Monde

Curée sur les prêtres pédophiles

Temps de lecture : 5 min

De nouvelles affaires éclaboussent l'Eglise catholique en Europe. Dérives individuelles ou institution malade et perverse? Le débat a commencé.

Le scandale de la pédophilie du clergé catholique s'étend en Allemagne, aux Pays-Bas, en Autriche. Le Vatican semble aujourd'hui cerné et assommé. Et un procès commence: si aucune institution éducative n'est épargnée par les abus sexuels commis sur des enfants, pourquoi l'Eglise catholique semble-t-elle la plus touchée? S'agit-il de dérives individuelles, dont la révélation devient quotidienne, ou est-ce la structure qui est perverse?

La tempête gronde en Allemagne. Elle avait éclaté en janvier avec des révélations d'abus commis par deux prêtres au prestigieux collège jésuite Canesius de Berlin, qui a formé une partie de l'élite politique allemande de l'après-guerre. Depuis, les langues se délient. D'autres victimes, formées dans des établissements catholiques, se font connaître ou portent plainte. Le 24 février, Barnabas Bögle, supérieur du monastère bénédictin d'Ettal, dans le diocèse de Munich, a démissionné en raison d'abus sexuels commis sur des enfants scolarisés dans son internat.

Selon un rapport, une centaine d'enfants aurait été «massivement victimes de sévices» conduits par des religieux de ce monastère bénédictin estimés à une dizaine. Les faits les plus récents remonteraient aux années 1970 et 1980. Rappelons que le cardinal Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, fut archevêque de Munich de 1977 à 1982.

Une autre célèbre institution bavaroise est sous le choc: le Regensburger Domspatzen, le très ancien chœur des petits chanteurs de la cathédrale de Ratisbonne. L'évêché de Ratisbonne vient de reconnaître deux cas d'abus sexuels au sein de cette prestigieuse chorale que le propre frère du pape actuel, Georg Ratzinger, a dirigée de 1964 à 1993. Celui-ci, qui a 86 ans et réside désormais à Rome, a fait savoir qu'il ignorait tout d'accusations qui remontent à la fin des années 1950: «C'était une toute autre génération», a t-il dit, avant de demander pardon aux victimes et à leurs parents. Selon un compositeur de musique proche de cette chorale, qu'il fréquenta jusqu'en 1967, tout le monde était au courant de ces pratiques sexuelles perverses. Il doute que Georg Ratzinger n'en ait jamais été informé.

La très catholique Bavière est encore atteinte par deux autres affaires: dans la communauté des capucins de Burghausen, près d'Altötting, où le directeur du séminaire aurait sévi sur des jeunes dans les années 1984-1985. Puis, dans le diocèse d'Augsburg qui vient d'avertir le parquet d'une affaire remontant en 1999. Devant cette cascade de révélations, le débat a pris un tour politique en Allemagne. La ministre de la justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, réclame des compensations financières pour les victimes de crimes prescrits et veut faire voter un projet de loi visant à rallonger les délais de prescription pour les cas d'abus en milieu scolaire.

La consternation du Vatican

Elle met surtout en cause le Vatican qui aurait érigé sur ces affaires un «mur de silence». Elle fait allusion à une lettre adressée, en 2001, aux évêques du monde entier par le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la congrégation romaine pour la doctrine de la foi. Ce texte intitulé «De delictis gravioribus» («au sujet des délits les plus graves») faisait obligation aux évêques de transmettre les cas majeurs directement au pape à Rome. La ministre allemand de la justice, reprise par une bonne partie de la presse, retient de cette lettre que les abus les plus sérieux ne devaient pas être divulgués à l'extérieur. Faux, répond le Vatican: c'était «un signal déterminant» pour rappeler à l'épiscopat sa responsabilité face à la gravité du crime commis.

Le scandale gagne aussi l'Autriche: Bruno Becker, supérieur de l'abbaye bénédictine Saint-Pierre de Salzbourg, a donné sa démission le 8 mars avec effet immédiat. Il a avoué publiquement avoir abusé d'un enfant en 1969 dans sa commune natale de Grödig. Puis les Pays-Bas où l'ordre des salésiens vient de faire l'objet d'accusations pour des faits qui se seraient produits dans les années 1960 et 1970 dans un internat près de Nimègue. Une commission d'enquête de l'Eglise néerlandaise, appelée Aide et droit, a lancé début mars un appel aux personnes victimes de prêtres: 34 cas d'abus sexuels ont été signalés en quatre jours.

Au Vatican, c'est la consternation. Le cardinal allemand Walter Kasper, en charge des questions œcuméniques, vient de déclarer au quotidien italien La Repubblica que «les abus sexuels sur des mineurs par des membres du clergé sont des actes criminels, honteux et des péchés mortels inadmissibles», qui devront être «punis avec une fermeté absolue». Le pape lui-même s'est saisi de ce douloureux dossier. Il l'a fait pour les Etats-Unis, pour l'Irlande, a su trouver les mots et accompli des gestes sans doute insuffisants. Il recevra le 12 mars le président de la conférence des évêques d'Allemagne.

Le célibat des prêtres en question

Mais le cauchemar semble ne plus finir. Dans beaucoup de milieux, la tentation est grande aujourd'hui de mettre en cause, au delà des délits individuels commis par quelques prêtres, l'institution catholique elle-même, dans son ensemble, et de la condamner comme structure perverse.

Le Père Federico Lombardi, porte-parole du pape, a rendu publique mardi 9 mars une forte mise au point. Il ne nie pas la gravité de la tourmente que traverse toute l'Eglise. Il a rappelé les consignes d'extrême sévérité et de transparence, fait observer qu'en Allemagne, aux Pays-Bas, en Autriche, les autorités concernées avaient réagi avec détermination et rapidité. Mais il a surtout voulu souligner que le scandale de la pédophilie ne se limitait pas à l'Eglise: c'est une question «beaucoup plus large» et le fait de concentrer les accusations seulement sur l'Eglise catholique «fausse le point de vue». Il s'est réjoui de la demande de la ministre allemande de la famille de réunir toutes les institutions éducatives pour parler de cette tragédie et a promis la participation de l'épiscopat.

Il reste que les autres Eglises - protestantes, anglicane ou orthodoxes - qui sont aussi en charge d'établissements éducatifs, semblent relativement épargnées. Les faits les plus massifs et violents sont ceux qui sont reprochés à l'Eglise catholique, aux Etats-Unis, en Australie, en Irlande, en Allemagne, en Autriche, à un degré moindre en France, etc. Hans Küng, le célèbre théologien de Tübingen en Allemagne (mais Suisse d'origine), le plus violent opposant à Benoît XVI, a trouvé le coupable: la discipline, spécifiquement catholique, du célibat des prêtres.

Dans un point de vue publié par «Le Monde» du 5 mars, il dit ne pas ignorer que ce genre d'affaires éclate aussi dans des familles, des écoles, des associations et, plus épisodiquement, au sein d'Eglises où la règle du célibat des prêtres n'existe pas. Mais ce qui, pour lui, engendre toutes les dérives, c'est «la relation crispée qu'entretient la hiérarchie catholique avec la sexualité», dont le célibat des prêtres est «l'expression la plus frappante».

Ce point de vue a fait sursauter les psychanalystes et éditoralistes proches de l'Eglise catholique. Il n'y a pas de relation causale directe entre la pédophilie et le célibat. La meilleure preuve, commente Gérard Leclerc dans «La France catholique», est que «les prisons sont peuplées de délinquants sexuels mariés et pères de famille et que l'essentiel des crimes pédophiles est de nature incestueuse. Le mariage des prêtres ne garantirait en rien les institutions catholiques contre ce type de délinquance».

Quoiqu'il en soit, le procès d'une Eglise catholique au fonctionnement pervers a commencé. Il y a sans doute une odieuse contradiction entre le haut niveau d'exigence morale que requiert cette Eglise, dans ses propres rangs et dans la société entière, et le comportement de ceux qui sont chargés de l'encadrer et de diffuser son enseignement. Mais il serait réducteur et absurde de rabaisser le débat à la critique d'une Eglise qui créerait en elle-même ses propres tendances déviantes.

Henri Tincq

Image de une: Le Pape Benoit XVI / Reuters, Alessandro Bianchi

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