La semaine dernière, le gouvernement d'Hamid Karzaï a pris la décision d'interdire la couverture en direct des attaques des insurgés taliban, invoquant le fait que leur couverture permettait une meilleure coordination militaire de l'ennemi et améliorait la construction tactique de ses opérations. Selon le texte proposé, la mesure interdit «aux médias la couverture en direct des attaques des talibans, estimant que les informations données en temps réel par les journalistes pouvaient être utilisées par les insurgés pour coordonner leurs actions». Cette mesure a été prise rapidement à la suite de la dernière attaque talibane le 26 février dernier dans le centre-ville de Kaboul qui s'est soldée par une vingtaine de morts.
Depuis plusieurs mois, les talibans ont multiplié les attaques coup de poing dans le cœur de la capitale afghane. A défaut d'avoir un vrai poids stratégique dans l'équilibre du conflit, ces attaques ont un fort impact psychologique et ont d'ailleurs marqué les esprits: elles touchent le cœur du pouvoir, elles travaillent forces alliées de l'intérieur, s'en prend à un territoire jusque-là épargné et considéré imprenable, la capitale. Une guerre se gagne sur le terrain et sur les esprits...
Dérives
A priori, on ne peut qu'approuver une mesure qui va dans le sens de la protection de la population civile, priorité des Etats de droit. Nous sommes d'accord pour que les forces militaires mettent toutes les chances de leur côté pour défaire l'ennemi. Si réellement la couverture en direct des attaques favorise, nous ne devrions pas avoir de problème à nous en passer... Et pourtant. Les esprits chagrins, les empêcheurs de tourner en rond ne manqueront pas de voir la foule de dérives susceptibles d'entacher le bon déroulement de la guerre.
La constitution afghane possède une clause sur la liberté d'expression et le droit d'accès à l'information qu'une telle mesure autorisera de violer. C'est un premier point. Autre point sur lequel on peut tiquer: la loi prévoit que les journalistes seront autorisés à ne couvrir que les «conséquences» et les «résultats» d'une attaque ou d'un accrochage après avoir reçu une permission de qui? Je vous le donne en mille: de la Direction nationale de la sécurité, en somme les services d'espionnage afghans. Dans le genre musellement de la presse et limitation du travail des journalistes, on ne fait pas mieux!
Un gouvernement inefficace
Avec une telle directive, il semble difficile que la couverture ne soit pas biaisée, que le procédé serve de manière déguisée à maquiller la réalité du conflit et à masquer les événements au désavantage du gouvernement afghan et des forces alliées. A défaut de donner de l'illusion de la victoire, Kaboul pourra au moins soustraire la réalité de la défaite des écrans. Les attaques de ces derniers mois ont ceci de gênant qu'elles ont montré la faiblesse du pouvoir et donné du grain à moudre aux opposants d'Hamid Karzaï, qui voient son gouvernement comme globalement inefficace.
En août 2009, lors de la campagne électorale de l'élection présidentielle, le gouvernement avait déjà demandé aux médias de ne pas mentionner la vague de violence qui s'étendait dans tout le pays, même dans les zones les plus contrôlées, «au regard du besoin de s'assurer d'une large participation du peuple afghan, et afin d'éviter toute violence liée aux élections». Le harcèlement des forces de l'ordre contre les professionnels de la presse quand ils tentent de couvrir les opérations militaires et les accrochages entre groupes armés.
Les gouvernements occidentaux qui soutiennent Hamid Karzaï sont quelque peu gênés aux entournures. Comment soutenir une mesure que ne manquerait pas mettre en place les talibans eux-mêmes s'ils étaient au pouvoir? Dans l'état actuel, on ne saurait mieux conseiller le gouvernement afghan en l'incitant à bâtir la confiance avec la population dont il a la charge. Et la meilleure manière est de respecter le contrat qui le lie à la société afghane, c'est-à-dire la constitution.
Vincent Brossel et Gilles Lordet, Reporters sans frontières
Photo de une: Un Afghan tient un pigeon dans sa main à Kaboul, le 2 mars 2010. REUTERS/Baz Ratner