Après avoir quitté la fac, Charlie a enchaîné les petits boulots mal payés et les allocations chômage. Dans le même temps, son coloc venait d'obtenir une promotion dans son secteur, la finance. Son salaire annuel était alors de 100.000 livres, soit la modique somme d'environ 115.000 euros par an. «Je savais qu'il gagnait beaucoup en faisant ce qu'il faisait, mais jusque-là, je ne savais pas que c'était autant d'argent», se souvient Charlie.
Nombreuses sont les occasions où l'on prend douloureusement conscience qu'on gagne moins que ses ami·es: après un dîner au moment de partager l'addition, alors qu'on a soigneusement choisi les plats les moins chers et fait l'impasse sur le dessert ou quand il est question de partir ensemble en vacances à l'étranger. Statistiquement, les millennials sont plus pauvres que les générations précédentes. Mais on continue d'associer réussite professionnelle et personnelle à un salaire élevé –même si le job qui rapporte est parfois ennuyeux ou douteux sur le plan éthique, voire les deux.
Ellen, 30 ans, estime que la moitié de ses ami·es gagnent des salaires à six chiffres et qu'une amie gagne cinq ou six fois son salaire. Elle admet qu'«il y a eu des problèmes», notamment lorsqu'elle devait partager l'addition d'un restaurant où l'une de ses amies avait consommé plus de plats et de boissons qu'elle. Mais en parlant ouvertement de sa situation financière, Ellen s'est rendue compte qu'elle n'était pas obligée de débourser plus qu'elle ne pouvait se le permettre. Ses ami·es payent pour elle lorsqu'une activité dépasse son budget.
La peste ou le choléra
Pour Calum, qui a décidé de reprendre les études pour faire un master de journalisme à Londres, les choses sont un peu différentes. Ses amis évoluent plutôt dans la tech et la finance. Pas simple quand il faut payer des tournées dans les bars, lorsque son porte-monnaie ne lui permet pas de prendre plus de deux verres. «Tout cela fait partie de la camaraderie entre mecs. Je veux en faire partie mais je n'en ai pas les moyens, alors l'un d'eux doit me payer à boire, mais ça me met mal à l'aise.» Si les amis de Calum ne lui ont pas tourné le dos pour autant, il remet ses choix en question et doute de lui-même.
Du côté d'Abdul, c'est tout l'inverse. Il a décidé de se concentrer sur sa carrière et occupe maintenant un emploi dans la finance qui lui permet de gagner 40.000 livres de plus que ses frères et sœurs et ses ami·es. Cela a provoqué des tensions, des disputes et de l'amertume. Maintenant, il hésite à parler de ses réussites de crainte de générer de la jalousie ou de l'envie. Sans compter qu'il se sent désormais en décalage avec sa bande: «Certains d'entre eux n'ont pas vraiment grandi et n'ont pas encore atteint l'âge adulte, alors quand on se voit, ils veulent tout le temps faire les mêmes choses.»
Résultat: plutôt que de choisir entre un métier stimulant mais peu rémunérateur ou un métier ennuyant mais qui rapporte, il faudrait surtout s'entourer d'ami·es qui n'ont pas d'oursins dans les poches.