Économie

La France a perdu ses ambitions industrielles

Temps de lecture : 5 min

Le déclin de l'industrie en France est notamment lié à la perte de vision stratégique et de volonté des dirigeants d'entreprises et de l'Etat.

Les différences macroéconomiques entre la France et l'Allemagne n'expliquent pas à elles seules le déclin de l'industrie française. L'absence de vision stratégique en France est un facteur majeur.

Il est légitime de s'interroger sur les raisons qui ont entraîné la désindustrialisation de la France, à laquelle Nicolas Sarkozy veut s'attaquer. En général, on se souvient davantage des grandes déclarations politiques sur le sujet que des réalités économiques. Alors, avançons quelques chiffres, et comparons-les à quelques ratios allemands.

Temps et coût du travail: match nul France-Allemagne

Evacuons d'abord le débat sur les 35 heures. D'abord, elles ne constituent pas un butoir infranchissable, et sont même franchies dans de multiples situations: la France avec 1.559 heures travaillées par an en moyenne n'est pas retard sur l'Allemagne (1.432 heures), rapporte l'Insee. Ensuite, leur introduction en 2000 a été accompagnée d'un gel des salaires dans les entreprises où la réduction du temps de travail était négociée, ce qui a permis d'abaisser les coûts horaires. D'autres charges sont venues alourdir le coût du travail, mais les exonérations se sont aussi multipliées. Retenons que, selon Eurostat, le coût mensuel de la main d'œuvre en France était de 3.883 euros en 2008 contre 3.892 euros en Allemagne, pour une moyenne de 3.495 euros dans l'Europe des 15.

Productivité meilleure, fiscalité moins bonne

Lorsqu'on se réfère à la productivité, on connaît les bons scores de la France: indice 115 contre 111 en Allemagne pour la productivité par heure travaillée en 2008; indice 124 en France contre 104 en Allemagne pour la productivité par personne occupée en 2009. Certes, il ne s'agit que de moyennes, mais elles ont tout de même un sens. Et le poids de la fiscalité? Le taux d'imposition sur le travail de 41,3% en France en 2007 est plus élevé qu'en Allemagne (39%) et beaucoup plus qu'en Grande Bretagne (26%), mais moins qu'en Italie (44%) et en Suède (43%).

Compétitivité contre emploi des seniors

Quant au système de retraite à 60 ans, ce n'est pas lui qui pèse sur les comptes des entreprises. L'important pour cesser toute activité avant 65 ans est le nombre de trimestres cotisés, car c'est lui qui détermine le taux de liquidation de la retraite. Actuellement, pour une liquidation à 100%, il faut avoir cotisé 161 trimestres. Lorsqu'on en totalise moins, on ne peut prétendre qu'à une liquidation partielle, même si l'on a dépassé les 60 ans. Encore faut-il pouvoir travailler jusque-là! On ne peut que souligner la situation très particulière de la France au regard de l'emploi des seniors: tandis que la moyenne européenne du taux d'emploi des salariés de 55 à 64 ans est de 45% dans l'Union à 15, elle tombe en France à 37%, loin derrière l'Allemagne (48%), le Royaume-Uni (57%), sans parler du Danemark (61%) selon les statistiques de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

Ainsi, le pays où les entreprises ont le plus recours aux licenciements des seniors pour améliorer la compétitivité du travail est la France, ce que l'on retrouve dans les ratios de productivité.

Un recul même en période de croissance économique

Compte tenu de l'ensemble de ces ratios et indices, pourquoi l'industrie a-t-elle reculé plus vite en France? Nicolas Sarkozy a rappelé quelques réalités. Alors que le secteur manufacturier représente 16% de la valeur ajoutée en France, la moyenne en Europe est bien à 22%, et même à 30% en Allemagne –près du double, a insisté le président. Que ne le découvre-t-on seulement! Car il n'y a pas toujours eu des crises et, malgré tout en période de croissance, l'industrie a reculé en France sans qu'on s'en préoccupe: rappelons qu'au cours de la dernière décennie, plus de 500.000 emplois ont été perdus dans l'industrie française qui ne fournit plus de travail qu'à 13% de la population active, contre 16% en 2000.

La réduction des coûts ne fait pas office de stratégie

L'analyse des résultats annuels des grandes entreprises n'est pas un indicateur suffisant de la santé d'une économie, la preuve. Des champions du CAC40 peuvent accumuler des bénéfices record sans que le recul de l'industrie française soit enrayé pour autant. Car une politique de réduction des coûts de saurait faire office de stratégie de long terme, de vision pour préparer l'avenir et entraîner ses partenaires. La feuille de route du gouvernement consiste à rétablir des filières, comme en Allemagne, nous dit-on.

Des logiques de filières éprouvées et malmenées

Les filières, en France, on connaît! Le plan calcul qui devait doter la France d'une industrie informatique a lamentablement échoué. Et la filière textile en Rhône-Alpes, dans les Nord et dans les Vosges, n'a pas survécu aux diverses délocalisations, d'abord dans les pays du Maghreb, ensuite en Asie.

En revanche, les filières dans l'aéronautique (avec Aérospatiale et Snecma en tête, aujourd'hui intégrés à EADS et Safran) et le nucléaire (avec la Cogema et Alsthom en chefs de file, qui ont donné naissance à Areva et Alstom) sont des héritages des années 1970 lorsque, sous la présidence de Georges Pompidou, la France s'est intéressée à son industrie. On peut aussi parler d'une filière dans les télécommunications, associant des industriels (Thomson devenu Thales, Matra fondu dans EADS, la Compagnie générale d'électricité qui deviendra Alcatel-Alsthom avant d'être scindée) à un opérateur de réseau et fournisseur de services, France Télécom. Ou dans l'espace, sous l'égide du Cnes.

Encore faut-il des entreprises pour animer ces filières! Or, lorsque des leaders comme Alcatel (devenu Alcatel-Lucent) perd les deux tiers de ses effectifs en France pour mieux se concentrer sur l'Asie, lorsque Renault développe ses productions hors de l'Hexagone, lorsque –dans la métallurgie– l'ancien Usinor est dissout dans le groupe ArcelorMittal dix ans après sa privatisation et Pechiney fondu dans le canadien Alcan puis dépecé huit ans après son retour au privé, ce sont des filières entières qui doivent être reconstruites.

Où sont les moteurs patronaux?

Pour y parvenir, encore faut-il que les entreprises épousent des choix stratégiques dont, depuis la fin des années 1990, elles se sont détournées. Il ne suffira pas de créer un livret d'épargne pour reconstruire l'édifice: après tout, les Codevi ont existé (avant d'être transformés en livret développement durable) pour soutenir les PMI, et n'ont rien empêché. C'est la volonté des dirigeants des grandes entreprises –les donneurs d'ordres, ceux qui passent des commandes aux sous-traitants– face à leurs actionnaires qui peut ou non relancer le fonctionnement de filières. Depuis que nombre d'entre eux se sont affranchis de la tutelle de l'Etat, ils n'en ont plus fait grand cas.

Dans les petites et moyennes entreprises, les dirigeants fustigent aujourd'hui les retours sur investissements à deux chiffres qui guidèrent les investisseurs au tournant du siècle, pesèrent sur les politiques d'approvisionnement et de production, et appauvrirent le tissu industriel français. D'autres stratégies permettent de respecter un certain équilibre: elles ont été mises en œuvre en Allemagne.

Gilles Bridier

À LIRE ÉGALEMENT: Sarkozy: les usines, c'est son truc, La France et l'Allemagne sur des trajectoires divergentes et L'inévitable déclin de l'industrie auto française ne doit surprendre personne.

Image de une: Une fonderie ArcelorMittal en République tchèque / REUTERS/Petr Josek

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