Culture

Cette année encore, je n'ai pas décroché le prix Goncourt

Temps de lecture : 3 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] En toute logique, au regard de la qualité de mon dernier roman, j'aurais dû être l'heureux lauréat.

J'ignore pourquoi je suis ainsi ignoré. | ActuaLitté via Flickr
J'ignore pourquoi je suis ainsi ignoré. | ActuaLitté via Flickr

Décidément, quand ça veut pas, ça veut pas. Cette année, au regard de la très haute qualité de mon dernier roman, j'étais persuadé de décrocher le Goncourt. J'avais tout prévu: le peintre pour ravaler les murs, l'achat d'une nouvelle litière, l'acquisition d'un chalet en Suisse, un voyage en Laponie, une expédition en Tanzanie, un manteau de fourrure pour ma belle-mère, un iPhone 14, un tour du monde en hydravion, un abonnement à Télérama, un nouveau couscoussier pour ma fiancée.

Las, malgré l'évidence criante que parmi les 13.457 romans parus à la rentrée, le mien était de très loin le plus accompli, le jury du prix Goncourt n'a pas jugé bon de me décerner sa prestigieuse récompense.

Moi qui en rêvait nuit et jour. Moi qui n'avait eu de cesse de fréquenter le Café de Flore, les Deux Magots, le Select, afin de plaider ma cause auprès de gens extrêmement influents dans le monde de l'édition (les garçons de café). Moi qui avait même songé à franciser mon nom afin d'apparaître comme un pur produit de l'intelligence germanopratine (Marcel Sagalon). Quelle désillusion! Quelle déconfiture! M'en remettrai-je jamais un jour?

Pourtant, j'aurais dû m'en douter. Après tout, mes précédents romans, sans exception aucune, n'ont jamais figuré ne serait-ce que dans la toute première liste des innombrables prix littéraires qui régissent la vie éditoriale française, celle où on se contente d'entasser des titres sans se soucier de la qualité des œuvres. Rien. Pas même une vague mention, un lointain accessit, une place sur le banc des remplaçants.

À chaque nouveau roman, j'avais prié les puissances célestes de souffler mon nom à l'oreille des jurés; j'avais pris soin de leur dédicacer mes livres en une floraison d'adjectifs aussi laudateurs qu'élégiaques; j'avais loué leur génie, leur audace, leur parfaite respectabilité, leur totale intégrité.

Invariablement, l'été précédant la parution d'un roman, je passais à Lourdes et ne manquais jamais un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. J'écrivais de longues épîtres à chacun des membres des différents jurys, où j'exposais en des termes circonstanciés la raison pour laquelle je méritais de décrocher cette année la précieuse timbale.

Avec une délicatesse infinie, je vantais le génie de ma prose, la vigueur de mon style, la très grande tenue de mes romans. Parfois, au risque de passer pour un infâme corrupteur, je glissais à l'intérieur un bon de réduction pour l'achat exclusif d'une boîte de Wasa au seigle bio.

En vain.

Quand paraissait l'annonce de la première sélection, je tombais de haut –de très haut, même. Partout je cherchais mon nom et nulle part ne le trouvais. Comment était-ce possible?

Pour ne pas sombrer tout à fait, je me disais que c'était une erreur, une simple erreur: le secrétaire de l'Académie –cet idiot notoire– avait dû confondre mon nom avec l'un de mes collègues, il aura interverti deux titres; à coup sûr, j'apparaîtrai dans la prochaine liste. Elle était publiée. À nouveau, nulle part! C'était impossible.

Je passais des coups de fil à droite et à gauche; je laissais de longs messages sur les répondeurs de personnes dont je connaissais la proximité avec certains majordomes au service des membres du jury; j'activais mes nombreux réseaux –ma mère, les cousins de ma mère, toute la communauté des juifs tunisiens exilés au Canada–, au point de finir par agacer.

Lorsque le lauréat était annoncé, je m'effondrais. Je jurais de ne jamais plus écrire la moindre ligne et partais dans de longues expéditions aux fins fonds des pôles. J'oubliais tout: les lâchetés des journalistes, la pusillanimité de mes éditeurs, la couardise des jurys incapables de couronner une œuvre dont ma mère vantait le caractère unique: «Depuis Moïse, disait-elle, jamais l'esprit humain ne s'est élevé aussi haut.»

J'ignore pourquoi je suis ainsi méprisé. Ce doit être un malentendu. Quelqu'un m'aura diffamé auprès des jurés, mais qui? À part ma belle-mère, je ne me connais aucun ennemi et malgré toute la perfidie dont elle est parfois capable, je ne la vois pas se répandre en vilenies sur mon compte –surtout qu'elle est parfaitement illettrée et a, à ce titre, une très haute idée de mon œuvre littéraire. Qui alors? Quel esprit malfaisant œuvre à ma perte et m'empêche d'accéder à la gloire et à la reconnaissance qui me sont dues? Qui rend les jurés aveugles au point de m'ignorer livre après livre? Qui?

En attendant, je me console comme je peux. Je joue aux échecs avec mon chat et le laisse gagner. Je donne de l'argent à l'association des écrivains chauves et juifs. Je me passionne pour la culture du pois chiche. J'essaie de me divertir et tâche de me convaincre qu'il ne sert à rien de macérer dans mon amertume. De toutes les façons, je suis encore jeune, j'ai encore du temps pour rejoindre le panthéon des lettres hexagonales. Au pire, si les choses continuent à tourner mal, je finirai par créer mon propre prix littéraire et me décernerai année après année la récompense suprême.

Parce qu'un écrivain sans prix, c'est comme un couscous sans bouillon: une parfaite imposture.

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