Égalités / Monde

Aux Philippines, le long combat des «little people» pour leurs droits

Temps de lecture : 4 min

Discriminées à l'embauche, nombre de personnes de petite taille n'ont d'autre choix que de travailler pour une industrie du divertissement qui les tourne souvent en ridicule.

Un combat de «boxe de nains» au Ringside, à Manille. | Nicolas Quénel
Un combat de «boxe de nains» au Ringside, à Manille. | Nicolas Quénel

À Manille, dans le quartier huppé de Makati, une attraction prisée des touristes consiste à assister à des combats de «boxe de nains» ou de «catch de nains». Entre les buildings aux piscines suspendues dans le vide et les restaurants chics, on trouve des établissements moins recommandables, qui se spécialisent dans ce type de spectacle.

Au croisement de Kalayaan Avenue et de P Burgos Street, le Ringside est de ceux-ci. Sur sa devanture, l'affiche indique en grandes lettres lumineuses «MIDGET BOXING», «MIDGET OIL WRESTLING», «MIDGET DANCER» –tout un programme.


À l'affiche au Ringside. | Nicolas Quénel

À l'intérieur, c'est un bar des plus quelconques, aux plafonds réfléchissants et à la musique assourdissante, dont les basses traversent la cage thoracique. Sa principale attraction: un petit ring de box situé au centre de l'espace.

Dès l'entrée, la patronne du bar alpague la clientèle, tâtant le terrain pour voir si le visiteur cherche une plaisante compagnie. Comprenant que nous sommes venus assister au match de boxe, elle nous vante alors la «très petite taille» des nains, l'air de dire que nous ne serons pas déçus du voyage.

À ce moment-là, les combats de boxe sont interrompus. Pour faire patienter l'assemblée –majoritairement occidentale–, quatre danseuses en bikini émeraude se trémoussent distraitement sur des tubes du début des années 2000, une expression placide sur leur visage.

Alors que nous nous installons au comptoir, c'est littéralement une file indienne de nains luisants et vêtus de shorts de boxe rouges qui passent près de nous pour solliciter des pourboires dans un immense bocal qui ne se remplira que peu.

Arrive le moment du «combat». L'une des danseuses sollicite un spectateur pour faire office d'arbitre. Un homme blanc d'un certain âge, vêtu d'un short blanc et d'un polo noir, grimpe péniblement sur le ring. Visiblement très amusé de la présence des nains, il affiche un sourire jusqu'aux oreilles.

Les combattants enchaînent deux rounds qui dureront environ une minute chacun. L'«arbitre» soulève ensuite le bras du vainqueur et lui tapote la tête, hilare. L'intérêt sportif serait très limité pour les fans de boxe; le spectacle semble plutôt s'adresser à des personnes qui trouvent amusant de voir des nains échanger avec leurs poings.

Entre popularité et mépris

Depuis les années 1970, les Philippines entretiennent une passion pour les divertissements mettant en scène des nain·es (unanos), notamment au cinéma et à la télévision: catch, comédie, boxe, kung-fu...

Ainsi, l'acteur Weng Weng, aujourd'hui décédé, a été à une époque l'équivalent local d'un Jackie Chan. Mais nombreux sont les films et les feuilletons qui tournent les nain·es en ridicule, à l'image du «combat de boxe» auquel nous avons assisté à Manille.

C'est notamment pour cette raison que des activistes se mobilisent, entre autres au sein de la Little People Association of the Philippines (LPAP) et de Big Dreams for Little People Philippines (BDLPP).

«Autrefois, il était courant de se moquer des personnes de petite taille; les choses changent, même si ce type de contenus rapporte toujours de l'argent. Dans tous les programmes auxquels je participe, je m'assure que les gags ne reposent pas sur mon apparence physique. Nous aspirons à être traités comme des personnes normales. Voilà pourquoi on se bat», explique Miko Peñaloza, comédien et nain.

Celui qui a cofondé BDLPP n'est pas choqué en revanche par les spectacles tels que les combats de boxe pour nains. Il est vrai qu'aux Philippines, les opportunités professionnelles sont limitées pour les personnes naines, notamment en raison des discriminations à l'emploi.

«La boxe de nains, c'est juste de la boxe, reprend-il. Je ne pense pas que cela soit problématique. Je ne suis pas opposé à ce genre de spectacle, à condition qu'ils ne soient pas dégradants. Oui, nous nous battons pour nos droits, mais il ne faut pas être trop critiques non plus. Un endroit comme la Hobbit House a créé beaucoup d'emplois pour les personnes de petite taille. Malheureusement, elle a fermé. Le vrai problème aux Philippines, c'est qu'il n'y a pas d'égalité des chances.»

Exclusion du marché de l'emploi

Glorian Tomen, elle aussi cofondatrice de Big Dreams for Little People, n'est pas tout à fait d'accord concernant les spectacles. «À titre personnel, je suis contre. Je comprends que les opportunités professionnelles soient limitées dans notre pays, en particulier pour les personnes atteintes de nanisme, mais la solution n'est pas de tirer profit de nos différences. Je n'aime pas l'idée de la boxe ou de la lutte pour nains, ni qu'on tourne les personnes naines en ridicule dans les films ou les émissions de télévision», soutient-elle.

Par ailleurs, elle critique l'utilisation du terme péjoratif «midget» («nabot»). Elle envisage toutefois que des nain·es travaillant déjà dans le domaine du divertissement puissent exercer ce type d'activité.

Ce qu'elle déplore, c'est que des personnes de petite taille soient obligées de pratiquer la boxe ou le catch parce qu'elles n'ont pas d'autre moyen de gagner leur vie: aux Philippines, de nombreux emplois exigent toujours une taille minimum de 157 cm pour le personnel, excluant de fait les personnes naines.

Glorian Tomen indique que l'association BDLPP sert deux objectifs principaux: «Premièrement, obtenir un soutien économique. La plupart des personnes naines que j'ai rencontrées sont marginalisées. Elles n'ont pas forcément suivi de formation ou d'études, notamment parce que certaines ont été rejetées par leurs familles. Elles sont donc obligés d'accepter des emplois médiocres et mal rémunérés. Deuxièmement, [il faut] obtenir le soutien des institutions, des familles et du grand public [par la sensibilisation]. Peu de gens comprennent ce qu'est le nanisme, ce qui fait que nous sommes ridiculisés», analyse-t-elle.


Glorian Tomen (à gauche) et Miko Peñaloza (au centre) lors de l'assemblée générale de BDLPP. | Big Dreams for Little People Philippines

Miko et Glorian restent toutefois relativement optimistes, constatant des progrès au sein de la société philippine. Pour d'autres activistes, le futur passe par une solution plus radicale.

À l'image des séparatistes noir·es, qui souhaitaient créer une société distincte pour les Afro-Américain·es, une trentaine de nain·es ont formé en 2011 le projet de créer une «colonie» à proximité de Manille. Pour le moment, celui-ci n'a apparemment pas réuni les financements nécessaires. En attendant, ce soir à Manille, d'autres touristes s'esclafferont devant un combat de «boxe de nains».

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