Hasard ou fatalité? Après la ménopause les femmes ne peuvent plus donner la vie; les hommes, eux, peuvent être pères de la puberté à leur mort. Du moins en théorie. L'affaire est connue. Que faut-il en penser? Simple évidence biologique propre à toutes les espèces de mammifères? Insupportable inégalité, comme les féministes les plus radicales le pensent?
Que nous disent, ici, la biologie et la médecine? Depuis plus d'une décennie les féministes extrémistes peuvent nourrir quelques espérances. Quelques praticiens de l'assistance médicale à la procréation (AMP) se sont autorisés à franchir la barrière physiologique. Ils permettent à des femmes en âge d'être grand-mères de (re)devenir mère. Et ils le font savoir. C'est notamment le cas du Dr Severino Antinori, gynécologue-obstétricien romain; sulfureuse réputation et large clientèle.
Hommes et femmes ne sont pas égaux
Côté mâle, des spécialistes continuent à mener l'enquête: existe-t-il un équivalent de la ménopause? Pour l'heure, c'est une entité bien diffuse d'ores et déjà baptisé andropause. Féministes ou pas, il faut ici savoir raison garder: des inégalités physiologiques majeures existent bel et bien entre les deux sexes. Chez l'homme, avec l'âge, la production des hormones sexuelles tend certes à plus ou moins diminuer avec, corollaire, celle du nombre et de la qualité des spermatozoïdes; Viagra ou pas. Pour autant ce phénomène n'est en rien comparable à ce qui se passe immanquablement chez la femme où (toujours du fait de la décrue hormonale) la fonction ovarienne (et la production d'ovocyte) s'interrompt de manière irréversible; généralement entre 50 et 60 ans.
Jadis, c'est-à-dire bien avant l'émergence des courants féministes et le développement des techniques de l'AMP, personne ne trouvait à redire à tout cela. La situation était ce qu'elle était: «naturelle», nullement «déséquilibrée». Il n'en va plus de même aujourd'hui: les perspectives ouvertes par ces techniques suscitent un embarras certain tant chez le législateur que chez les professionnels.
Résumons: il est possible de conserver (durant des années et des décennies) des embryons conçus par fécondation in vitro mais aussi des spermatozoïdes et même des ovocytes. Pourquoi, dès lors, ne pas permettre à des femmes fécondes qui le souhaitent d'accoucher après la ménopause? Il suffit, pour cela, d'un peu d'imagination: reconstituer en leur sein un climat hormonal propice à la gestation. Pourtant, à la différence du Dr Antinori, la plupart des spécialistes de l'AMP se refusent à de telles pratiques. Le respect d'une physiologie séculaire et la crainte des risques obstétricaux alors encourus par la femme et l'enfant à naître.
Quid de «l'âge de procréer»?
En France, la question ne se pose guère. Elle est tranchée par un texte officiel: depuis 1994, le dispositif législatif de bioéthique prévoit que les techniques de traitement de la stérilité ne peuvent être mises en œuvre que chez des «couples» et qui plus est dans un cadre très précis: «L'homme et la femme formant un couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins 2 ans.» L'AMP ne peut d'autre part avoir que deux objectifs: traiter l'infertilité (masculine ou féminine, mais médicalement établie) de ce couple ou prévenir le risque de transmission d'une maladie particulièrement grave. Pas d'AMP, donc, pour convenance personnelle. Pas d'AMP pour les couples homosexuels et les célibataires.
Certes, mais quid de «l'âge de procréer»? Le législateur n'en dit pas plus, ne renvoie à aucun décret, à aucune circulaire. Comprenne qui pourra. Il semble que ce même législateur s'en remet de facto à un solide bon sens assez largement partagé: ne pas permettre aux femmes de plus de 55 ou 60 ans ayant recours à l'AMP de devenir mère. Mais aussi laisser les hommes pouvoir user des libertés que leur confère la biologie de notre espèce? Ainsi donc rien, en France, n'interdit à un couple «hypofertile» constitué d'une femme de vingt ans et d'un homme quatre fois plus âgé qu'elle d'avoir accès à ces techniques de reproduction artificielle (par ailleurs totalement prises en charge par la collectivité).
Interdire ce que permet la biologie?
Rien ne l'interdit, mais en pratique? Un récent questionnaire adressé à 600 spécialistes (gynécologues et biologistes de la reproduction) français a révélé que près de 90% des praticiens souhaitent bien une limite à la prise en charge de la femme en infertilité (avec une limite moyenne de «42-58 ans»). Mais, et c'est une surprise de taille, 80% des praticiens français seraient désormais favorables à une limite d'âge pour l'homme; et cet âge limite moyen est de 53,19 ans. D'ailleurs le bilan d'application de la loi de bioéthique fait état d'un âge limite moyen de 60 ans dans la majorité des centres d'AMP. Tout s'est donc passé comme si les spécialistes avaient pris conscience de leurs responsabilités dans ce domaine et avaient, de leur propre chef pris la liberté d'interpréter la loi. De quel droit? Pourquoi interdire à un homme de plus de 60 ans ayant recours à l'AMP (et qui, une fois sur deux n'est pas stérile) ce que la biologie lui permettrait par ailleurs?
De ce point de vue, il est intéressant d'analyser les arguments invoqués contre les paternités tardives; arguments qui dépassent bien évidemment le cadre du traitement de la stérilité pour concerner tous les hommes souhaitant donner la vie à l'âge de la retraite. Ces arguments viennent d'être résumés par le Dr Joëlle Belaisch-Allart (service de gynécologie et médecine de la reproduction, centre hospitalier des 4 Villes, site de Sèvres) dans le dernier numéro de la Revue du Praticien Médecine Générale.
«Si de nombreux articles sont consacrés aux effets délétères du désir tardif d'enfant chez la femme et à ses conséquences néfastes sur leur fécondité, leur santé ou celle de l'enfant, beaucoup plus rares sont ceux consacrés aux conséquences des paternités tardives, volontiers considérées comme normales, observe le Dr Belaisch-Allart. Certes, la physiologie masculine diffère totalement de celle de la femme, mais est-il si anodin d'être père à l'âge d'être grand-père? Des articles commencent à paraître, des sessions a être organisées lors des congrès sur l'effet néfaste de l'âge de l'homme sur sa fertilité et sur sa descendance.»
Des malformations
Elle précise ainsi qu'une étude des Centres d'étude et de conservation du sperme publiée en 1997 (et passée inaperçue) a montré que le taux de malformation (trisomie 21 en particulier) était plus importante lorsque l'âge du donneur de sperme était supérieur à 45 ans. Ces données confirmées en 2005 avec une étude qui fait état d'une augmentation des trisomies 21 dès l'âge de 35 ans avec un risque multiplié par de 3,2 si l'homme a plus de 50 ans. D'autres publications ont depuis confirmé l'effet délétère de l'âge paternel. La fécondité spontanée de l'homme chute avec l'âge dans la majorité des études récentes avec déclin de la production spermatique et altération des caractéristiques du sperme chez l'homme âgé.
«Des chercheurs ont aussi démontré que le risque de conception au-delà de 12 mois est multiplié par 2,9 lorsque l'homme était âgé de plus de 40 ans quand sa compagne avait entre 35 et 39 ans, ajoute le Dr Belaisch-Allart. D'autres études ont aussi montré que l'âge de l'homme avait également un effet néfaste sur les taux de succès (et de fausses couches) après inséminations intra-utérines.»
Comment «tuer» le père trop âgé?
Et la biologie n'est pas la seule à la barre. Il faut aussi compter avec la psychiatrie. En résumé, entre les pères tardifs et leurs enfants, tout va bien au départ; tout se gâte ensuite. C'est que les pères «tardifs», leur «carrière accomplie», consacrent généralement nettement plus de temps à leur enfant que les jeunes pères trop occupés. Et les enfants de ces pères tardifs défendent leur géniteur. Mais la position de ces enfants devenus adolescents est plus difficile: le père vieillissant est un père vulnérable devant être protégé.
Habituellement, les adolescents cherchent à se différencier de leurs parents tout en comptant sur eux, la «désidéalisation» parentale est d'autant plus facile que les parents sont solides ce qui n'est pas le cas des pères vieillissants. «La relation avec les pères de 70 ans et plus serait marquée par la honte et la gêne vis-à-vis de leur entourage, ces adolescents évitant de montrer leur pères, souligne encore le Dr Belaisch-Allart. Ils auraient à la fois des idées méchantes vis-à-vis de ce père âgé et un sentiment de culpabilité, les filles surtout éprouvent ce sentiment de culpabilité et de surprotection. Ces sentiments font entrave à l'agressivité naturelle des adolescents qui se retourne donc contre eux-même: plus de tentatives de suicides et de troubles du comportement alimentaire seraient observés. Autre réaction décrite, surtout chez les garçons, la fuite pour éviter l'affrontement, la sexualité de ces adolescents serait plus active avec souvent des partenaires plus âgés (de l'âge que leur père devrait avoir).»
Et ce n'est pas tout. Les paternités tardives ont aussi des conséquences familiales: sur les enfants précédents qui supportent souvent mal cette deuxième famille de leur père, surtout s'ils sont alors adolescents entrant alors dans une impossible rivalité avec leur père. D'où une contestation majeure et des troubles du comportement. Pour finir, avec les paternités tardives, il n'y a très vite plus de grand-parents, et ce au moment où les enfants en ont le plus besoin, à l'adolescence.
«Faut-il une limite d'âge masculine à la prise en charge en infertilité, s'interroge le Dr Belaisch-Allart. Il n'y a pas de bonne réponse à cette question. Sans aller vers une généralisation abusive (ni être suspecte de féminisme primitif...), on peut retenir que s'il y a un âge biologique et social pour être mère, certains des arguments sont également valables contre les paternités tardives. Il y a probablement aussi un âge pour être père!»
Jean-Yves Nau
Photo de une: Nouveau né /Reuters