtera, même pas Renault».

Il n'en demeure pas moins que le syndrome Fillon –le candidat LR à la présidentielle de 2017 avait été mis en examen pendant la campagne électorale– hante les couloirs du siège du parti. Si les un·es attendent cet hypothétique «temps judiciaire» avec crainte, d'autres ne seraient pas mécontent·es qu'il se concrétise. Quoi qu'il en soit, dans l'un ou l'autre cas, c'est probablement la survie politique parisienne du parti Les Républicains qui va se jouer en mars 2020. Quel chemin de croix parcouru depuis 1977.

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