Santé

«Cette maladie a de toute façon galvaudé mes deux liaisons»

Temps de lecture : 6 min

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Albertine, qui se débat entre deux amants et une infection sexuellement transmissible.

«Il m'appelle pour me dire, assez froidement, qu'il a attrapé une infection sexuellement transmissible.» | Holly Lay via Flickr
«Il m'appelle pour me dire, assez froidement, qu'il a attrapé une infection sexuellement transmissible.» | Holly Lay via Flickr

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.

Chère Lucile,

C'est un dilemme sur fond d'IST que j'ai à te soumettre. J'ai depuis un an et demi une relation amoureuse avec un homme, appelons-le Jean, dans laquelle je me sens bien. On se voit presque tous les soirs, on se désire, on s'apprécie, on rit beaucoup et on joue parfois comme des enfants.

Le fait qu'il ait trente-neuf ans de plus que moi ne me dérange pas. Je l'ai choisi entre autres pour son attitude de dragueur assumé, et j'ai dès le début posé mes conditions de notre liaison: j'ai voulu nous garder la liberté d'avoir d'autres amant·es, à condition de s'en parler et de ne pas prendre de risques pour notre santé. Cela exige de la délicatesse et de la confiance.

Au printemps dernier, j'ai rencontré un autre homme, mettons Paul, qui vient régulièrement vers chez moi pour ses loisirs. Il était entreprenant sans manquer d'être courtois, il me plaisait. Nous nous sommes vus quelques jours par mois, au gré de ses déplacements.

Il n'est pas beaucoup plus jeune que Jean. Il m'envoyait presque quotidiennement des messages tendres, voire amoureux. Il savait ma relation avec Jean et n'avait rien à y redire.

Tout s'est passé de manière plutôt harmonieuse jusqu'à cet été. Je passe un week-end avec Paul, savoureux. Il m'appelle trois jours après pour me dire, assez froidement, qu'il a attrapé une infection sexuellement transmissible. Chlamydia, précisément. Très contagieux. Il me dit qu'il ne sait pas si je le reverrai, que tout est gâché.

Ayant perdu Paul, je décide de quitter Jean, qui me tient un discours irresponsable voire dangereux à propos de sa santé: «Je n'ai mal nulle part donc je n'ai rien. D'ailleurs, je ne mets jamais de préservatifs et je n'ai rien attrapé jusqu'à maintenant.»

Quelques jours plus tard, j'apprends par une connaissance commune que Paul est marié. Il me l'avait caché, je pense un peu par lâcheté. À la fois désabusée et rongée de culpabilité, j'ai repris ma relation avec Jean, dont les tests de dépistage ont été négatifs (mais il a tardé à les faire et aurait eu le temps de se soigner entre-temps). J'ai renoncé à essayer de démêler des responsabilités dans cette maladie, qui a de toute façon galvaudé mes deux liaisons.

J'ai revu Paul récemment. Il était tendu, je n'ai pas réussi à le retrouver vraiment. Il me dit que ma relation avec Jean, qu'il estime responsable de cette maladie qu'il a très mal vécue, le met mal à l'aise.

Moi, j'ai de la tendresse et de l'estime pour les deux malgré tout, et je sais qu'il va falloir que je fasse un choix. Paul, Jean ou aucun des deux. Ayant tendance à être un peu naïve, j'ai besoin de tes lumières, Lucile.

Albertine.

Chère Albertine,

Il me semble que c'est un problème générationnel. Enfin, je veux le croire. J'ai entendu autant d'hommes hétérosexuels de plus de 50 ans se vanter de ne jamais avoir rien attrapé que de personnes entre 20 et 30 ans se questionner sur le papillomavirus et la chlamydia.

À propos de cette IST, le podcast Qui m'a filé la chlamydia? est même frappant. Il y est moins question de honte que de respect, de se protéger et de protéger les autres en mettant les mots. La chlamydia est en effet une IST assez courante, qui se soigne très bien mais qui a peu ou pas de symptômes. C'est quand elle est ignorée qu'elle peut avoir des conséquences graves chez la femme comme chez l'homme. Il y a donc plus de bénéfices à en parler qu'à se taire.

J'ai le souvenir d'un amant plus vieux, il y a quelques années déjà, qui m'avait appelée un soir pour me prévenir qu'il «avait quelque chose». Il s'était fait opérer et me conseillait d'aller voir un médecin «au cas où».

Je le remercie d'avoir eu la présence d'esprit de me tenir au courant, mais à l'époque, il n'avait prononcé aucun mot, aucun nom de maladie et même aucun symptôme auquel j'aurais pu me raccrocher. Je me suis fait dépister, mais rien n'avait été trouvé à l'époque. En fait, ce qu'il m'avait transmis n'a eu des conséquences qu'une décennie plus tard. Et j'ai été en colère.

J'étais capable d'assumer les conséquences de mes actes, mais je n'ai jamais compris pourquoi il avait eu cette pudeur déplacée qui avait causé tant de stress. Il m'avait traitée comme une enfant à qui on n'explique pas les choses et franchement, au regard de notre relation, c'était déplacé. Je n'ose imaginer sa réaction à lui si j'avais été celle qui l'avait contaminé ou s'il l'avait pensé.

Je crois qu'en plus de la question générationnelle se cache également un problème masculin. Les femmes ont l'habitude de gérer leurs problèmes gynécologiques. Nous ne sommes pas toutes égales sur ce point, mais beaucoup d'entre nous ont malheureusement déjà été contraintes de soigner une cystite ou une mycose et parfois de devoir mettre de côté leur vie sexuelle le temps du processus ou de s'en étendre à leur compagnon, dans le cas de la mycose, pour qu'il se soigne aussi.

Dans notre société, et c'est regrettable, le corps des femmes est public. Il est sujet à commentaire et à débat. Les hommes comme les membres du corps médical se permettent beaucoup (trop) de libertés avec lui. Les femmes se sont habituées à ce traitement où le respect et la pudeur ont peu de place.

Une chlamydia se soigne rapidement avec un traitement antibiotique (en une dose ou en plusieurs prises sur une semaine). C'est une mauvaise expérience sans être la fin du monde. Ce doit être l'occasion de discuter avec sa/son ou ses partenaires, de façon à tous et toutes se protéger –avec un préservatif d'abord, puis avec des prises de sang régulières de dépistage des IST et MST. Cela n'entrave aucunement le fun qu'il y a à se voir.

Il est impossible de décider si une personne est de confiance ou non juste en buvant un verre. «Juré craché, je n'ai rien» n'a aucune valeur. Seul le dépistage compte.

Il est question ici d'être adulte et de se responsabiliser. Faire attention à sa santé et à celle des autres est sexy –exactement comme le consentement, en fait.

On oppose de plus en plus deux visions du sexe: celle fun des soixante-huitard·es et celle triste et compliquée des millennials. La réalité, c'est que les IST et MST existaient déjà en 1968. Avant que le sida n'arrive, les hommes comme les femmes souffraient d'herpès, de chlamydia, de syphilis, d'hépatite. Le sexe libéré et sans capote que les hommes d'une certaine génération fantasment n'a jamais été plus sûr ou plus léger.

Ce qui m'ennuie dans votre témoignage, en plus de la position infantile des hommes avec qui vous avez été en relation, c'est que vous soyez considérée comme un élément perturbateur. Une maladie a été détectée et vous êtes celle qui est punie. Il est presque impossible de savoir qui est responsable et vous avez raison de ne pas vous fatiguer à cette tâche. Mais parce que Paul a été malade, vous voyez votre relation se finir. Jean, de son côté, estime qu'il n'a jamais rien attrapé et que c'est donc votre problème.

Ce n'est pas parce que vous êtes la seule personne à avoir un sens des responsabilités que vous êtes responsable. Vous avez juste entamé des relations entre adultes avec deux hommes, de la même génération, qui ne voient pas le problème comme vous le voyez et qui ne changeront probablement pas d'avis.

Refuser le préservatif, c'est être prêt·e à en assumer les conséquences. Il suffit de quelques grammes de latex ou de polyisoprène pour évacuer toutes ces tensions inutiles et continuer à prendre du plaisir. Si ni Jean ni Paul ne sont capables d'accepter ces simples faits, alors je ne vois pas de raison de continuer à les voir.

«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:

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