Monde

Les exilés irakiens vont-ils rentrer au pays?

Temps de lecture : 6 min

Les élections vont montrer si les divisions qui séparent sunnites et chiites sont toujours aussi profondes.

Mise à jour: Les bureaux de vote ont fermé en Irak à 15h heure de Paris. Le vote pour les élections législatives a été marqué par des attentats. Trente-huit personnes sont mortes et 110 ont été blessées. Malgré ces violences, les électeurs semblent s'être déplacés en masse.

La campagne des législatives qui s'est achevée dimanche a déchaîné les passions en Irak, mais aussi à Damas. C'est en effet dans la capitale syrienne que vit la plus grande communauté d'exilés irakiens, et la plupart d'entre eux avaient bien l'intention de voter le 7 mars.

«Oui, je vais voter», insiste Omar Fadhil au cours de l'interview qu'il m'accorde dans son appartement misérable de Damas. Sunnite, il a fui son pays d'origine l'année dernière parce des militants extrémistes menaçaient de faire sauter son magasin de disques à Bagdad. «Les gens qui sont restés en Irak ne représentent pas toute la variété du peuple irakien, ils ne représentent pas les artistes, les intellectuels», affirme-t-il. En effet, la grande majorité des exilés de Syrie, plus de 70%, sont des personnes éduquées et hautement qualifiées.

En contact permanent avec l'Irak «virtuel»

La nouvelle loi réglementant les élections donne la possibilité aux exilés de participer au vote comme s'ils habitaient encore leur région d'origine. L'inscription sur les listes a commencé en début de semaine et il suffit de présenter un passeport irakien, ou une carte de réfugié délivrée par l'ONU, pour prouver sa nationalité. La commission électorale estime qu'environ 180.000 citoyens irakiens viendront voter dans les 23 bureaux installés dans toute la Syrie. En Irak, les hommes politiques sunnites font une cour assidue à ces électeurs, qui voteront très certainement en masse.

Des centaines de milliers d'Irakiens exilés sont en contact permanent avec leur pays grâce aux chat rooms, aux téléphones portables, aux webcam et à la télévision par satellite, qui forment un immense réseau où cet Irak virtuel trouve une cohérence et une voix au-delà des frontières du pays. Et si ces élections sont un test important pour la stabilité de cette démocratie encore fragile, leur résultat décidera également du retour d'une population qui peut jouer un rôle vital dans la reconstruction. En effet, la réconciliation politique entre chiites et sunnites n'aura lieu que si ces derniers sont convaincus de détenir une part équitable du pouvoir. En d'autres termes, pour les exilés, ces élections vont avant tout montrer si les divisions qui furent à l'origine du déplacement de 20% de la population perdurent encore.

Très peu de retours

Car malgré la baisse sensible du niveau de violence en Irak, une statistique assez préoccupante refuse obstinément de changer. Selon un récent rapport américain, sur les deux millions d'Irakiens ayant fui le pays entre 2004 et 2008, très peu sont rentrés chez eux. Environ 60% de ces réfugiés sont sunnites et 15%, chrétiens. Leur départ représente un bouleversement démographiques aux conséquences graves pour l'Irak, mais personne n'a reconnu l'origine très largement confessionnelle de cet exode. C'est une perte immense pour le pays, un problème pour les gouvernements voisins et une tragédie pour la plupart des personnes exilées. Autant dire que l'évolution de leur situation constitue un indicateur important de la viabilité du nouvel Irak et de la stabilité du Moyen-Orient.

La plupart des exilés ne se sont pas adressés à l'ONU pour essayer d'obtenir le statut de réfugié. De même, moins de 10% d'entre eux ont fait une demande aux Etats-Unis, en Europe ou en Australie, ce qui signifie que l'immense majorité espère toujours revenir en Irak. Mais la campagne électorale à laquelle ils viennent d'assister ne semble pas leur avoir envoyé de signaux très encourageants.

Les exilés regardent religieusement les chaînes satellites qui diffusent les spots électoraux et les interviews des candidats, mais ils n'ont pas pu bénéficier de la grande distribution de cadeaux qui a eu lieu dans le pays. Aucune loi ne venant limiter les sources de financement des partis politiques, ni contrôler leurs dépenses, on a essayé d'acheter les électeurs de toutes les manières, même les plus éhontées. Le Premier ministre donne des pistolets portant sa signature, d'autres candidats distribuent des poulets congelés, du fioul ou des baskets fabriquées en Chine. Un journaliste irakien écrivait récemment de Bassorah, dans le sud du pays, pour témoigner. Son e-mail s'intitulait «Les chefs tribaux engraissent» et racontait que «les restaurants et les hôtels sont pris d'assaut par les chefs tribaux que les candidats invitent tous les jours à déjeuner. Si l'on compare la manière dont ils étaient habillés avant la campagne et maintenant, on constate d'étranges disparités. Aujourd'hui, ils portent tous des vêtements élégants, leurs poches sont remplies d'argent et ils utilisent des téléphones portables dernier cri».

Les tensions confessionnelles ravivées

Il y a un an, la coalition du Premier ministre Nouri al-Maliki a remporté les élections régionales grâce à un programme essentiellement nationaliste s'appuyant sur des thèmes comme l'unité de l'Irak, l'efficacité des institutions et l'amélioration des services publics. Maliki avait alors réussi à convaincre les hommes politiques et les électeurs sunnites, et son succès avait semblé annoncer que le fossé confessionnel était en train de se combler. Les exilés, notamment sunnites, avaient remarqué cette évolution et avaient commencé à faire de courts séjours au pays. On envoyait un membre de la famille à Bagdad pour récupérer des versements de retraite, des arriérés de salaire, ou même pour qu'il travaille quelques mois afin d'aider les proches restés en Syrie. C'était en quelque sorte des éclaireurs qui préparaient un retour plus massif. Mais la dernière campagne semble avoir ravivé les tensions confessionnelles, notamment parce que les candidats chiites ont joué la carte de la peur en faisant courir la rumeur d'un retour du parti Baas qui dominait le pays du temps de Saddam, mais a été interdit depuis la fin de la guerre.

L'équation mensongère entre baasiste et sunnite est une arme efficace lorsqu'on veut pousser la majorité chiite à voter en écoutant la voix de la peur plutôt que celle de la raison. Ainsi, la décision, prise par un organisme contrôlé par les chiites, d'interdire plus de 500 candidats, dont la plupart sont sunnites, en prétextant des liens avec le parti Baas, fait craindre à la communauté sunnite de se retrouver politiquement marginalisée. Autre indice inquiétant, dans la phase finale de la campagne, le Premier ministre Maliki a délaissé son programme d'unité nationale. Pour ne pas se laisser déborder par ses adversaires chiites, il a préféré jouer la carte des différences confessionnelles, ce qui lui a fait perdre le soutien des sunnites et des nationalistes, qui, eux, souhaitent que ces différences se résorbent.

Le plus lourd tribut

Lorsqu'on aborde le sujet avec la plupart des Irakiens, ils sont du même avis et rejettent ces conflits qui divisent leur quartier, ou même leur famille. Quant aux exilés, ce sont eux qui paient le plus lourd tribut. Ils sont très nombreux à vivre dans des conditions déplorables et sans réel espoir de réintégration pour eux ou leurs enfants, souvent exclus du système scolaire. A l'intérieur même des frontières, l'Irak compte toujours plus de deux millions de déplacés, héritage de la guerre ouverte qui a fait rage entre chiites et sunnites. Dans la province d'Al-Anbâr, majoritairement sunnite, 62% des personnes chassées de chez elles étaient chiites et seulement 1% des personnes déplacées sont revenues. Dans les provinces du sud, dominées par les chiites, les sunnites ont été quasiment tous chassés et il y a peu de chances pour qu'ils rentrent un jour. L'agence irakienne chargée du suivi des personnes déplacées signale d'ailleurs que la plupart d'entre elles ne souhaitent pas revenir, ce qui risque d'inscrire ces divisions dans la géographie même du pays.

Ces élections sont très importantes pour l'Irak. Elles vont permettre de savoir si le pays est désormais sur la voie de la paix et de la stabilité, alors que les Etats-Unis doivent retirer leurs troupes cette année. Selon l'ambassadeur américain Christopher Hill, «dans une démocratie, le danger ne vient pas tant du comportement de ceux qui remportent les élections, que de la réaction de ceux qui les perdent». Il est clair aujourd'hui qu'une stabilité pérenne ne sera atteinte qu'après une réconciliation politique d'ampleur nationale, et après le retour des exilés, qui en sera la meilleure preuve. Ces derniers sont en contact étroit avec leur famille et leurs proches. Ils attendent de recevoir d'eux l'assurance qu'ils peuvent rentrer en toute sécurité. L'ensemble de la région attend avec la même impatience.

Deborah Amos

Traduit par Sylvestre Meininger

Photo de une: le doigt encré d'une Irakienne réfugiée en Jordanie prouvant qu'elle a voté, le 5 mars 2010 à Amman. REUTERS/Ali Jarekji

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