Égalités / Société

Devinez qui pâtira le plus de la réforme de l'assurance-chômage

Temps de lecture : 3 min

Les Françaises sont plus pauvres que les Français, et la situation ne va pas aller en s'arrangeant.

En France, les femmes gagnent 25% de salaire de moins que les hommes. | Ibrahim Rifath via Unsplash
En France, les femmes gagnent 25% de salaire de moins que les hommes. | Ibrahim Rifath via Unsplash

Je ne sais pas combien de fois j'ai entendu des gens (hommes ou femmes) m'affirmer que les femmes, en France, n'avaient pas à se plaindre. Un argument à la mords-moi-l'ovaire qui ressemble grosso modo à: puisque c'est pire ailleurs, ça veut bien dire qu'ici, on est à égalité. (Oui, le degré de rigueur intellectuelle est à peu près celui-là.)

Pourtant, en France, il y a une vérité toute simple, étayée par tous les chiffres possibles: les femmes sont plus pauvres que les hommes. Les Françaises sont plus pauvres que les Français.

Par exemple, 70% des travailleurs pauvres sont des travailleuses pauvres.

À la retraite, les femmes touchent en moyenne 1.123 euros de pension brute, contre 1.933 euros pour les hommes. (Et si vous voulez chipoter avec les pensions de réversion, en les prenant en compte, elles touchent en moyenne 1.388 euros bruts.)

Travail gratis dès le 5 novembre

L'écart réel, global, des salaires entre les femmes et les hommes est de 25%. En France, les femmes gagnent 25% de salaire de moins que les hommes.

Vous me direz que c'est parce que souvent, elles ne travaillent pas à temps complet. C'est vrai. Alors si on prend en compte uniquement les temps complets, les femmes gagnent 15% de moins que les hommes. Du coup, cette année, les Françaises travailleront gratuitement à partir du 5 novembre à 16h47.

Même à poste, âge et niveau d'études égaux, les femmes gagnent 9% de moins que les hommes –ce qui est directement un effet du sexisme. Une femme, ça vaut moins qu'un homme: c'est ce que nous disent les données chiffrées de notre société.

Tous les ans, les Glorieuses mènent une campagne sur le sujet. Elles proposent trois mesures concrètes:

  • Transparence des salaires au sein des entreprises. Rebecca Amsellem appelle les hommes à communiquer d'eux-mêmes leur salaire à leurs collègues femmes, pour savoir si elles sont moins payées. Ils peuvent même ensuite appuyer leur demande d'augmentation.
  • Un certificat d'égalité obligatoire dans les entreprises. Pour l'instant, un index a été mis en place mais il n'est pas efficient. (Notamment, il ne tient compte que du salaire «pur» sans les primes.)
  • Un congé paternité obligatoire et allongé. Oui, je sais, c'est ma marotte, mon obsession, la mesure forte que je risque d'attendre toute ma vie. En l'occurrence, elle réduirait concrètement les inégalités salariales.

Malheureusement, on ne prend pas franchement le chemin d'une amélioration. Parce que, attention attention, voilà la réforme de l'assurance-chômage.

Toujours plus précaires

L'un des multiples inconvénients de la règle grammaticale du masculin qui l'emporte sur le féminin, c'est d'invisibiliser les femmes sur des sujets qui les concernent au premier chef.

Si on prenait la règle de la majorité, à chaque fois qu'on parle des travailleurs à temps partiel, on devrait écrire «les travailleuses à temps partiel», parce que plus de 80% de ces emplois sont occupés par des femmes. Or ce sont ces catégories qui vont le plus morfler dans la réforme de l'assurance-chômage.

En résumé: il va falloir travailler plus pour avoir droit aux allocations-chômage. Les femmes vont donc être un certain nombre à ne plus pouvoir y prétendre à cause de leur temps partiel.

Ensuite, le principe de «recharger ses droits» (quand on travaillait quelques jours, ça repoussait la fin des droits d'autant) va en gros disparaître.

Ça, c'est ce qui entre en vigueur dès le 1er novembre. Et à partir du 1er avril 2020, pour celles qui auront malgré tout réussi à suffisamment travailler pour obtenir des allocations, c'est leur montant qui va diminuer.

En l'état actuel des choses, on estime déjà qu'en moyenne, le montant des allocations des femmes sont inférieures de 20% à celles des hommes. Mais avec la réforme, «le calcul du salaire journalier de référence va bouger. Il sera établi sur une base mensuelle et non plus sur les jours travaillés. Les personnes qui ne sont pas à temps plein verront mécaniquement leurs indemnités réduites par rapport au système actuel».

Celles qui vont se retrouver encore plus pauvres et précarisées, ce sont donc les femmes qui travaillent à temps partiel et/ou en CDD, en général des femmes racisées, souvent des mères célibataires. Même les assistantes maternelles qui s'étaient mobilisées pour être entendues par la ministre du Travail vont être impactées.

Dans un souci de «et en même temps», le gouvernement insiste sur le système de bonus/malus qu'il va mettre en place pour sanctionner les entreprises qui abusent des CDD. Mais les secteurs concernés ne sont pas ceux dans lesquels les femmes travaillent majoritairement.

On sait que la répartition du travail par secteur est extrêmement genrée. Or les entreprises concernées par le bonus/malus sont celles de l'agro-alimentaire, de la publicité, de l'hébergement-restauration, de l'assainissement des eaux et de la gestion des déchets, du transport et de l'entreposage, de la fabrication de caoutchouc et de plastique, du travail du bois, de l'industrie du papier et de l'imprimerie.

Comme le dit Laurent Berger, qu'on ne peut pas soupçonner d'être irréductiblement d'extrême gauche, «c'est une des réformes les plus dures socialement qui s'est opérée ces vingt-cinq dernières années». Et les premières qui vont trinquer, ce sont les femmes.

Non seulement on est très loin de l'égalité salariale, mais les mesures actuelles risquent carrément de paupériser les femmes les plus précaires.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

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