Comme beaucoup d'actualités en rapport avec Gordon Brown, une des dernières repose sur des éléments sans grand intérêt. Dimanche 21 février, l'hebdomadaire The Observer publiait un extrait du livre de l'éditorialiste Andrew Rawnsley The End of The Party sur le mandat du Parti travailliste britannique depuis 2001 (à partir du 2d mandat de Tony Blair, NDLE). 8.000 mots compilant des épisodes connus de l'histoire récente, notamment l'incapacité de Gordon Brown à se décider concernant la tenue d'une élection anticipée en 2007 et son rapprochement avec son rival de longue date, Lord Peter Mandelson.
Cet autre article était moins inintéressant. Voici l'accroche: «Les colères et sautes d'humeur, véritables éruptions volcaniques, de Gordon Brown ont tellement terrifié les responsables de Downing Street qu'il a reçu une admonestation sans précédent de la part du secrétaire général du gouvernement.» Selon le journaliste, «Sir Gus O'Donnell, le chef du Service civil [fonctionnaire de haut rang rattaché à aucun parti] s'est tellement alarmé du comportement du Premier ministre qu'il a engagé ses propres recherches après avoir reçu des plaintes selon lesquelles Gordon Brown intimidait le personnel [du bureau]».
Le Premier ministre et ses alliés (et Sir Gus) ont démenti ces allégations. Son ancien adversaire, Lord Mandelson, a expliqué à la presse: «Je ne crois pas que [Brown] rudoie les gens, mais il est très exigeant envers les autres, car il l'est envers lui-même.»
Au fond, on n'apprend pas grand-chose dans le portait de Gordon Brown brossé par Rawnsley. Comme le journaliste du Guardian Michael White le dit dans un podcast en date du 23 février: «Il suffit de regarder Gordon Brown pour s'apercevoir que ce n'est pas un petit rayon de soleil.»
Cette affaire aurait pu s'arrêter là s'il n'y avait pas eu Christine Pratt. Ce qu'elle a fait a gonflé le scandale. Et peut-être servi la cause des travaillistes moins de trois mois avant les élections législatives dont les résultats sont curieusement difficiles à anticiper. Elle a provoqué un consensus quasiment sans précédent chez les commentateurs de l'ensemble du spectre politique: les Britanniques, disent-ils, doivent s'endurcir et cesser de se plaindre.
Le 10 Downing Street pas fait pour les «gens émotionnellement fragiles»
Christine Pratt a fondé une association, la National Bullying Helpline [service d'assistance aux victimes d'intimidations]. Elle a contacté la BBC après avoir pris connaissance des cas d'intimidations et a affirmé: «Ces derniers mois, nous avons été sollicités à plusieurs reprises par des collaborateurs du Premier ministre Gordon Brown. Certains ont téléchargé des documents, d'autres nous ont appelé directement; j'ai moi-même parlé à des responsables travaillant dans le bureau [de Gordon Brown]». Et de poursuivre: «Nous n'insinuons pas que Gordon Brown malmène les gens. Nous disons seulement que des personnes qui collaborent directement avec lui sont préoccupées et inquiètes, et qu'elles ont contacté notre service.»
Les dires de Christine Pratt ont produit un double effet: elle a été attaquée pour avoir violé la confidentialité des appels. Au moins trois responsables politiques très en vue, y compris un député conservateur qui ne mâche pas ses mots, s'en sont virulemment pris à ce service d'assistance estimant qu'il avait commis une bévue. Même les médias les plus hostiles au Premier ministre se sont précipités pour défendre à l'unisson Gordon Brown contre tous ces cancans.
Comme l'explique Libby Purves dans le Times (dirigé par Rupert Murdoch), «la moindre désapprobation de Gordon Brown qui retentit autour de Downing Street tel le cri d'un monstre est désormais éclipsée par un dégoût vis-à-vis des gens gentils et bien comme il faut de l'industrie des défenseurs de victimes». Elle poursuit, indignée: «On est à Downing Street, le centre d'un gouvernement en proie à la récession, au terrorisme, à la guerre et à la guerre aux élections. Ce n'est pas un lieu paisible pour gens émotionnellement fragiles.»
Les vrais enjeux absents du débat
Dans le très conservateur Daily Mail, A.N. Wilson dit aussi: «Vous pouvez toujours trouver qu'il est nul comme Premier ministre. Mais, quoi qu'il en soit, la mauvaise humeur de Brown n'est pas une raison valable pour le discréditer, pas plus que le fait d'être borgne ou d'avoir un accent écossais.»
Bien sûr, c'est en vue des prochaines élections qu'on s'attache à la personnalité de Brown, et à celle de ses principaux rivaux politiques, le chef du Parti conservateur David Cameron et, dans une moindre mesure, le libéral-démocrate Nick Clegg. Les législatives britanniques devraient avoir lieu le 6 mai. Les derniers sondages révèlent un recul des conservateurs. Par ailleurs, la plupart des commentateurs prévoient désormais un parlement sans majorité. Aucun des partis ne veut s'attarder sur les problèmes –en particulier le plus épineux, les dépenses publiques et la réduction des coûteux programmes sociaux. Cela convient donc à tout le monde qu'on se focalise sur l'aspect personnel.
Ces dernières semaines, Brown, connu pour son caractère renfermé, voire renfrogné, a tout de même accordé plusieurs entretiens publics. Dans une interview télévisée réalisée par le journaliste Piers Morgan et transmise le jour de la Saint-Valentin, il a évoqué la demande en mariage qu'il avait faite à sa femme et a pleuré lorsqu'il a parlé de son bébé, Jennifer, décédée 10 jours après sa naissance. Il a également confié ses inquiétudes à propos de son fils Fraser, qui souffre de mucoviscidose. Il a reconnu qu'il se mett[ait] parfois en colère, mais a démenti avoir frappé qui que ce soit de sa vie.
Le vrai Brown
Le manque de charisme de Gordon Brown peut difficilement être vu une force. C'est peut-être mieux pour un responsable politique d'être considéré comme un «fouteur de merde» que comme un incapable. Ces trois dernières années, Gordon Brown a survécu à trois coups politiques dans lesquels des subordonnés ont tenté de le chasser de la plus haute place du Parti travailliste. En novembre, il s'est fait sermonner au téléphone pendant 13 minutes par une mère endeuillée (dont le fils soldat est mort en Afghanistan) à cause d'une lettre de condoléance bâclée. Cette histoire a ensuite été reprise par le Sun. En outre, le locataire du 10 Downing Street est maintenant le super-héros d'une animation 3D du quotidien taïwanais Apple Daily, où il apparaît déchaîné contre tout.
Personne n'aime ou ne veut élire une brute. Cependant, être considéré comme un homme politique sérieux, véritablement engagé dans son travail au point de se mettre en colère, ne devrait pas nuire à l'image de Gordon Brown. Comme le souligne un article du site web de l'Observer (en référence à l'affirmation d'Andrew Rawnsley selon laquelle Brown «plante souvent son stylo noir dans le dossier d'une chaise» quand il est en colère), «s'il était honnête et agissait de la sorte en public, il ferait fureur aux élections. En affichant moins de sourires hypocrites, et en plantant davantage de stylos-bille».
June Thomas
Traduit par Micha Cziffra
Image de une: Gordon Brown en mars 2009. Kieran Doherty / Reuters