«À la recherche d'un contact chez Facebook. C'est important. RT appréciés.» C'est le message que Nicolas* poste sur Twitter au moins une fois par jour en mai 2017. Voyant sa demande désespérée se répéter inlassablement, ses followers font des pieds et des mains pour l'aider. «Un matin en me connectant sur Facebook au travail, j'ai vu qu'il ne m'était plus possible d'accéder à mon compte, raconte-t-il. J'ai regardé mes mails et j'ai lu que je ne pouvais plus récupérer mon accès.»
Problème: Nicolas, 27 ans, est en charge des réseaux sociaux pour une grosse agence de pub parisienne. Il est dépendant de Facebook pour bosser. «Banni», comme écrit en lettres de feu sur son front. Son combat avec le réseau social ressemble à une tragédie shakespearienne.
«J'avais posté à plusieurs reprises certains types de contenus genre des scènes de MTV Cribs, des scènes drôles qu'on retrouve sur Twitter mélangeant humour et musique mais qui étaient soumises aux droits d'auteur.» Il ne s'en inquiète pas, les pages certifiées postant le même contenu pullulent. Les avertissements tombent les uns après et les autres et Nicolas finit par arrêter.
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Jusqu'à ce jour de mai, donc, où il reçoit un signalement pour du contenu posté trois ans auparavant. «C'était le signalement de trop, Facebook a définitivement bloqué mon compte», conclut Nicolas. À partir de ce moment, il comprend que la machine dépasse l'homme: «La décision de bannir est quasiment irrévocable. Le problème est qu'il n'y a pas de vrai suivi sur Facebook et que la plupart des choses sont automatisées: c'est comme si on parlait à un mur.»
Il remplit la procédure officielle pour récupérer son compte, sans succès, il reçoit à chaque fois «une réponse robotisée». Pour continuer à utiliser la plateforme après un renvoi définitif, il n'existe aucune autre solution que d'employer des ruses de Sioux. C'est ce qu'a fini par faire Nicolas. À force d'acharnement, il réussit à créer un nouveau compte avec un mail différent, «en persévérant un peu». Même en tirant ses ficelles professionnelles, Nicolas n'a jamais pu avoir un contact direct chez Facebook «et je pense que personne m'aurait aidé».
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Algorithme et délation
Comme le voulait Mark Zuckerberg, Facebook est devenu une microsociété assez représentative de la nôtre. Si sur Twitter, les débats vont bon train et qu'il est difficile de passer une journée sans s'embrouiller avec ses pairs, sur Facebook le régime est plus autoritaire. Rien ne doit entacher un feed bon enfant et, entre deux likes pour des photos de bébé sur le pot, la délation est devenu un sport olympique.
Un lundi matin, Julien emmène son plus jeune fils jouer au parc Porte de Bagnolet à Paris. Ils sont tout seuls, ça le fait un peu marrer, il prend une photo de loin de dos pour éviter que son gosse se retrouve exposé sur les réseaux sociaux. Il la poste sur Facebook avec la légende «Premier jour du ramadan au parc Porte de Bagnolet: c'est vachement calme». «Le sous-texte étant: c'est calme littéralement, mon fils n'a personne avec qui jouer», explique Julien.
Grosse erreur. Julien, qui bosse dans la traduction de comics, avait accepté plusieurs inconnus en amis sur Facebook les mois précédents «pour le boulot». «Un type qui lisait mes BD et faisait le ramadan m'a traité d'islamophobe sur ma page, continue-t-il, ça a dû apparaître dans son feed, j'ai dû être signalé et donc bloqué.» Julien ne s'en inquiète pas plus que ça mais comprend que la situation s'envenime quand, banni de Facebook il se rend sur Twitter.
«Je sais que Facebook est très tatillon sur la nudité donc je fais gaffe.»
«Le gars avait posté une capture d'écran de mon statut en mentionnant mes patrons: “Est-ce que vous cautionnez les prises de position de vos employés?”.» Le duel se finit sur Twitter, les collègues de Julien prennent sa défense, Facebook accepte son explication et l'accepte de nouveau. Tout est bien qui finit bien.
Ce n'est pas le cas de Marco qui aime bien partager des photos des expos qu'il va voir. En revenant de celle de Ren Hang, un photographe chinois qui travaille sur le nu, il poste une sélection de ses quelques œuvres préférées. «Je sais que Facebook est très tatillon sur la nudité donc je fais gaffe, mais moins de douze heures heures après, je reçois une notification qui m'explique que deux des photos ne respectent pas les conditions d'utilisation, se souvient-il. Je m'en suis aperçu lorsque j'ai reçu un autre message de Facebook le lendemain qui m'expliquait qu'un de mes “amis” avait demandé l'examen de deux photos. Il s'agissait d'une ancienne élève de mon école, une fille à qui j'avais dû parler trois fois dans ma vie.» Il plaide sa cause et celle de l'art mais rien à faire, Facebook ne déroge pas, Marco doit purger sa peine comme tout le monde.
Pour Loïc, impossible de savoir qui est à l'origine de son recalage en règle. Reste que poster la sulfureuse une des Inrocks avec Sasha Grey tétons dehors lui a valu d'être banni. «On m'a vite évoqué le fameux robot qui est censé repérer les tétons féminins et te réprimer automatiquement pour ce contenu indésirable. D'autres m'ont dit que cela pouvait très bien être l'effet d'une délation.» Il n'en saura pas plus mais, fait étrange, cette publication s'est faite dans un groupe fermé.
Demi-punition mais punition quand même
Il n'y a pas de punition trop douce sur Facebook. Que ce soit pour quelques heures, pour plusieurs jours ou pour toujours, un rejet reste un rejet. Pour quelques poils pubiens, Marco a été banni quatre jours. Quand, par défiance, il a republié les photos interdites, Facebook s'en est aperçu immédiatement et la punition s'est étendue à sept jours.
Anaïs s'est quant à elle retrouvée dans une impasse avec le réseau social. Après avoir été bannie et sans avoir pu remplir le fameux formulaire, elle a dû attester de son identité en fournissant une copie de ses papiers à la plateforme. En 2017, elle avait reçu plusieurs avertissements concernant sa photo de profil et ses informations personnelles.
«Ce n'est qu'un an ou deux plus tard que j'ai compris d'où venait le problème.»
On lui ordonnait de supprimer un post sous peine d'être bannie. Mais supprimer quoi? Elle ne voyait pas ce qu'elle avait pu publier de problématique. Elle est bannie un jour, puis une semaine, puis un mois...
«À peine mon compte récupéré, je publie un statut pour me plaindre et hop, un nouvel avertissement en me disant que ça serait le ban définitif si ça continuait. Tout ça pour un post inexistant», se rappelle-t-elle. Flippée, elle a fini par se créer un deuxième compte. «Ce n'est qu'un an ou deux plus tard que j'ai compris d'où venait le problème: dans mes infos personnelles, il y avait l'URL de mon site photo sur lequel je publie du nu. Il n'y avait même pas d'aperçu mais Facebook avait détecté que ça menait à du contenu dit sensible. Juste ça. Tout ça pour ça.»
Syndrome de Stockholm
À Tel-Aviv, en Israël, un homme règne sur Facebook. Il s'appelle Jonny et il est l'administrateur de Secret Tel Aviv, un groupe qui rassemble plus de 250.000 personnes, soit la moitié des habitants de la ville. Secret Tel Aviv est un Facebook dans Facebook et aide les utilisateurs au quotidien. On peut y trouver de l'aide administrative, un appartement, un boulot ou un date, vendre ses meubles, faire de la pub pour une soirée, débattre sur des sujets brûlants... et se faire jeter selon le bon vouloir de Jonny.
Jusqu'à récemment, ces exclusions étaient fréquentes mais plutôt discrètes. Désormais Jonny, grand manitou, bannit à tour de bras. C'est le cas de Michelle, une Chicagoane vivant désormais à Tel-Aviv. Jeune métisse adoptée par une famille blanche, elle poste sur le groupe un débat autour du blackface. La réponse ne tarde pas, l'administrateur lui envoie un message privé pour lui demander d'arrêter et la voilà éjectée.
Même cas de figure pour Marianne qui a voulu ouvrir un débat sur le sexisme en Israël. Et ce genre de cas semble se multiplier. Ça peut sembler ridicule vu de loin mais Secret Tel Aviv est un outil indispensable aux expatrié·es qui essaient de s'intégrer, et aux locaux ayant un business à promouvoir. Littéralement TOUT LE MONDE est sur ce groupe. S'en faire bannir est l'équivalent de se faire raccompagner aux portes de la ville. Membre de ce groupe, j'ai moi-même fait profil bas pour ne pas me faire jeter cas j'avais besoin de ce groupe pour, entre autres, vendre mes meubles.
Has-been
Facebook est désormais considéré comme un réseau social has-been à en croire Médiamétrie en 2018. Les 15-24 ans n'y passent que 9 minutes par jour contre 12 sur Snapchat et 18 sur YouTube. Alors pourquoi vouloir y retourner à tout prix?
En 2016, dans Psychologies, la chercheuse au CNRS Fanny George constatait que le réseau rassure et favorise le sentiment d'être intégré·e socialement. Dès lors, se faire jeter de Facebook reviendrait à être mis·e au ban de la société. Marco confie avoir ressenti un sentiment d'injustice après avoir été banni: «Tu te dis qu'il y a des publications racistes, sexistes mais que personne ne dit rien. Alors que dès qu'il y a de la nudité, tu es taxé de pornographie.»
Tous jetés mais tous pressés d'y retourner... Facebook a réussi à nous rendre dépendants malgré un design laid et daté –sans compter que nos données sont revendues au plus offrant. Nous sommes dans un cas d'école de syndrome de Stockholm: complètement accros à quelque chose qui nous fait du mal.
Julien comme Nicolas utilisent désormais le réseau à des fins professionnelles –«Je ne poste jamais», assure ce dernier. Anaïs y reste car elle aime «l'aspect pratique», pour pouvoir recevoir et partager ses événements. Marco est plus définitif: «À terme, je finirai par lâcher Facebook.» Mais pas pour l'instant. Pour le moment, nous sommes encore tou·tes de petites marionnettes dans les mains expertes de Zuckerberg.
* Certains prénoms ont été changés à la demande des concerné·es.