Life

Des étoiles au milieu des montagnes

Temps de lecture : 5 min

Le guide Michelin récompense cette année le restaurant de Gilles Goujon, niché au sein des Corbières.

Le Michelin 2010

, 1.870 pages et la France en 46 cartes, 24 euros.

Un unique «trois étoiles» dans l'Aude: l'Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse. Dix «deux étoiles», dont un seul à Paris. Quarante-sept «première étoile». Le palmarès présenté par l'état-major du guide Michelin recense 3.453 enseignes gourmandes, 4.104 hôtels et 515 maisons d'hôtes sans faire de vague. Pour la bible centenaire à couverture rouge, il s'agit de préserver une sorte de statu quo, compte tenu de la récession économique et de la fréquentation en dents-de-scie dans la France profonde.G

A Paris, la saisonnalité, la répétition des longs week-ends et des petites vacances (en mai) provoquent de graves chutes du chiffre d'affaires, moins 20 à 30% pour des tables étoilées. Seuls les fast-food et les bistrots à soupes, quiches et tartes tiennent le coup. Pour le Michelin, pas question d'ajouter au marasme par des sanctions, des déclassements mal venus: le seul «trois étoiles» supprimé (sur vingt-six) est le beau restaurant de Marc Veyrat près d'Annecy, qui est fermé. Le Guide sélectionne, recommande, découvre des adresses, mais n'accable pas la profession. Côté deux étoiles (77 en France, le vivier du guide), le Château des Crayères à Reims (dont le nouveau chef Philippe Mille vient d'arriver en poste) et les Ambassadeurs à l'Hôtel du Crillon (dont le chef Jean-François Piège est parti chez Thoumieux à Paris) sont rétrogradés, ce qui reste dans la norme du Guide. Ce sont les chefs qui sont visés, pas les lieux.

Un trésor au milieu du désert

Sur la plus haute marche du podium, le rond Gilles Goujon, déjà Meilleur Ouvrier de France en 1997, est un véritable miraculé de la haute cuisine (visitée pour Slate en octobre 2009). Cet ancien bras droit du grand Roger Vergé au Moulin de Mougins, son maître à cuire et à assaisonner, a cherché, au début des années 1990, un restaurant en faillite et c'est cette Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse dans les Corbières qui lui a tapé dans l'œil pour la beauté sauvage du lieu, riche d'histoire très ancienne. Pas d'argent, mais des talents à revendre et une maîtrise des produits, un savoir-faire, une connaissance profonde des recettes classiques, Gilles Goujon a la cuisine au bout des doigts. Du courage, de l'obstination, il lui en a fallu dans ce village de 136 habitants, à 28 kilomètres de Narbonne –un désert gastronomique. Que de fois, le gaillard et Marie-Christine, son épouse, ont dû jeter à la poubelle les achats du marché, homard, agneau, gibiers, champignons –il n'y a pas pire punition pour un chef de cuisine respectueux de la matière première: que de larmes et d'abattement!

Avec le temps, l'acharnement et l'appui de Michel Guérard et d'André Parra (l'Einstein du boudin noir), Goujon va réussir à se forger un public de connaisseurs qui acceptent de faire le voyage jusqu'à ce trou perdu au milieu des Corbières. Avec les deux étoiles en 2001, Goujon entrevoit la possibilité d'atteindre le sommet, il redouble de créativité, s'entoure d'une brigade qui en veut, construit un petit hôtel adjacent, une piscine, et il est admis dans la chaîne des Hôtels Châteaux d'Alain Ducasse –en vingt-sept années au fourneau, le maître du Vieux Puits aura rejoint l'élite des cuisiniers français. C'est l'honneur du Michelin d'avoir découvert, suivi, encouragé de tels maîtres-queux isolés, loin de tout, qui ne vivent que pour le régal des papilles de leurs hôtes. Aller à Fontjoncouse est la même démarche que d'accomplir le périlleux voyage chez Michel et Sébastien Bras à Laguiole (Aveyron) et Régis Marcon à Saint Bonnet le Froid (Haute-Loire). Des adresses magnifiques qui se méritent. Dieu que les voyageurs seront récompensés par d'admirables spécialités comme l'œuf de poule «pourri» de truffes noires, le rouget barbet à la brandade, la poitrine de pigeonneau farcie et des préparations de gibier comme on en voit trop peu en France. Prix amicaux.

Les surprises

Au chapitre des surprises, des incongruités dont le Michelin est coutumier, signalons les deux étoiles directes (sans arrêt à une seule) de Yannick Alleno au Cheval Blanc, le mini palace de Bernard Arnaud à Courchevel, et de Pierre Gagnaire aux Airelles dans cette station d'hyper luxe. Qui dira que le Guide rouge ne soigne pas ses stars? Toujours en montagne, Jean Sulpice accède à la seconde, très méritée, à l'Oxalys, la meilleure table de Val-Thorens en Savoie. Au Castelet dans le Var, Christophe Bacquié, M.O.F., retrouve la seconde étoile gagnée à la belle Villa de Calvi et Christophe Pelé, ancien chef du Jardin au Royal Monceau, gagne la seconde à la Bigarrade, 106 rue Nolet à Paris (75017). En Bretagne, peu célébrée par le Michelin, à la Plaine-sur-Mer en Loire-Atlantique, Anne de Bretagne, du couple Vétélé, lui en cuisine, elle à la sommellerie, obtient la seconde étoile, tout comme Olivier Bellin à l'Auberge des Glazicks à Plomodiern, face à la baie de Douarnenez (Finistère). Même promotion dans le Calvados pour le Sa.Qua.Na –pour SAveurs QUAlité NAture– du chef créateur Alexandre Bourdas, ancien de chez Bras. Sur la Côte d'Azur, Arnaud Donckele à la Résidence de la Pinède sur la plage de Saint-Tropez (Var) et le Château Saint-Martin et SPA sur la colline de Vence (Alpes-Maritimes) intègrent le cénacle des deux étoiles, la dernière marche avant la consécration.

La curieuse rétrogradation d'Hélène Darroze

Au rayon des déceptions, la Grande Cascade au Bois de Boulogne reste clouée à la première étoile en dépit des prouesses superbes de Frédéric Robert, ancien chez de Lucas Carton –le cas typique de l'aveuglement des inspecteurs du Michelin. Chez Prunier, avenue Victor Hugo (75016), en dépit des plats au caviar et aux truffes du chef Éric Coisel –le luxe gastronomique pour le Michelin– pas de décollage, tout comme au Citrus Étoile, rue Arsène Houssaye (75008) où Gilles Epié, sacré Meilleur Chef des Etats-Unis. dans les années 1990, reste sans étoile (deux fourchettes seulement): une sorte de scandale –remarquable menu à 49 euros– nous en reparlerons.

Autre surprise, la perte de la seconde étoile d'Hélène Darroze, rue d'Assas. La blonde landaise est sanctionnée pour avoir repris les fourneaux du Connaught à Londres. Sa double vie au piano ne plaît pas au Michelin. Que dire de Joël Robuchon, à la tête de douze tables sur la planète, de Pierre Gagnaire qui en pilote huit, et, record mondial, d'Alain Ducasse, chef concepteur de vingt-cinq hôtels et restaurants: ces stars des casseroles accumulent les étoiles où qu'ils soient, ou plutôt sans y être. Le Guide rouge misogyne?

Nicolas de Rabaudy

Image de une: Spoon Mirror / Francis Bourgouin via FlickrCC

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