Monde

Dans le quotidien des Samaritains, seule minorité à la fois israélienne et palestinienne

Temps de lecture : 5 min

Pratiquant un judaïsme primitif, ils réussissent à vivre en paix au milieu de deux peuples qui se disputent sans cesse la sainteté et la propriété de Jérusalem.

Quand on leur demande de quel peuple ils se sentent le plus proche,  les Samaritains répondent qu'ils sont «des enfants d’Israël qui vivent en Palestine depuis 3000 ans». | Capture écran de la bande-annonce
Quand on leur demande de quel peuple ils se sentent le plus proche,  les Samaritains répondent qu'ils sont «des enfants d’Israël qui vivent en Palestine depuis 3000 ans». | Capture écran de la bande-annonce

Le documentaire de Julien Menanteau, Les Samaritains a été sélectionné par le festival Les Étoiles du documentaire, organisé les 9 et 10 novembre 2019 au Forum des Images. Le film y sera projeté pour l'occasion. Toutes les infos (programme, réservation) sont ici.

Dans son salon Abdallah «Aboud» Cohen, âgé d'une vingtaine d'années, s'entraîne au chant religieux en lisant un cahier griffonné. Grand prêtre, son grand-père l'écoute attentivement, le corrige, puis compare le chant de son petit-fils à un autre qu'il écoute sur un téléphone portable dernière génération.

L'aïeul est satisfait, il demande à son héritier de revenir s'entraîner ce soir mais le jeune Aboud ricane et propose plutôt de continuer l'exercice un autre jour. À son âge on n'a pas forcément envie de passer ses soirées à réviser sa religion, même si l'on est petit-fils du grand prêtre d'une communauté de seulement 780 âmes au bord de l'extinction.

Être peu mais être en paix

Cette scène inaugure le documentaire de Julien Menanteau Les Samaritains, peuple microscopique de Cisjordanie. Installés sur le Mont Gazirim près de Naplouse, les Samaritains sont les seuls détenteurs de la double nationalité israélo-palestinienne. Un statut particulier qui leur octroie le luxe de ne pas prendre partie dans l'éternel conflit qui embrase la région.

Ils pratiquent une forme de judaïsme primitif qui considère le Mont Gazirim sur lequel ils vivent majoritairement comme le principal lieu saint, et non Jérusalem. Position qui explique, entre autres raisons, pourquoi les Samaritains réussissent à vivre en paix au milieu de deux peuples qui se disputent sans cesse la sainteté et la propriété de la cité coupée en deux.

C'est ce quotidien étrangement paisible que Julien Menanteau dépeint dans son film. Des rues calmes où les anciens quittent la messe du jour tandis que les jeunes hommes et jeunes femmes s'épient, se considèrent. Sur le Mont Gazirim la question amoureuse est un enjeu de société.

«Toute personne qui a le lobe de l'oreille détaché est samaritaine»

«Au début du XXe siècle nous n'étions plus que cent, les unions entre cousins et cousines étaient courantes chez nous», précise Aboud pour expliquer le taux anormalement élevé de sourds ou d'aveugles au sein de sa communauté.

Lorsque l'on retrouve son prêtre de grand-père, le voilà justement face à une demi-douzaine de jeunes naplousiennes. «Combien d'entre vous ont des origines samaritaines?», leur demande t-il. Aucune ne répond par la positive. «Et si je vous dis que avez toutes des origines samaritaines?» continue l'homme de foi devant un auditoire interloqué; puis d'affirmer que «toute personne qui a le lobe de l'oreille détaché est samaritaine». Au doute légitime qui s'exprime, le grand prêtre, tout sourire, se présente comme «le plus grand chercheur en religion du monde» et assure que sa méthode a valeur de test ADN.

On comprend alors où le sage veut en venir lorsqu'il explique qu'en suivant ce test fantasque, «trois quarts des habitants de Naplouse sont samaritains». On a beau être dévot au possible et gardien d'une tradition ancestrale qui, par exemple, ne voit pas forcément d'un bon œil le mariage interreligieux, il faut bien faire quelques concessions lorsque la communauté en question comprend moins de mille individus et foule de problèmes génétiques causés par des unions qui finissent inévitablement par être aussi intrafamiliales qu'interreligieuses.

C'est là une autre différence entre les Juifs et les Samaritains, ces derniers permettant aux leurs de se marier avec des personnes de religions différentes si celles-ci acceptent leurs rites, bien que le grand prêtre du Mont Gazirim ne le formule qu'en métaphores aux fausses allures de science irréfutable.

Fête de l'agneau et cheveux blonds

La scène du lobe se déroule sous le regard neutre d'Aboud. Plus tard, un barbier lui demande quand le jeune homme compte se marier. Il explique qu'une femme de 17 ans lui est «réservée» mais qu'elle est la fille du cousin de son père.

Aboud reste vague, ne dévoile pas ses intentions mais mentionne qu'aujourd'hui il est plus facile de se marier pour les Samaritains, puisque les femmes étrangères sont acceptées; sur le Mont Gaziriem une dizaine d'Ukrainiennes ont formé un foyer.

Julien Menanteau nous présente une de ces familles métissées. Sous le regard attendri de son père samaritain, une jeune tête blonde lit quelques pages dans la langue de sa mère. On les apercevra à nouveau lors de la fête de l'agneau, se fondre naturellement dans le paysage et les habitudes de la communauté. Seule la couleur des cheveux de la mère et des bambins les distingue. Ici ne compte que le lobe de l'oreille, et encore...

Une jeunesse de village

Aboud décrit la communauté samaritaine comme «une grande famille» qui s'entraide et se soutient. Mais tout le monde ne partage pas sa bonhommie et son optimisme à toute épreuve. Pour Breeto, le meilleur ami avec qui il passe l'essentiel de son temps et de ses sorties hors du village, la vie en communauté est étouffante, la tradition «une routine» et le Mont Gaziriem «un trou coupé du monde».

«Comment ne pas aimer Breeto?», se demande à raison Aboud. Jeans délavés et tee-shirts à la mode occidentale, Breeto rêve d'ailleurs. «J'ai 24 ans et je suis toujours vierge, t'y crois à ça?», s'apitoie-t-il un soir. «Personne dans le monde n'est vierge à 24 ans», dit-il, comme si cette vie en autarcie était la cause principale de sa virginité. «Mais bon, je préfère l'herbe au sexe», conclut-il en fumant un joint imaginaire face à un Aboud hilare quoi qu'un peu gêné par la désinvolture de son ami lorsqu'il s'agit de parler de choses de son âge.

Ces moments de décontraction sont peut-être les plus importants de ce film délicat. On y trouve des personnalités timides dont le rêve est «de répandre le bien» à côté de figures plus extraverties qui veulent quitter leur zone de confort pour profiter de la vie au maximum. Et ce qu'on comprend peu à peu c'est que la guerre a beau entourer leur petit territoire (sans jamais le toucher) et les blindés arpenter leurs rues, la jeunesse samaritaine, entre rêve et désespoir, ressemble au final à celle de nombreux villages français éloignés des grandes villes.

Une affaire d'amour

Des grandes villes comme Tel Aviv où Aboud et Breeto, après une heure de voiture, rencontrent une journaliste qui n'avait jamais croisé le chemin d'un Samaritain. Lorsqu'elle leur demande de quel peuple ils se sentent le plus proche ils répondent que les Samaritains sont «des enfants d'Israël qui vivent en Palestine depuis 3000 ans».

Non pas ni-l'un-ni-l'autre donc, mais les deux. «C'est pour ça que l'on ne s'occupe pas de politique» disent-il en chœur en mélangeant arabe, hébreu et anglais, «chacun est le bienvenue sur le Mont Gaziriem». Juifs, musulmans ou Ukrainiens.

Certes il arrive que certains Palestiniens les «traite de Juifs ou de sionistes» et certains Israéliens «d'Arabes ou de terroristes», mais les Samaritains ne s'attardent pas sur ce qu'ils appellent de la simple «ignorance». Survivre n'est pas pour eux une affaire de guerre mais d'amitié, de mariage. Une affaire d'amour.

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