Monde / Économie

L'économie algérienne en panne sèche

Temps de lecture : 6 min

La prise de conscience tardive de l'inanité d'un modèle fondé exclusivement sur la rente pétrolière a plongé le pays dans une situation financière inquiétante.

Sur le site gazier d'Amenas, le 16 janvier 2018. | Ryad Kramdi / AFP
Sur le site gazier d'Amenas, le 16 janvier 2018. | Ryad Kramdi / AFP

C'est depuis la chute des cours du pétrole, à partir de juin 2014, puis la stabilisation du prix du baril autour de 60 dollars depuis cinq ans, que l'Algérie fait face à de sérieuses difficultés économiques et financières. Pour garantir les équilibres macroéconomiques et macroprudentiels, le pays a besoin de vendre son pétrole aux alentours de 110-120 dollars le baril.

Pour autant, il est difficile et même risqué socialement pour les autorités algériennes de comprimer les importations, que ce soit au titre de l'accord d'association avec l'Union européenne signé en 2002 (mais entré en vigueur pour la partie algérienne en septembre 2005), qui prévoit l'instauration d'une zone de libre-échange à l'horizon 2022, ou encore au titre de la médiocrité de l'offre locale de biens et de services, qui conduit le consommateur algérien, de plus en plus exigeant, à choisir les produits d'importation même s'ils sont plus chers.

Gâchis des plans quinquennaux

Pourtant, l'Algérie a été un pays béni des dieux. Entre 2002 et 2014, grâce à l'augmentation sans précédent du prix du pétrole, elle a pu engranger quelque 900 milliards de dollars.

Il y a certes eu un plan complémentaire de soutien à la croissance (2005-2009), un plan quinquennal (2010-2014) puis un second (2015-2019), mais aucun d'entre eux n'a fait l'objet d'une évaluation ex ante, a fortiori, ex post.

Parmi les réalisations, on compte:

  • des dizaines de milliers de logements (tous subventionnés, quelle que soit la formule d'achat, par l'État);
  • une autoroute est-ouest avec de nombreuses pénétrantes, dont on attend toujours les retombées sur le plan économique;
  • le métro d'Alger, qui ne dessert que quelques zones suburbaines et l'agglomération centrale;
  • la construction d'un tramway à Alger et dans certaines villes du pays;
  • des centrales électriques;
  • des usines de désalinisation de l'eau de mer.

Il faut savoir que l'ensemble de ces infrastructures et équipements collectifs, et bien d'autres de moindre importance, ont été financés sur concours définitifs et temporaires du budget de l'État, et que rares sont les projets qui ont été réalisés dans les règles de l'art et dans les délais.

Ils ont donné lieu à d'innombrables gaspillages et au versement de commissions colossales (parmi les plus élevées au monde) à des intermédiaires qui en ont rétrocédé l'essentiel à des personnalités politiques, aujourd'hui poursuivies par la justice algérienne.

Last but not least, les entreprises algériennes n'ont acquis aucun savoir-faire à l'occasion de ces projets, dont la conception et la mise en œuvre (de l'amont à l'aval) ont été l'apanage d'entreprises étrangères, notamment chinoises, sud-coréennes et turques.

Quant à la reconquête du marché intérieur par les entreprises algériennes, elle n'a pu s'effectuer à cause de l'absence d'une plateforme industrielle et l'échec patent de la mise à niveau des entreprises publiques comme privées, pourtant menée tambour battant depuis 2004.

Modèle rentier voué à l'échec

Désormais, les responsables algériens doivent d'une part se résigner à admettre que le prix du pétrole ne connaîtra pas, à vue humaine, une nouvelle envolée, et d'autre part, ils devront se préoccuper de l'incapacité de la société nationale de pétrole et de gaz (la Sonatrach) à faire des découvertes significatives de pétrole brut depuis 2008.

En ce qui concerne le gaz naturel, 42% de la production (la production totale a été de 78,5 Mtep en 2018) est transformée en énergie électrique pour satisfaire la demande locale –le réseau électrique couvre 98% d'un territoire presque cinq fois plus vaste que la France et le plus grand d'Afrique depuis 2011.

À distance mesurable, on peut s'étonner que le contre-choc pétrolier de 1986, qui a conduit les responsables algériens (qui s'y étaient refusés huit années durant) à conclure un accord d'ajustement structurel avec le FMI, lesté de conditionnalités draconiennes (du point de vue de son coût social), ne leur ait pas servi de leçon: à l'opposé, ils n'ont eu de cesse depuis 1999 que d'entretenir la population algérienne dans l'illusion que la rente pétrolière et gazière était inépuisable.

À la fin de l'année 2018, la situation financière de l'Algérie se tend, puisque déjà, en octobre 2017, le gouvernement avait décidé de recourir au financement non conventionnel (autrement dit à la planche à billets) pour couvrir les déficits abyssaux accumulés par les entreprises publiques (dont des entreprises dites stratégiques) que le Trésor avait invariablement pris en charge depuis les années 1970, en rachetant les dettes de ces entités économiques (intérêts et principal) aux banques prêteuses qui ont toujours été et sont encore des banques publiques (avec comme actionnaire unique l'État).

Les réserves de change sont tombées à 79,8 milliards de dollars au 31 décembre 2018 et représentent deux ans et demi d'importations, au rythme de 30 milliards de dollars d'achats de biens et services de toutes catégories par an.

Tensions politiques aggravantes

Survient alors la crise politique de février 2019. Un président de la République impotent depuis son AVC d'avril 2013 persiste à se représenter pour un cinquième mandat (il a été réélu quatre fois depuis 1999), alors que le pouvoir réel est exercé par des centres de décision informels actionnés par son frère cadet.

Le gouvernement, le Parlement, le Conseil constitutionnel et les autres institutions nationales de souveraineté sont progressivement dépossédées de leurs prérogatives.

Dans le même temps, une oligarchie qui s'est constituée à la faveur d'une économie de marché en trompe-l'œil acquiert des milliers d'hectares de terres agricoles, d'assiettes foncières, truste le commerce extérieur en s'adjugeant tous les créneaux d'importation.

Elle est aidée en cela par des banques, toutes publiques, qui lui accordent des méga-crédits sans exiger en contrepartie la fourniture de sûretés réelles ou personnelles, et a transféré en violation de la réglementation des changes quelque 40 milliards de dollars à l'étranger entre 2005 et 2019, à l'insu d'une Banque centrale (la Banque d'Algérie) très peu indépendante et ne disposant que de faibles capacités de supervision et de contrôle sur les banques commerciales de la place.

Chaque vendredi depuis le 22 février 2019, la population algérienne manifeste par millions de façon pacifique pour exiger le départ du régime et l'avènement d'un pouvoir exclusivement civil, considérant que l'élite dirigeante actuelle est partie prenante à toute la gestion des deux dernières décennies.

Le mouvement populaire, le Hirak, exige une période de transition pilotée par des personnalités consensuelles. Le chef d'état-major y oppose une cinglante fin de non-recevoir, arguant de la gravité de la situation économique, qui exige l'adoption sur-le-champ de réformes de structure, lesquelles ne peuvent être menées à bien que par un homme ou une femme élue au suffrage universel direct, dans les délais les plus brefs (le 1er tour de l'élection a été fixé au 12 décembre 2019) et dans des conditions de transparence incontestables.

Indispensable diversification

En réalité, depuis huit mois, c'est toute l'activité économique du pays qui est en panne. Quelque 3.200 entreprises, notamment dans le secteur du BTPH, ont dû fermer et licencier 265.000 salarié·es. Le montant des impayés a dépassé la somme de 15 milliards de dollars.

Le gouvernement doit aussi se pencher sur le sort des 100.000 employé·es des entreprises dont les patrons ont été incarcérés pour des délits financiers graves. La désignation d'administrateurs provisoires n'est qu'un palliatif, d'autant que ces entreprises, du fait de l'arrêt de leur activité, ne sont pas en mesure de réponde ni à la demande de la clientèle, ni à celle des fournisseurs, ni surtout à celle des banques qui ont commis la légèreté de leur accorder des prêts sans garantie.

Le projet de loi de finances pour 2020 ne peut être qu'un texte de circonstance. Parmi les pistes de sortie de crise qu'il promeut, on retiendra les suivantes: une plus grande ouverture de l'économie algérienne à travers la suppression de la règle obligeant le résident algérien à être majoritaire dans tout projet de partenariat avec un étranger, une amélioration du rendement de la fiscalité ordinaire appelée à supplanter la fiscalité pétrolière qui se rabougrit d'année en année, un développement des start-ups et de leur participation à la commande publique, une relance de la politique de grands travaux après une évaluation rigoureuse de leur impact sur la croissance et la création d'emplois.

Les années 2020-2025 seront très difficiles pour l'Algérie. Seul un règlement rapide de la crise politique permettrait de cultiver quelques espoirs en matière de reprise de l'activité économique, ce qui passe par la diversification de l'appareil de production, donc la rupture d'avec le modèle rentier, responsable de la stagnation du pays dans tous les domaines.

Newsletters

Le combat des mères ukrainiennes pour retrouver leurs enfants déportés par la Russie

Le combat des mères ukrainiennes pour retrouver leurs enfants déportés par la Russie

Cinq livres précieux pour ne jamais laisser s'évanouir la mémoire de la Shoah

Cinq livres précieux pour ne jamais laisser s'évanouir la mémoire de la Shoah

«Un album d'Auschwitz», «Le Pacte antisémite», «La Mort en échec», «Une vie heureuse» et «Après la déportation» sont autant de témoignages et de travaux d'historiens puissants rappelant l'horreur du génocide juif et les marques qu'il a laissées.

Au Japon, les bars à animaux n'épargnent pas les espèces menacées

Au Japon, les bars à animaux n'épargnent pas les espèces menacées

Faire un selfie ou un câlin avec son animal favori n'est pas sans conséquences.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio